Cladiaie (formations à Marisque)

Rédacteur : David Ollivier

Physionomie-écologie

La physionomie de cet habitat est très marquée par la présence abondante du Marisque, parfois monospécifique. Il s’agit d’une grande Cypéracée colonisatrice d’environ 2 à 3 mètres de haut, aux feuilles extrêmement coupantes, connue localement sous le nom de « rouchis ». Elle peut former un peuplement dense, pauvre en espèces végétales, la cladiaie (ou le « rouchis »). Il s’agit d’une espèce hygrophile, qui supporte mal les périodes d’exondation prolongées. Les cladiaies occupent les dépressions humides, les fonds de vallées, les bords de cours d’eau et les milieux alluviaux gorgés d’eau. Elles peuvent se développer à la surface des eaux lorsqu’elles sont peu profondes (moins de 1 mètre car les marisques doivent tout de même ancrer leurs racines dans le substrat) et forment alors un habitat flottant nommé aussi radeau ou tremblant. Sous leurs formes terrestres, les cladiaies peuvent coloniser d’autres habitats naturels tourbeux ou minéraux associés, plutôt alcalins, voire légèrement acides, notamment des bas-marais alcalins, des phragmitaies, certaines magnocariçaies ou encore des prairies humides tourbeuses ou paratourbeuses à Molinie.

Les peuplements denses de Marisque, de composition floristique relativement peu diversifiée, semblent en revanche être favorables à une forte diversité des espèces animales et notamment de l’entomofaune. Cette entomofaune est liée au tapis de litière épaisse qui se développe au pied des marisques.
Inversement, lorsque les cladiaies sont plus aérées, la diversité et l’originalité floristique sont généralement plus élevées au détriment de la diversité faunistique.

Cet habitat se caractérise par une certaine persistance hivernale des tiges aériennes sèches et donc par le maintien de sa structuration verticale.
Les cladiaies peuvent se développer en mélange avec d’autres espèces d’hélophytes et, notamment, avec des espèces du cortège des roselières telles que le Roseau Phragmites australis, le Scirpe des marais Schoenoplectus lacustris ou les Massettes (Typha sp.).

Phytosociologie et correspondances typologiques

PVF2004

  • PHRAGMITO AUSTRALIS – MAGNOCARICETEA ELATAE in Klika et Novak 1941
    • MAGNOCARICETALIA ELATAE Pignatti 1954 : communautés des sols riches en matière organique, à éléments fins, mésotrophes à eutrophes
      • Magnocaricion elatae Koch 1926

CORINE 1991

  • 53.31 Cladiaies des bas-marais alcalins, riches en espèces (cortège du CARICION DAVALLIANAE, ou du CARICION LASIOCARPAE)
  • 53.33 Cladiaies acidophiles riveraines, paucispécifiques (bords de rivières et d’étangs, cortège du PHRAGMITION)

Directive Habitats 1992

7210* – Marais calcaires à Cladium mariscus et espèces du Caricion davallianae (habitat prioritaire)

Confusions possibles

Il n’existe pas ou peu de confusion possible pour cet habitat. Il faut cependant faire attention à décrire les cladiaies sans oublier de caractériser le biotope associé ou colonisé par le Marisque. Ce dernier peut avoir en effet autant de valeur patrimoniale régionale, si ce n’est plus, que la cladiaie elle-même. Par exemple le Marisque peut coloniser les bas-marais alcalins, habitat à forte valeur patrimoniale. Le gestionnaire fera ensuite le choix de l’habitat à privilégier par la mise en œuvre d’une gestion adaptée. Les cladiaies que l’on observe dans les dépressions humides arrière-dunaires sont traitées dans le cadre des roselières et des cariçaies des lèdes (Fiche : Dépression humides arrière-dunaires).

Dynamique

Les cladiaies représentent un stade dynamique des bas-marais sur tourbe, principalement alcaline. Elles se développent sur sols basiques à neutres, éventuellement légèrement acides. L’importance des inondations (fréquence et durée) va conditionner l’évolution de cet habitat. Ainsi, au sein des stations les moins inondées, les cladiaies sont généralement moins denses et donc plus diversifiées. Lorsque les inondations sont plus répétées et prolongées, ce sont les espèces des roselières sur tourbe (PHRAGMITION COMMUNIS) qui persistent. Les cladiaies présentent alors une diversité floristique plus faible.

Lors du développement à la surface d’une eau peu profonde, les cladiaies conduisent à l’atterrissement de la mare ou de l’étang, par progression vers le centre, mais aussi vers le fond par épaississement du radeau formé par les racines. Une partie du radeau se trouve alors au dessus de la surface de l’eau. L’alimentation en eau de pluie du réseau flottant de racines conduit à une certaine acidification du milieu. La cladiaie évolue alors progressivement vers un groupement plus acidophile – la cariçaie de transition – dans laquelle les espèces acidophiles, ainsi que les buttes de sphaignes, peuvent se développer.

Comme pour les « cladiaies-radeaux », si l’alimentation en eau de pluie est importante, les cladiaies « terrestres » peuvent connaître une acidification du milieu qui permettra l’installation des sphaignes et des espèces des bas-marais et hauts-marais acides.
En revanche, si l’alimentation par les eaux de pluie est faible, les sphaignes ne pourront s’installer et la dynamique naturelle conduira au stade ultime d’une cladiaie dense. Celles-ci ont la particularité d’accumuler un important tapis de litière empêchant assez efficacement la germination. Dans ces conditions, les cladiaies sont relativement pauvres en espèces végétales, stables et leur boisement reste difficile.

La fauche peut faire réapparaître temporairement des espèces des bas-marais alcalins (CARICION DAVALLIANAE), avant la repousse assez rapide de la cladiaie (lorsque les fauches ne sont pas trop répétées).

Le boisement, lorsqu’il est possible, comme c’est le cas quand l’épaisse litière est dégradée par des passages répétés de grands mammifères, conduit aux fourrés ou bois tourbeux (saulaie à bourdaine, aulnaie marécageuse) ; dans ces conditions, le Marisque, espèce héliophile, régresse et peut finir par disparaître.
L’assèchement du milieu va remettre en cause la préservation de la cladiaie au profit d’espèces plus adaptées, alors que l’eutrophisation de l’eau va être favorable au Roseau commun au détriment du Marisque.

Espèces indicatrices

[plante2] *Anacamptis palustris, *Carex lasiocarpa, Carex lepidocarpa, Cladium mariscus, *Euphorbia palustris, Hydrocotyle vulgaris, *Lathyrus palustris, Lysimachia vulgaris, Lythrum salicaria, *Menyanthes trifoliata, Sanguisorba officinalis, Serratula tinctoria, Schoenoplectus tabernaemontani, Samolus valerandi, Schoenus nigricans, *Spiranthes aestivalis, *Thelypteris palustris
[plante1] Carex elata, Cirsium tuberosum, Frangula alnus, Juncus subnodulosus, Oenanthe lachenali, *Ranunculus lingua, Salix atrocinerea
[briophytes] Calliergonella cuspidata, Campylium stellatum, Drepanocladus lycopodioides
[oiseaux] Acrocephalus schoenobaenus, Circus aeruginosus
[mollusques] Carychium minimum, Deroceras laeve, Euconulus spp, Oxyloma elegans, Succinea putris, Vertigo antivertigo, Vertigo moulinsiana, Zonitoides nitidus
[orthopteres] Conocephalus discolor, Conocephalus dorsalis

Valeur biologique

Les cladiaies denses présentent un fort intérêt lié à la présence de certains insectes, araignées et mollusques (Vertigo sp.) originaux fréquentant le tapis de litière accumulée. Ce dernier engendre l’existence de conditions de vie très particulières qui permettent à des insectes méditerranéens et xéro-thermophiles de fréquenter des zones parfois éloignées de leur aire de répartition d’origine.

Les cladiaies ouvertes et aérées présentent un intérêt floristique plus marqué, mais entomologiquement plus faible. L’originalité floristique est liée bien souvent à l’habitat d’origine qui a été colonisé par le Marisque et qui présente une forte valeur patrimoniale régionale (bas-marais alcalin, par ex.).

Menaces

Cet habitat naturel a connu une forte régression au cours du XXème siècle sur le territoire national et au niveau européen. La cladiaie figure ainsi parmi les habitats menacés prioritaires sur la Directive Européenne pour la conservation des Habitats et de leurs espèces.

Tout ce qui porte atteinte à la qualité, la quantité d’eau et son écoulement naturel est néfaste à la conservation de cet habitat. C’est ainsi que les modifications des pratiques agricoles liées à leur intensification, les opérations de drainage (assèchement, altération de la qualité de l’eau), l’épandage d’engrais et de produits phytosanitaires (eutrophisation), le comblement par des remblais, les modifications du fonctionnement hydrologique des cours d’eau (canalisation, barrage…) ont conduit à la destruction et la raréfaction des cladiaies (formations à Marisque).

Dans les situations où le boisement est possible l’abandon d’entretien régulier par fauche peut être une cause de disparition de l’habitat par dynamique naturelle.


Statut régional

Dans la région Poitou-Charentes, ce type de milieu est rare et très disséminé, mais il peut localement couvrir des surfaces étendues (plusieurs dizaines d’hectares dans certains sites favorables).

Sites remarquables :

16 : Marais de Gensac

17 : Marais de l’Anglade

79 : Tourbière de Prin-Deyrançon

86 : Basse vallée de la Gartempe (St-Pierre-de-Maillé) ; tourbière des Régeasses, à Montmorillon