Prairie humide méditerranéenne à Scirpe en boule

Rédacteur : Jean Terrisse

Physionomie -écologie

Physionomiquement, l’habitat a une structure de prairie hygrophile moyenne à haute (jusqu’à plus d’1m), plus ou moins ouverte et laissant voir le substrat entre les touffes des Cypéracées, des Joncacées ou des Graminées dominantes. La localisation topographique de l’habitat varie en fonction des 2 sous-types rencontrés dans la région : dépressions humides en arrière de systèmes dunaires vivants (Oléron) ou fossiles (baie d’Yves), ou cuvette dans des dépôts de la fin du Cénomanien (Cadeuil). Le substrat est à dominante sableuse – sables riches en calcite coquillère dans le 1er cas, sables quartzeux colorés par les oxydes de fer, de manganèse et de titane dans le second -, imprégné durant l’hiver et au début du printemps par une nappe fluctuante d’eau chargée en calcaire. La fraction organique est variable mais en principe faible (pas d’accumulation tourbeuse comme dans les bas-marais ou les tourbières), en raison du fort battement estival de la nappe et du pH élevé qui favorisent l’activité microbiologique et la minéralisation de la litière. La végétation est souvent structurée en mosaïque ouverte où de petites plantes annuelles à cycle court, très dépendantes des variations interannuelles de la nappe, forment parfois de micro pelouses fugaces au sein des touffes de joncs, de scirpes et de laîches. Celles-là connaissent surtout un développement printanier et disparaissent rapidement et à mesure de l’aggravation du déficit hydrique estival.

Régionalement, l’habitat se décline en 2 sous-types :

– au sein de dépressions interdunaires sub-inondables : communauté à Scirpe jonc et Choin noirâtre (HOLOSCHOENO-SCHOENETUM NIGRICANTIS) des situations primaires, avec accumulations organiques plus ou moins nettes (île d’Oléron), ou communauté à Samole de Valérand et Scirpe jonc (SAMOLO VALERANDI-SCIRPETUM HOLOSCHOENI), des situations secondaires (anciennes carrières de sable) sans accumulation organique (baie d’Yves) ; dans les 2 cas, l’habitat est en contact latéral avec ceux de la xérosère dunaire (dunes grises de Gascogne à Immortelle, Raisin de mer, Armoise de Lloyd) et, parfois (forêt de St Trojan à Oléron) en lien dynamique avec des aulnaies arrière-dunaires ; Les micro-pelouses à thérophytes associées, très originales, sont riches en Gentianacées – divers Blackstonia et Centaurium, dont autrefois Centaurium chloodes, aujourd’hui considérée comme disparue et au bord de l’extinction en France, le Trèfle bardane Trifolium lappaceum…

– au sein de bas-marais sur sables cénomaniens en situation arrière-littorale (le site de Cadeuil, aujourd’hui distant de la mer d’une quinzaine de kilomètres était en situation littorale lors de la transgression flandrienne quaternaire) : communauté à Laîche ponctuée et Scirpe jonc (CARICI PUNCTATAE-SCIRPETUM HOLOSCHONEI), associée à une micro-pelouse thérophytique avec le Scirpe sétacé Scirpus setaceus, la Chlore imperfoliée Blackstonia imperfoliata…

Phytosociologie et correspondances typologiques

PVF 2004

  • MOLINO CAERULEAE-JUNCETEA ACUTIFLORI Br.-Bl. 1950 : prairies hygrophiles à méso-hygrophiles, sur sol oligotrophe à mésotrophe
    • Holoschoenetalia vulgaris Br.-Bl. ex Tchou 1948 : communautés méditerranéennes
  • Molinio arundinacea-Holoschoenion vulgaris Br.-Bl. ex Tchou 1948 : communautés élevées mésohygrophiles méridionales.

COR 1991

  • 37.4 Prairies humides méditerranéennes à grandes herbes

Directive Habitats 1992 et Cahiers d’habitats

  • 6420-1 Prés humides littoraux thermo-atlantiques de Vendée et d’Aunis*(NB : synonyme p.p. avec le 2190-3 : Bas-marais dunaires )
  • 6420-2 Prés humides littoraux thermo-atlantiques des Landes et des Charentes

Confusions possibles

La situation arrière-dunaire du sous-type 6420-1 permet une identification aisée, d’autant plus que l’habitat occupe des cuvettes immédiatement reconnaissables au sein de grands ensembles dunaires. L’identification du sous-type 6420-2 est moins aisée car l’habitat occupe des situations moins typiques et souvent sur des surfaces moindres ; néanmoins, sa localisation sur le site unique de Cadeuil (des mentions en Double charentaise, dans les « landes de Montendre » demanderaient confirmation) doit faciliter les recherches : la présence de taches de Scirpe jonc Scirpus holoschoenus doit alors immédiatement attirer l’attention et stimuler la recherche de Carex punctata que sa couleur verdâtre rend plus cryptique.

Une confusion semble exister cependant sur la position exacte de l’habitat puisque les 2 communautés de l’HOLOSCHOENO-SCHOENETUM et du SAMOLO-SCHOENETUM sont rapportées au 6420-1 dans le Cahier des habitats agropastoraux (vol.2) et au 2190-3 dans le Cahier des habitats côtiers ! Leur rattachement aux habitats dunaires (2190-3) nous paraît logique d’un point de vue écologique global et du fait de leur localisation, alors que leur inféodation aux prairies humides (6420-1) résulte plus d’une approche purement botanique et d’une volonté de rapprocher dans une même entité ces 2 groupements du CARICI-SCIRPETUM aux côtés desquels ils voisinent en effet dans le synsystème phytosociologique. Le problème est identique à celui des forêts littorales à Pin maritime et Chêne vert qui peuvent être indifféremment classées avec les dunes (approche écologique), ou avec les forêts de conifères (approche floristique).

Dynamique

Pour le 6420-1 : en situations primaires sables (dunes d’Oléron), la dynamique semble très faible, du moins tant que la nappe aquifère garde un fonctionnement naturel (battement saisonnier lié aux seules variations de la pluviométrie) ; dans les situations secondaires où l’habitat s’est reconstitué sur le site d’anciennes carrières de sable creusées dans des cordons dunaires fossiles (baie d’Yves), une nette tendance à l’embroussaillement a lieu, tant par le haut, avec des espèces de fruticée méso-xérophile (Troëne, ronces, Aubépine monogyne), que vers le bas avec la forte dynamique du Saule roux dont les semences ont bénéficié de la mise à nu des sables lors de l’exploitation pour s’implanter.

Pour le 6420-2 : les sables de Cadeuil sont aujourd’hui activement exploités et les grandes fosses d’extraction qui trouent le site ont une double influence sur l’habitat ; directe, par la destruction de surfaces significatives (comme cela a été le cas au cours de la dernière décennie pour des secteurs situés à l’est de la route Rochefort-Royan) ; indirecte, par rabattement de la nappe, dont les effets peuvent se faire sentir, comme l’a montré une étude hydro-géologique, jusqu’à plus d’1 kilomètre du front de taille. L’assèchement du substrat peut alors entraîner une altération de la flore et, surtout, l’invasion de l’habitat par des espèces moins hygrophiles mais plus compétitives qui finiront par provoquer sa destruction.

Espèces indicatrices

[plante2] Anagalis tenella, *Blackstonia imperfoliata, Calamagrostis epigeios, Carex flacca, *Carex punctata, *Carex scandinavica, *Dactylorhiza incarnata, *Epipactis palustris, Hydrocotyle vulgaris, *Juncus anceps, Juncus maritimus, Juncus subnodulosus, *Liparis loeselii, *Salix arenaria, Samolus valerandi, Scirpus holoschoenus, *Sonchus maritimus, *Spiranthes aestivalis, *Teucrium scordium ssp.scordioides, *Trifolium lappaceum
[plante1] Agrostis stolonifera, *Anacamptis coriophora ssp.fragrans, *Anacamptis palustris, Blackstonia perfoliata, Carex arenaria, Centaurium erythraea, Centaurium pulchellum, Cladium mariscus, Cynodon dactylon, Epilobium parviflorum, Juncus articulatus, Juncus inflexus, *Juncus striatus, Lotus tenuis, Lotus uliginosus, Lysimachia vulgaris, Lythrum salicaria, Mentha suaveolens, Molinia caerulea, Parentucellia viscosa, Phragmites australis, Potentilla reptans, Pulicaria dysenterica, Ranunculus flammula, Ranunculus sardous, Schoenus nigricans, Scirpus setaceus
[amphibiens] Hyla meridionalis, Pelobates cultripes

Valeur biologique

La prairie humide méditerranéenne est considérée comme un habitat menacé en Europe et figure à l’Annexe I de la Directive 92/43/CEE, dite « Directive Habitats ». En Poitou-Charentes, elle n’est présente que dans quelques rares sites du littoral de Charente-Maritime où les surfaces couvertes sont infimes (probablement pas plus de 20 ou 30 hectares en tout).

Sur le plan floristique, l’habitat présente une valeur très élevée comme biotope pour de nombreuses plantes rares ou menacées : le Liparis de Loesel Liparis loeselii y possède son unique localité régionale et l’Orchis odorant Anacamptis coriophora fragrans ou le Spiranthe d’été Spiranthes aestivalis leurs plus belles populations ; il est le « centre de dispersion » en Poitou-Charentes pour des plantes à l’écologie spécialisée comme le Jonc à 2 tranchants Juncus anceps, la Chlore imperfoliée Blackstonia imperfoliata, la Germandrée faux-scordium Teucrium scordioides ou le Trèfle bardane Trifolium lappaceum. Il était enfin le biotope de la Petite centaurée à fleurs serrées Centaurium chloodes, dont 153 pieds étaient encore comptés en 1963 en arrière de la baie de Bonne Anse, mais disparue depuis par l’invasion du milieu par le Séneçon en arbre, et considérée comme au bord de l’extinction en France (dernières stations dans les Landes et les Basses-Pyrénées).

Lorsqu’il est associé à des mares, l’habitat est fréquenté par le Crapaud à couteau Pelobates cultripes, un amphibien très localisé en France et inscrit à l’annexe II de la Directive Habitats.

Menaces

Bien que la plupart des sites abritant l’habitat bénéficient de mesures de protection et/ou de gestion conservatoire, celui-ci possède une grande sensibilité intrinsèque aux variations de certains facteurs, au premier rang desquels le fonctionnement hydrique : toute cause altérant ce fonctionnement – enfoncement excessif et prolongé de la nappe, pollution, eutrophisation par les intrants agricoles, salinisation – est susceptible d’avoir de sévères répercussions : altération des cycles bio-géochimiques, altération de la flore, stimulation de la dynamique etc. De ce point de vue, l’implantation de carrières (ou l’extension de carrières existantes) a un impact catastrophique sur l’habitat.

La plantation d’arbres (peupliers dans certaines dépressions arrière-dunaires) ou la simple dynamique naturelle dans des systèmes secondaires non stabilisés (SAMOLO-HOLOSCHOENETUM) sont également susceptibles de nuire à son état de conservation. Sur certains sites enfin (baie de bonne Anse) l’implantation de complexes résidentiels (la Palmyre dans les années 60) peut favoriser l’apparition de plantes exogènes invasives, parfois destructrices de l’habitat, comme ici le Séneçon en arbre Baccharis halimifolia.

Statut régional

L’habitat n’existe que sur le littoral de la Charente-Maritime où il est très rare et ne couvre que de toutes petites surfaces. Toutes ses occurrences figurent aux grands inventaires de faune et de flore récents (ZNIEFF, NATURA 2000).

17 : arrière-dunes de la forêt de St Trojan, réserve naturelle du Marais d’Yves, landes de Cadeuil