Vasières et estuaires

Rédacteur : Jean Terrisse

Physionomie-écologie

Cet habitat s’étend de l’étage médio-littoral (zone de balancement des marées) au supra-littoral, soit entre le niveau des pleines mers de vives-eaux et le niveau moyen des basses mers. Sa grande variabilité tient à la diversité des sédiments concernés, eux-mêmes dépendants du mode d’exposition (abrité ou battu), de l’amplitude des marées et du profil topographique : sables, vases, graviers, cailloutis, galets…La végétation supérieure est en général absente (sauf dans certains faciès à herbiers de la phanérogame marine Zostera noltii) et la typologie s’appuie plutôt sur la granulométrie du substrat et les populations d’invertébrés, très diversifiées.

7 habitats élémentaires sont reconnus sur la façade atlantique et tous sont présents sur la façade maritime du Poitou-Charentes :

  • les sables de haut de plage à Talitres : cet habitat englobe la partie supérieure des plages de sable fin, humectées par les embruns salés et remaniées régulièrement par le vent ; le dépôt de matières organiques par les marées hautes (et, de plus en plus, de macro-déchets non biodégradables : objets en plastique, filets, flotteurs..) est une caractéristique importante : ces déchets sont consommés et recyclés par diverses espèces de crustacés amphipodes dont les plus connus sont les Puces de mer ou Talitres ;
  • les estrans de sable fin : cet habitat correspond aux vastes étendues sableuses des plages à pente faible, subissant des alternances de submersion et d’émersion au gré des marées ; la saturation en eau varie selon le niveau et la résurgence d’eau douce transitant sous un cordon dunaire voisin peut faire baisser la salinité. Les populations d’invertébrés sont variées et dépendent principalement de l’hydrodynamisme : polychètes, amphipodes fouisseurs, mollusques bivalves tels que les Tellines (genres Tellina, Donax) ;
  • galets et cailloutis des hauts de plage à Orchestia  : cet habitat comprend les galets de hauts de plage, atteints seulement par les vagues des tempêtes hivernales, qui piègent les débris végétaux rejetés par le flot et peuvent ainsi conserver une forte humidité ; le peuplement d’invertébrés est dominé par des Puces de mer du genre Orchestia (crustacés amphipodes) ainsi que par quelques Gastéropodes (Ovatella, Truncatella) ;
  • sables dunaires : cet habitat concerne des accumulations de sable formées par les marées dans la zone intertidale ; ces sables mobiles qui forment des reliefs sur les plages de sable fin constituent un substrat mou où l’on s’enfonce aisément. Le peuplement d’invertébrés est dominé par des vers fouisseurs (notamment du genre Ophelia), accompagnés de quelques amphipodes et bivalves. Le Lançon (genre Ammodytes), un poisson qui vit enfoui dans le sable, est également fréquent dans cet habitat ;
  • estrans de sables grossiers et graviers : estrans composés de sédiments grossiers et de petits graviers entre les gros blocs sur les côtes rocheuses ; la stabilité de l’habitat permet l’installation de Mollusques bivalves tels que la Palourde ou Dosinia ; quelques grands Polychètes sont également présents ;
  • sédiments hétérogènes envasés : fonds hétérogènes de cailloutis et galets à base prise dans une matrice vaseuse, en bordure des côtes rocheuses ; de nombreux débris algaux sont piégés entre les blocs ; les peuplements faunistiques sont dominés par des espèces détritivores : Polychètes, Crustacés herbivores (amphipodes, Isopodes) ;
  • les slikkes d’estuaires : elles sont localisées à la partie aval d’une vallée fluviale soumise aux marées, à partir de la zone de remontée maximale de la « marée saline » et, donc, du début des eaux saumâtres ; le mélange de l’eau douce avec l’eau de mer provoque les dépôts de sédiments fins qui forment de larges étendues de replats boueux ou sableux ; la micro-faune est dominée par des communautés de Mollusques fouisseurs dont notamment, Macomia baltica et Scrobicularia plana accompagnés de Polychètes et de Crustacés amphipodes, numériquement très abondants.

Phytosociologie et correspondances typologiques

PVF 2004

ZOSTERETEA MARINAE Pignatti 1954

Herbiers sous-marins phanérogamiques en complexe avec des Algues marines, immergés ou à émersion temporaire des eaux euhalines à polyhalines

Zosterion marinae Christiansen 1934 : communautés atlantiques et méditerranéennes

COR 1991

  • 14 Vasières et bancs de sable sans végétation
  • 13.2 Estuaires

Directive Habitats 1992 et Cahiers d’habitats

  • 1130 Estuaires
    • 1130-1 Slikke en mer à marée
  • 1140 Replats boueux ou sableux exondés à marée basse
    • 1140-1 Sables hauts de plage à Talitres
    • 1140-2 Galets et cailloutis des hauts de plage à Orchestia
    • 1140-3 Estrans de sable fin
    • 1140-4 Sables dunaires
    • 1140-5 Estrans de sables grossiers et graviers
    • 1140-6 Sédiments hétérogènes envasés

Confusions possibles

L’originalité des habitats élémentaires décrits rend peu probable leur confusion. On veillera toutefois à bien séparer les galets et cailloutis des hauts de plage à Orchestia appartenant au supra-littoral et, en principe, jamais ou très rarement atteints par la mer et les sédiments hétérogènes envasés qui sont eux localisés à l’étage médio-littoral et subissent donc des submersions régulières.

Espèces indicatrices

[plante2] Zostera noltii
[oiseaux] Anas acuta, Anas clypeata, Anas crecca, Anas penelope, Anas platyrhynchos, Arenaria interpres, Branta bernicla, Calidris alba, Calidris alpina, Calidris canutus, Calidris maritima, Calidris minuta, Charadrius alexandrinus, Charadrius hiaticula, Haematopus ostralegus, Limosa lapponica, Limosa limosa, Numenius arquata, Pluvialis squatarola, Recurvirostra avosetta, Tadorna tadorna, Tringa nebularia, Tringa totanus, Vanellus vanellus
[poissons] Ammodytes tobianus, Psetta maxima
[coleopteres] Bledius spp.
[mollusques] Abra tenuis, Akera bullata, Bittium reticulatum, Cerastoderma edule, Cerastoderma lamarkii, Donax trunculus, Donax vittatus, Dosinia exoleta, Hydrobia spp., Littorina littorea, Macoma baltica, Mesodesma corneum, Mya arenaria, Ovatella bidentata, Paphia aurea, Scrobicularia plana, Spisula spisula, Tapes decussatus, Tellina fibula, Tellina tenuis, Truncatella subcylindrica, Venerupis pullastra
[crustaces] Crustacés amphipodes : Bathyporeia sp., Corophium arenarium, Corophium volutator, Gammarus spp, .Haustorius arenarius, Orchestia gammarella, Pontocrates ssp., Talitrus saltator, Talorchestia brito, Talorchestia deshayesi, Urothoe sp.
Crustacés isopodes : Cyathura carinata, Eurydice pulchra, Sphaeroma spp., Tylos europaeus
Crustacés décapodes : Carcinus maenas, Thia scutellata
Polychètes Arenicola marina, Cirratulus cirratus, Cirriformia tentaculata, Hediste diversicolor, Manayunkia aestuarina, Marphysa sanguinea, Nephtys cirrosa, Nerine bonnieri, Nerine cirratulus, Ophelia ssp., Perinereis cultrifera, Scoloplos armiger, Spio martinensis

Dynamique

Cet habitat est assez stable car les espèces qui le structurent sont adaptées à de fortes variations écologiques. Toutefois, l’envasement des fonds et la détérioration de la qualité des eaux estuariennes (surcharge en matière organique, pollutions diverses, artificialisation des berges) ont fortement modifié sa dynamique naturelle au cours des dernières décennies.

Valeur biologique

Au niveau générique, l’habitat est considéré comme menacé en Europe (inscrit à l’Annexe I de la Directive Habitats). Parmi les 7 habitats élémentaires décrits, 2 présentent une forte valeur biologique et écologique : les estrans de sables fin (grande diversité et populations abondantes d’Invertébrés, point de départ d’une chaîne alimentaire menant aux Vertébrés tels que les Poissons et les Oiseaux) et les sables dunaires (faible diversité mais habitat très original).
En dehors de sa production primaire très importante participant à la productivité globale des écosystèmes littoraux, l’habitat est d’une importance cruciale pour les oiseaux migrateurs et hivernants et, particulièrement, pour les Limicoles, certains Anatidés et grands échassiers, dont le régime alimentaire se concentre sur les mollusques, les annélidés et les crustacés, chaque espèce d’oiseau ciblant des proies de tailles et d’accessibilité différentes en fonction de la longueur de son bec et des besoins de son métabolisme. Les bécasseaux (genre Calidris), dont plus de 120 000 individus hivernent sur les diverses vasières tidales de Charente-Maritime, les gravelots (Charadrius), les pluviers (Pluvialis), les barges (Limosa), les chevaliers (Tringa) forment ainsi une part importante des quelque 350 000 oiseaux d’eau qui s’alimentent sur les vasières littorales de Charente-Maritime durant les 6 mois d’hiver : la Baie de l’aiguillon avec 98 000 oiseaux est le 1er site régional, devant la Réserve Naturelle des Marais de Moëze (86 000) et l’île de Ré (42 000), tous ces sites ayant été décrits comme Zones d’Intérêt Communautaire pour les Oiseaux (ZICO) au titre de la Directive Oiseaux (Bruxelles 1979) et, plus récemment, comme Zones de Protection Spéciale (ZPS) au titre de la Directive CEE 92/43 dite « Directive habitats ».

Menaces

Les menaces pesant sur l’habitat dans son ensemble concernent notamment l’eutrophisation provoquée par les apports croissants de matières organiques en provenance du bassin versant, les marées noires et les dépôts de macro-déchets non biodégradables.
Les habitats élémentaires peuvent être touchés par des menaces plus spécifiques : nettoyage mécanique des hauts de plages après les dernières tempêtes de printemps pour les rendre « propres » et « accueillantes » au tourisme balnéaire, circulation d’engins lourds professionnels ou récréatifs sur des substrats fragiles, pêche à pied surexploitant les estrans lors des grandes marées et bouleversant le milieu (retournement des cailloux et blocs, labourage des fonds à l’aide d’engins manuels pour extraire les palourdes, les vers servant d’appâts…), dérangements occasionnés à l’avifaune par le développement de nouveaux loisirs (char à voile), anthropisation et artificialisation des berges d’estuaires etc..

Statut régional

L’habitat générique est répandu sur la façade littorale de Charente-Maritime mais la répartition précise des habitats élémentaires demande à être précisée :

17 : baie de l’Aiguillon, baie du Fier d’Ars (île de Ré), côte est de l’île d’Oléron, baie de Moëze, baie de Bonne-Anse, presqu’île d’Arvert, plages de la côte ouest de l’île d’Oléron, estuaires de la Charente, de la Seudre, de la Gironde