Fourrés des prés salés

Rédacteur : Jean Terrisse

Physionomie-écologie

En situations primaires, l’habitat existe sur les hauts schorres des fonds de baies dans la zone atteinte seulement par les hautes mers de vives eaux (coefficients de l’ordre de 90-100), sous la forme d’une frange plus ou moins large. En situations secondaires, dans les marais endigués, ses occurrences sont plus variables : linéaires le long des étiers ou en bordure de bassins salicoles ou conchylicoles récemment abandonnés ou encore exploités mais à gestion des rives peu intensive, voire peuplements spatiaux colonisant la totalité d’un ancien bassin lorsque l’hydraulique permet encore des arrivées occasionnelles d’eau marine. Le substrat est assez variable : généralement vaseux à sablo-vaseux, parfois enrichi en débris coquilliers (notamment dans les situations secondaires) ou en débris organiques grâce aux laisses de mer déposées par les grandes marées (situations primaires), il présente en général des périodes de dessication marquée en été.
Physionomiquement, il s’agit de fourrés bas à moyens (50cm à 150cm), dominés, selon les faciès, par l’une ou l’autre de 2 Chénopodiacées sous-frutescentes et crassulescentes :

  • la Salicorne ligneuse Sarcocornia fruticosa est un sous-arbrisseau méditerranéen-atlantique (limite nord en Bretagne), à nombreux rameaux dressés formant un buisson de couleur glauque caractéristique ;
  • la Soude arbrisseau Suaeda vera est un sous-arbrisseau de répartition également méditerranéenne-atlantique (mais qui remonte sporadiquement jusque sur le littoral de la Manche en Normandie), à nombreuses feuilles linéaires, subcylindriques et charnues.
    La stratification verticale est en général assez marquée, une strate herbacée ou ligneuse basse d’Agropyre piquant Elymus pycnanthus ou d’Obione Halimione portulacoides assurant la couverture du sol entre les arbustes.

    La phénologie, comme souvent pour les habitats de prés salés, est tardive, la floraison commençant en août et pouvant se prolonger jusqu’en octobre. La pollinisation est assurée par le vent (anémogamie) et la dispersion des semences par l’eau de mer (hydrochorie).

En Poitou-Charentes, l’habitat est représenté par 2 communautés végétales distinctes :

  • la communauté à Puccinellie maritime et Salicorne ligneuse (PUCCINELLIO MARITIMAE-SALICORNIETUM FRUTICOSAE), sur substrats sablo-vaseux du haut schorre ; plus halophile que nitrophile, elle succède dans le temps aux – ou se trouve en contact spatial supérieur avec les – nappes argentées d’Obione faux-pourpier qui couvrent de vastes surfaces sur les plateaux du moyen schorre ;
  • la communauté à Soude arbrisseau et Agropyre piquant (AGROPYRO PUNGENTIS-SUAEDETUM VERAE), à l’extrême limite supérieure du haut schorre, sur substrats très bien drainés (parfois sur sables purs), généralement enrichis en matière organique ; cette association, assez fortement nitrophile, marque en général la limite d’influence des marées et souligne d’un linéaire vert sombre la frontière entre les végétations de prés salés et les habitats plus continentaux. Elle est aussi très fréquente, à l’intérieur des digues, dans les marais ostréicoles ou salicoles, frangeant les bassins dont l’entretien est suffisamment extensif pour permettre le développement de la végétation ligneuse.

Phytosociologie et correspondances typologiques

PVF 2004

SALICORNIETEA FRUTICOSAE Br. Bl. & Tüxen 1943

SALICORNIETALIA FRUTICOSAE Br. Bl. 1933

  • Halimionion portulacoidis Géhu 1976
    • PUCCINELLIO MARITIMAE-SALICORNIETUM FRUTICOSAE
    • AGROPYRO PUNGENTIS-SUAEDETUM VERAE

COR 1991

  • 15.623 Fourrés atlantiques d’arbrisseaux à Suaeda vera
  • 15.624 Fourrés atlantiques d’arbustes à Arthrocnemum

Directive Habitats 1992 et Cahiers d’habitats

  • 1420 Fourrés halophiles méditerranéens et thermo-atlantiques
    • 1420-1 Fourrés halophiles thermo-atlantiques

Confusions possibles

Sa structure et ses espèces ligneuses dominantes permettent en général d’éviter toute confusion. Une variété couchée de Sarcocornia fruticosa ressemble toutefois beaucoup à Sarcocornia perennis : la position le long du gradient topographique du pré salé, les espèces compagnes et, le cas échéant, l’observation des graines (tuberculeuses chez S.fruticosa, pubescentes chez S.perennis) permettent en général de trancher sur l’identité de l’habitat.

Des situations intermédiaires, d’interprétation délicate, semblent exister entre la communauté à Soude arbrisseau et Agropyre piquant et la prairie glauque à Agropyre piquant (habitat 15.3) : la dominance de l’un ou l’autre des types biologiques – chaméphyte ligneux dans le premier, géophyte à rhizome dans le second – est alors un bon guide pour trancher, de même que la présence d’espèces compagnes différentielles.

Dynamique

La dynamique naturelle interne de l’habitat est très faible du fait des fortes contraintes écologiques ; les liens observés entre les différentes communautés du schorre sont donc plus de l’ordre du simple contact spatial que l’indice d’une possible dynamique.

Espèces indicatrices

[plante2] Elymus pycnanthus, Sarcocornia fruticosa, Suaeda vera
[plante1] Halimione portulacoides, Puccinellia maritima, Sarcocornia perennis
[oiseaux] Carduelis cannabina, Luscinia svecica namnetum
[orthopteres] Epacromius tergestinus

Valeur biologique

La communauté à Puccinellie maritime et Salicorne ligneuse est inscrite au Livre Rouge des Phytocénoses terrestres du littoral français (catégorie UICN : « Vulnérable ») et considérée comme « en régression par les aménagements de salines et de bassins ostréicoles ». L’habitat – dans son ensemble – est considéré comme menacé en Europe et figure à l’Annexe I de la Directive 92/43/CEE dite « Directive Habitats ».
Sur le plan botanique, aucune espèce de forte valeur patrimoniale n’est connue régionalement au sein de l’habitat.

Menaces

La communauté à Puccinellie maritime et Salicorne ligneuse nécessite pour son développement l’existence de longues séquences d’atterrissement de prés salés qui permettent la pleine expression du gradient décroissant de submersion par les eaux marines. De telles séquences sont devenues rares sur le littoral de Charente-Maritime où la partie supérieure des séries est généralement tronquée par l’existence de digues. La communauté se retrouve également dans les marais aménagés mais est alors souvent réduite à un mince linéaire le long de certains bassins et, en général, avec une composition floristique moins typique. Dans certains cas exceptionnels toutefois d’abandon de marais aménagés, ni trop récent ni trop ancien, le PUCCINELLIO-SALICORNIETUM FRUTICOSAE peut couvrir la totalité du fond de certains bassins : il s’agit cependant d’une situation éphémère, condamnée à évoluer en quelques décennies vers des habitats plus « continentalisés » avec la ruine du réseau hydraulique, la cessation des arrivées d’eau marine et l’influence des eaux de pluie collectées par le bassin.
La communauté à Soude arbrisseau et Agropyre piquant ne semble en revanche pas directement menacée : elle s’adapte bien aux modifications d’habitats et s’implante facilement dans les marais aménagés, à condition toutefois que l’entretien ne soit pas trop « sévère ».

Statut régional

Habitat présent potentiellement sur l’ensemble de la frange littorale de Charente-Maritime et de ses îles. La communauté primaire à Salicorne ligneuse n’existe toutefois que dans certains sites privilégiés, surtout insulaires, où les séquences ne sont pas tronquées par l’endiguement :

17 : baie de Bonne Anse, pointe sud de l’île d’Oléron, Fier d’Ars (île de Ré)