Eau avec végétation immergée non vasculaire

Rédacteur : Olivier Collober

Physionomie-écologie

L’habitat « Eau avec végétation immergée non vasculaire » appartient sur le plan structurel aux habitats constituant la strate inférieure de la végétation aquatique des eaux calmes. Il se présente sous la forme de tapis entièrement immergés ou affleurants, de taille et de profondeur variables (de 20 centimètres jusqu’à 20 mètres), fixés sur le fonds des eaux dormantes, claires et généralement permanentes.

Cet habitat est constitué exclusivement par un ou plusieurs hydrophytes non vasculaires – des algues – ce qui le distingue de l’habitat « Eau avec végétation immergée vasculaire » (22-42). Cette différenciation d’ordre biologique réunit dans le même habitat les espèces d’une seule et même famille de plantes aquatiques, les characées, appartenant à un groupe primitif de végétaux, les charophytes, caractérisé par l’absence de tissus vasculaires ainsi que par certains modes de développement et de multiplication spécifiques (oospores, bulbilles) et présentant la particularité de fixer certains minéraux comme le calcaire. En revanche, les éléments de différenciation morphologique entre les espèces au sein des genres Chara et Nitella sont beaucoup plus complexes, ce qui rend leur classification délicate et nous conduit à considérer d’autres caractères communs. D’une manière générale, ces espèces indicatrices sont toutes annuelles, relativement thermophiles, à développement printanier ou estival, plus rarement automnal, toujours héliophiles, souvent exclusives, pouvant alors constituer des populations denses monospécifiques, parfois sociables, dans ce cas toujours organisées en tapis distincts au sein du même milieu, et particulièrement dépendantes de la qualité et de la stagnation de l’eau. La plupart des espèces de characées ont néanmoins développé des adaptations propres en fonction de la permanence ou non de l’eau et du pH ou de la nature du substrat (sable, graviers, limons, tourbe…).
Ainsi, les localisations préférentielles de l’habitat concernent des milieux de nature et de dimensions très variables mais généralement récents : étangs, mares, fossés, bas marais ou landes, bras déconnectés de rivières, dépressions de carrières ou encore ornières de chemin ; les conditions sont ensoleillées ou semi ombragées, le contexte basique, les eaux neutres à faiblement acides et toujours oligo-mésotrophes, c’est-à-dire relativement pauvres en matières nutritives. De simples flaques ou trous d’eau effectués sur des milieux peu pollués mais plus évolués (exploitation de tourbe, coupes forestières) permettent la réapparition de ces tapis.

En Poitou-Charentes, deux ensembles distincts sont identifiables ;

  • les communautés des eaux permanentes, riches en calcaire et peu polluées présentes dans les grands marais de plaines, parfois tourbeux, constituent l’habitat le plus représentatif (Charion fragilis). D’autres espèces et associations basiphiles dépendent de conditions neutres à légèrement eutrophes et plus temporaires (Charion vulgaris).
  • les communautés des eaux permanentes des étangs, mares, carrières, ornières de coupes forestières qui abritent les espèces et associations des eaux oligo-mésotrophes sur substrats acides (Nitellion flexilis), tels que les étangs à Littorelles ou les landes humides.
    D’autres espèces se rencontrent également dans les mares dunaires ou les eaux salées et subsaumâtres (espèces halophiles). Mais ces dernières, du fait de la spécificité des habitats auxquels elles se rattachent respectivement, ne sont pas retenues dans l’habitat élémentaire « Eau avec végétation immergée non vasculaire » qui se limite uniquement aux tapis de Characées des eaux douces de l’intérieur des terres.

Phytosociologie et correspondances

PVF 2004

CHARETEA FRAGILIS F. Fukarek ex Krausch 1964 : herbiers d’algues enracinées, pionniers, des eaux calmes, douces à saumâtres, claires, oligotrophes à méso-eutrophes, généralement pauci- à monospécifiques.

  • Nitelletalia flexilis Segal et Krausel 1969 : communautés des eaux « molles », acides à neutres, oligocalciques à mésocalciques.
  • Charetalia hispidae Sauer ex Krausch 1964 : communautés des eaux « dures », mésotrophes à méso-eutrophes, basiques et souvent calciques, pauvres en phosphates.

COR 1991

  • 22. 44 Tapis immergés de Characées (Charatea fragilis)
    • 22.441 Tapis de Chara
    • 22.442 Tapis de Nitella (Sphagno-Utricularion)

Directive Habitats 1992 et Cahiers d’habitats

  • 3140-1 « Communautés à characées des eaux oligo-mésotrophes basiques »
  • 3140-2 « Communautés à characées des eaux oligo-mésotrophes faiblement acides à faiblement alcalines »

Confusions possibles

En raison du type biologique des espèces indicatrices (hydrophytes non vasculaires) et de la physionomie de cet habitat (formations denses et immergées), il ne peut être confondu avec un autre. Cependant, en présence de formations des eaux saumâtres ou salées (22-12) ou de mares dunaires (16-31), il convient de les rattacher à ces habitats respectifs.

Par ailleurs, l’existence de plantes vasculaires associées ou au contact des massifs de characées marque un stade transitoire dans la dynamique végétale. Dans ce cas, il conviendra d’apprécier en fonction des espèces présentes et de l’importance des populations celui des habitats qui correspond le mieux.

Espèces indicatrices

[algues] Eaux basiques : Chara aspera, Chara connivens, Chara globularis, Chara hispida, Chara major, Chara vulgaris, Nitellopsis obtusa, Tolypella glomerata
Eaux neutro-acidoclines : Chara braunii, Chara delicatula, Chara fragifera, Nitella flexilis, Nitella gracilis, Nitella hyalina, Nitella mucronata, Nitella opaca, Nitella syncarpa, Nitella tenuissima, Nitella translucens, Tolypella intricata
Eaux saumâtres : Chara baltica, Chara canescens, Chara galioides, Lamprothamnium pappulosum, Tolypella nidifica
Eaux très eutrophisées : Chara vulgaris, Chara connivens
[amphibiens] Lissotriton helveticus, Rana temporaria, Triturus cristatus, Triturus marmoratus
[odonates] Anax imperator, Coenagrion scitulum, Orthetrum spp, Sympetrum spp.

Dynamique

Les formations de characées représentent un stade pionnier et précaire dans la dynamique progressive de la végétation des eaux calmes.

Disposant d’un assez fort pouvoir colonisateur, les characées sont souvent les premières macrophytes à investir les milieux neufs où elles peuvent alors recouvrir des surfaces importantes. Étant par ailleurs peu limités par la profondeur, les tapis de characées peuvent assez rapidement constituer de véritables prairies immergées tapissant le fond des eaux claires stagnantes.

En présence de plusieurs espèces indicatrices, la compétition profite à celles de taille plus grande, obligeant les autres à un déplacement vers les marges encore libres. Certaines espèces de plus petite taille parviennent néanmoins à coexister par places en raison d’un développement plus précoce.

La colonisation totale du milieu par une ou plusieurs de ces espèces constitue le stade d’évolution optimal de cet habitat et peut parfois se maintenir durablement dans cette configuration.

Cependant, ces espèces, héliophiles, sont à plus ou moins long terme concurrencées par les hydrophytes vasculaires immergées ou flottantes, mieux adaptées et plus compétitives. L’immixtion ou la présence de telles espèces, associées ou au contact des tapis de characées, marque ainsi un stade transitoire qui préfigure leur éviction progressive.

Cette disparition intervient de manière plus ou moins rapide en fonction de la superficie du milieu, de la permanence ou de la profondeur d’eau, du niveau trophique (acide ou basique) et de la dynamique propre des formations végétales avec lesquelles les characées sont en compétition.

Valeur biologique

En raison de leur place dans la dynamique naturelle de la végétation des eaux calmes (espèces ou associations pionnières voir éphémères), les populations de characées sont naturellement peu courantes et, selon le stade d’évolution du milieu, peuvent occuper des espaces relativement restreints.

De plus, ces formations ont des exigences écologiques propres qui les rendent très dépendantes de la qualité, de la clarté ou de la permanence de l’eau et de la nature du substrat. Véritable indicateur biologique, la présence de characées témoigne en soi de l’intérêt potentiel du milieu pour des espèces de plantes vasculaires des eaux oligo-mésotrophes basiques à acides, elles-mêmes patrimoniales.
Pour ces raisons notamment, les formations de characées denses ou diversifiées ont une valeur patrimoniale élevée. Dans cette configuration, elles sont devenues rares ou très rares (selon les espèces) et constituent des stations souvent réduites et menacées, en régression à l’échelle régionale.

En outre, à l’instar des formations immergées vasculaires, les massifs ou prairies de characées assurent la fonction d’habitat pour beaucoup d’espèces faunistiques (odonates, coléoptères…) et sont un lieu de reproduction privilégié pour les amphibiens (tritons, grenouilles) dont beaucoup sont également vulnérables en Poitou-Charentes.

Menaces

Indépendamment de la compétition entre les espèces floristiques, qui aboutit au remplacement plus ou moins lentement des tapis de characées par des espèces vasculaires, l’habitat est, à plus court terme, directement menacé par toute altération des facteurs écologiques dont il dépend.
Parmi les causes majeures de la régression ou de la disparition de ces tapis, la pollution des eaux par les herbicides et les engrais (nitrates et phosphates) est prédominante, la plupart des Characées étant très sensibles à l’eutrophisation. Certains modes de gestion des plans d’eau, comme le chaulage ou l’exploitation intensive, qui agissent sur le pH ou sur la clarté de l’eau, ou au contraire l’absence d’intervention humaine entraînant un envasement progressif, sont également défavorables au maintien des tapis de characées.

Par ailleurs, cet habitat est particulièrement touché par la prolifération d’espèces invasives telles que l’Ecrevisse de Louisiane (Procambarus clarkii). Ce crustacé consomme massivement des characées en période de mue et peut à lui seul décimer des populations entières. Il représente actuellement la principale menace pour les formations présentes dans les milieux encore relativement préservés de toute pollution (complexes tourbeux). La conservation de cet habitat passera en priorité par la maîtrise des apports organiques, la régulation des herbiers compétitifs et la lutte contre les espèces invasives avérées.

Statut régional

Habitat dont les variations régionales sont aujourd’hui mal connues mais qui semble très disséminé sur l’ensemble de la région.

ATTENTION : la version papier complète du Guide des habitats, soit 476 pages en couleur au format 17×24 cm au prix de 35 €, prix public, vient de paraître fin octobre 2012. Si vous êtes intéressé pour avoir toutes ces fiches sous la main en permanence, allez télécharger le bon de commande à la page Publications PCN, contactez-nous dès maintenant en cliquant ici pour nous envoyer un mail ou appelez-nous au 05 49 88 99 23.