Aulnaie-Frênaie alluviale non marécageuse

Rédacteur : Jean Terrisse

Physionomie – écologie

Cet habitat représente les différents faciès de forêt alluviale à bois durs ; il se localise dans le lit majeur des plaines alluviales, tantôt au contact immédiat du lit mineur du cours d’au, tantôt en arrière d’une frange de ripisylve occupée par une forêt à bois tendre. Les sols y sont inondés périodiquement, soit par des crues hiverno-printanières de régime océanique, soit par des remontées de la nappe phréatique ; dans tous les cas, cependant, le rabattement plus ou moins important de la nappe en période estivale permet le développement au dessus de l’horizon réduit du gley, d’une couche suffisamment aérée qui favorise une forte activité biologique et une bonne nitrification (hydromull). En Poitou-Charentes, 2 essences se partagent la canopée de l’habitat :

  • l’Aulne glutineux Alnus glutinosa : espèce héliophile et pionnière, ne dépassant pas 20-25m et 60-100 ans, pollinisée et dispersée par le vent ;
  • le Frêne élevé Fraxinus excelsior : essence atteignant 150-200 ans et 30m de hauteur, également anémogame, mais tolérant bien l’ombrage ce qui permet à ses semences de germer et de prospérer même sous un couvert boisé déjà en place ; ce caractère post-pionnier et nomade lui permet de succéder à l’aulne dans les cycles naturels de maturation sylvigénétique ; le Frêne oxyphylle Fraxinus angustifolia : espèce voisine mais de répartition plus méridionale, se mêle parfois au Frêne élevé (surtout en Charente-Maritime) et forme des populations hybrides d’identification délicate.

Hormis ces 3 espèces, l’Orme champêtre, l’Erable champêtre et, par pieds dispersés, le Chêne pédonculé, sont les autres essences structurant l’habitat. La strate arbustive est souvent très diversifiée mais présente peu de véritables caractéristiques – sauf la Viorne obier Viburnum opulus ou le Nerprun purgatif Rhamnus catharticus. La strate herbacée varie beaucoup selon les sous-types (voir ci-dessous).

Dans la région 3 sous-types de l’habitat sont observables :

  • l’aulnaie-(frênaie) des bords de petits ruisseaux (CARICI REMOTAE-ALNETUM GLUTINOSAE) : il s’agit en général de galeries étroites frangeant des ruisseaux collinéens à courant faible à marqué ; l’aulne est généralement dominant (sauf sur les banquettes supérieures), souvent exclusif. Le Noisetier, le Groseillier rouge, la Viorne obier sont les arbustes les plus typiques. Dans la strate herbacée, la Grande laîche Carex pendula et, à un moindre degré, la Laîche espacée C.remota, sont constantes et, parfois, très recouvrantes ; elles sont accompagnées par tout un cortège d’espèces à tendance nitrophile – Urtica dioica, Rubus caesius, Glechoma hederacea – favorisées par la litière améliorante de l’aulne, auxquelles se joignent diverses mésophytes forestières (Lierre, Lamier jaune, Ail des ours..) ; on peut distinguer une variante calcifuge à Impatiens noli-tangere et Chrsysosplenium oppositifolium des terrains primaires sur la bordure orientale de 86, 16 et du nord de 79, et une variante neutro-calcicole avec, souvent, la Mercuriale vivace Mercurialis perennis sur terrains sédimentaires ;
  • (l’aulnaie)-frênaie-ormaie des bords de rivières à courant lent (var. centre-atlantique de l’AEGOPODIO PODAGRARIAE-FRAXINETUM EXCELSIORIS) : les 2 frênes et leur hybrides y sont dominants sur l’aulne, l’Orme champêtre est constant mais peu abondant et le Chêne pédonculé sporadique ; parmi les arbustes, l’Aubépine monogyne, le Cornouiller sanguin, le Nerprun purgatif sont fréquents. Quant à la strate herbacée, elle est constituée par un mélange original de nitrophytes – Rubus caesius, Urtica dioica, Galium aparine – et d’espèces de roselières ou de mégaphorbiaies telles que la Reine des prés Filipendula ulmaria, l’Angélique sauvage Angelica sylvestris ou le Grand Liseron Calystegia sepium ;
  • l’aulnaie à hautes herbes (FILIPENDULO ULMARIAE-ALNETUM GLUTINOSAE) : contrairement au type précédent où la nappe est circulante, les sols de ce sous-type présentent un engorgement marqué résultant souvent d’une position topographique particulière : cuvette au sein d’un vallon où le drainage se fait difficilement, dépression marginale d’un lit majeur en arrière du bourrelet alluvionnaire etc. L’aulne y est en général dominant sur le frêne et, dans la strate herbacée, les grands Carex eutrophiques – Carex acutiformis et Carex riparia – accompagnent en masse Carex remota (C.pendula est en général absent ou très rare) ; les espèces de roselières et de mégaphorbiaies indiquant un niveau de nappe plus élevé sont plus abondantes/recouvrantes que dans le sous-type précédent : Alpiste faux-roseau Phalaris arundinacea, Grande scutellaire Scutellaria galericulata, Grande salicaire Lythrum salicaria..

Phytosociologie et correspondances typologiques

PVF 2004

  • QUERCO-FAGETEA Br.-Bl. & Viegler 1937 : forêts tempérées caducifoliées
    • Populetalia albae Br.-Bl. 1948 : communautés riveraines non marécageuses
      • Alnenion glutinoso-incanae Oberdorfer 1953 : communautés des bords de ruisseaux et torrents, jusqu’à ceux des rivières à eaux lentes

COR 1991

  • 44.3 Forêts de frênes et d’aulnes médio-européens
    • 44.31 Aulnaie-frênaies des ruisselets et des sources
    • (44.32 Aulnaies-frênaies des rivières à débit rapide ?)
    • 44.33 Aulnaies-frênaies des rivières à eaux lentes

Directive Habitats 1992 et Cahiers d’habitats

  • 91E0 – 8 Aulnaies-frênaies à Laîche espacée des petits ruisseaux
  • 91E0 – 9 Frênaies-ormaies atlantiques à Aegopode des rivières à cours lent
  • 91E0 – 11 Aulnaie à hautes herbes

Confusions possibles

Un croisement entre l’essence dominante et le type de cours d’eau (ruisseau, rivière) permettrait en principe de reconnaître les 3 sous-types de l’habitat distingués ci-dessus. En pratique, cependant, l’existence de banquettes alluviales plus ou moins différenciées complique l’interprétation : il existe ainsi un faciès à frêne de l’aulnaie-galerie des bords de ruisseaux, sur banquette surélevée, à ne pas confondre avec la frênaie-ormaie des rivières lentes. L’examen de la totalité du cortège floristique peut être alors d’un grand secours. Mais le problème principal vient plutôt de la différenciation entre l’aulnaie à hautes herbes et l’aulnaie marécageuse méso-eutrophe, des formes de transition insensibles existant entre les 2 en fonction de la durée de la stagnation de la nappe : la dominance absolue de l’aulne et la présence d’espèces indicatrices telles que Carex paniculata et diverses fougères dont, surtout, Thelypteris palustris, inclinent à reconnaître la seconde, alors que la première sera plutôt caractérisée par la coexistence de l’aulne et du frêne, l’absence des fougères et la présence de Carex différents (C.remota, notamment).

Dynamique

Les forêts alluviales du 44.3 peuvent dériver de mégaphorbiaies (elles-mêmes issues d’une coupe de la forêt d’origine), après un stade intermédiaire de fruticée plus ou moins hygrophile à Saule roux, Viorne obier…. Tant que la dynamique du cours d’eau (périodicité des crues, vitesse du courant, battement de la nappe) n’est pas substantiellement modifiée, ces forêt subissent une lente maturation où les essences pionnières sont progressivement remplacées par des essences post-pionnières (frênes, orme champêtre, chêne pédonculé). Dans le cas de petites vallées où le cordon alluvial est inséré dans une matrice boisée plus large englobant des boisements de versants, la maturation peut se faire plus rapidement, par colonisation latérale à partir des semenciers présents (chênes, Charme, érables, Orme etc.).

Espèces indicatrices

[plante2] *Aegopodium podagraria, Alnus glutinosa, *Anemone ranunculoides, Carex pendula, Carex remota, *Carex strigosa, *Cuscuta europaea, *Equisetum hyemale, Fraxinus angustifolia, Fraxinus excelsior, *Hesperis matronalis, Humulus lupulus, Lathraea clandestina, *Paris quadrifolia, *Petasites hybridus, *Prunus padus, Ribes rubrum, Rubus caesius, Rumex sanguineus, Viburnum opulus
[plante1] (Acer negundo), Adoxa moschatellina, Agrostis stolonifera, Allium ursinum, Angelica sylvestris, Brachypodium silvaticum, Caltha palustris, Calystegia sepium, Cardamine pratensis, Carex acutiformis, Carex cuprina, Carex pseudocyperus, Carex riparia, Circaea lutetiana, Cornus sanguinea, Corylus avellana, Crataegus monogyna, Equisetum telmateia, *Erysimum cheiranthoides, Eupatorium cannabinum, Evonymus europaeus, Festuca gigantea, Filipendula ulmaria, *Fritillaria meleagris, Galium palustre, Geum urbanum, Glechoma hederacea, (Impatiens glandulifera), *Impatiens noli-tangere, Iris pseudacorus, Lamium galeobdolon, Listera ovata, Lycopus europaeus, Lysimachia nummularia, Lythrum salicaria, Malachium aquaticum, Mentha aquatica, Myosotis scorpioides, Phalaris arundinacea, *Primula elatior, Ranunculus repens, (Reynoutria japonica), Rhamnus catharticus, (Robinia pseudacacia), Salix atrocinerea, Sambucus nigra, Scutellaria galericulata, (Sicyos angulatus), (Solidago canadensis), Solanum dulcamara, Symphytum officinale, Ulmus minor, Urtica dioica
[mammiferes] Arvicola sapidus, Castor fiber, Lutra lutra, Mustela lutreola, Neomys fodiens
[oiseaux] Alcedo atthis, Ardea cinerea, Falco subbuteo, Milvus migrans, Motacilla cinerea, Muscicapa striata, Nycticorax nycticorax, Oriolus oriolus, Picus canus
[coleopteres] Leptura quadrifasciata, Rosalia alpina, Xylotrechus rusticus
[lepidopteres] Apatura ilia, Apatura iris, Arashnia levana, Nymphalis antiopa
[orthopteres] Conocephalus discolor, Meconema thalassinum, Pteronemobius heydenii, Pteronemobius lineolatus, Tetrix subulata
[champignons] Inocybe lanuginosa, Lactarius lacunarum
[briophytes] Amblystegium riparium, Climacium dendroides, Dialytrichia mucronata, Eurhynchium hians, Eurhynchium stokesii, Leskea polycarpa, Lunularia cruciata, Pellia endiviifolia, Plagiomnium undulatum, Scleropodium cespitans, Thuidium tamariscinum

Valeur biologique

L’aulnaie-frênaie alluviale non marécageuse est considérée comme un habitat menacé en Europe et figure à l’Annexe I de la Directive 92/43/CEE, dite « Directive Habitats », comme habitat menacé prioritaire. Il s’agit en effet le plus souvent d’un habitat relictuel dont les surfaces aujourd’hui sont résiduelles et qui a subi des pressions anthropiques très fortes au cours des âges. Sur le plan botanique, elle constitue l’habitat exclusif de plusieurs espèces de répartition plutôt eurosibérienne et qui, dans notre région, se cantonnent par compensation climatique, dans des biotopes à tendance fraîche et humide : c’est le cas de la Parisette Paris quadrifolia dont toutes les stations poitou-charentaises sont localisées au 44.3, de l’Anémone fausse-renoncule Anemone ranunculoides, connue d’une unique aulnaie-frênaie de l’ouest de la Charente, du Pétasite hybride Petasites hybridus des bords de la Touvre ou encore du Cerisier à grappes Prunus padus dans l’est de la Charente. Des espèces globalement rares dans l’ouest, comme la Balsamine des bois Impatiens noli-tangere ou la Primevère élevée Primula elatior, y ont également leurs plus belles stations régionales.

L’intérêt faunistique de l’habitat est aussi très élevé, lorsqu’il forme des complexes avec certains cours d’eau, comme zone de refuge pour des mammifères très menacés tels que le Vison d’Europe ou la Loutre ou, tout récemment, pour le Castor européen qui commence à recoloniser les rives de la Vienne à partir du bassin de la Loire. Plusieurs espèces d’oiseaux menacées comme le Milan noir ou le Martin-pêcheur, ou simplement spectaculaires comme le Loriot, y nichent régulièrement. Parmi les invertébrés, l’habitat, riche en vieux arbres troués de cavités, constitue le milieu électif de la Rosalie des Alpes, un des plus beaux coléoptères longicornes de France, considéré comme menacé en Europe et des papillons spécialisés comme le Petit Mars changeant y élisent domicile.

Menaces

L’aulnaie-frênaie-alluviale a subi de multiples destructions et dégradations au cours des siècles passés, tant directes – déforestation et transformation en prairies ou en cultures céréalières (maïs), substitution par des plantations de peupliers, coupes trop sévères – qu’indirectes : modification de la dynamique du cours d’eau réduisant les crues, enfoncement durable de la nappe. L’habitat est çà et là le lieu d’implantation et de multiplication d’espèces végétales invasives – Erable négundo, Balsamine de l’Himalaya, Renouée du Japon, Solidage du Canada – qui banalisent la flore et sont susceptibles de gêner par concurrence la survie des espèces autochtones.

Statut régional

L’habitat est répandu sous forme fragmentaire en bordure des cours d’eau de la région mais les grands ensembles spatiaux sont devenus très rares et figurent généralement aux grands inventaires de flore, d’habitats et de faune : ZNIEFF, ZICO, réseau NATURA 2000 ;

16 : moyenne vallée de la Charente (de Ruffec à Cognac)

17 : moyenne vallée de la Charente (de Cognac à Saintes), basses vallées de la Boutonne et de la Seugne

79 : vallées de la Boutonne, de l’Autize, de la Sèvre, du Thouet

86 : vallées de la Vienne, de la Gartempe, du Clain, de la Creuse