Fleuves et rivières soumis à marée

Rédacteur : Jean Terrisse

Physionomie-écologie

Géographiquement parlant, un estuaire correspond à la partie aval d’une vallée fluviale subissant le jeu des marées et, sur le plan écologique, à la zone où les eaux salées poussées par le flot rencontrent les – et se mélangent aux – eaux douces en provenance du bassin versant. Cette définition générale ne saurait suffire toutefois à préciser les limites exactes de l’habitat et, de fait, en fonction de critères différents – administratifs, hydrologiques, commerciaux – l’estuaire peut comprendre des enveloppes très différentes :

  • la LTM (Limite Transversale de la Mer) sépare ainsi le DPM (Domaine Public Maritime) du DPF (Domaine Public Fluvial) ; elle oppose ainsi une partie salée de l’estuaire à une partie saumâtre à douce (elle sert par ex. de référence pour définir quelles sont les communes riveraines de la mer au sens de la Loi Littoral) ;
  • la LSE (la limite de salure des eaux), utilisée pour réglementer la chasse et la pêche, sert à définir les communes estuariennes rentrant dans le champ d’intervention du Conservatoire du Littoral ;
  • la limite du front de salinité définie par la zone où la salinité moyenne est égale ou supérieure à 1gr/l règlemente les installations d’ouvrages ayant une forte influence sur le milieu aquatique (loi sur l’Eau, 1992) ;
  • la limite de l’inscription maritime correspond au premier obstacle à la navigation maritime sur un fleuve (en amont, la navigation est fluviale, alors qu’elle est maritime en aval) ;
  • la limite des masses d’eau telles que définies par la Directive Cadre sur l’Eau (« eaux côtières », « eaux de transition » etc..) et qualifiées par les SDAGE (Schémas Directeurs d’Aménagement et de Gestion des Eaux).
    De plus, dans un estuaire, on distingue la marée saline qui correspond à l’extension maximale de l’eau marine et de son mélange avec l’eau douce et la marée dynamique qui correspond à la propagation de l’onde de marée dans la vallée fluviale jusqu’au point où le courant du fleuve vers l’aval n’est plus inversé par les marées.

    Quelle que soit la définition retenue pour l’habitat, l’estuaire apparaît comme un écosystème d’écotone subissant de fortes variations environnementales – salinité, débit, turbidité – selon des fréquences variées (quotidiennes, saisonnières) et qui influent fortement sur les communautés biologiques présentes. La rencontre de flots de directions opposées et de densités différentes entraîne le dépôt de fins sédiments qui forment des replats plus ou moins larges en fonction du profil des berges et de l’importance du marnage.
    La partie purement maritime des estuaires (celle sous l’influence de la marée saline) étant traitée dans une autre fiche (VASIERES ET ESTUAIRES), il ne sera question ici que de la partie amont des estuaires, celle située dans la zone d’influence de la marée dynamique.

    La façade littorale de la région Poitou-Charentes est concernée par 2 estuaires majeurs :

  • l’estuaire de la Gironde : long de 76km (en incluant la partie située en Aquitaine), mesurant jusqu’à 11km de large pour une superficie totale de 635km², c’est le plus grand estuaire français. De faible salinité dans la partie girondine de l’estuaire, les eaux deviennent mésohalines (salinité comprise entre 5-18gr/l) entre Vitrezay et les Monards, et polyhalines (salinité de 18-30gr/l) en aval des Monards, la LTM étant situé au niveau de la Pointe de Suzac ;
  • l’estuaire de la Charente : la limite de pénétration de la marée saline (donc de la partie maritime de l’estuaire) se situe entre Tonnay-Charente et Martrou selon la saison, alors que la marée dynamique se fait naturellement sentir jusqu’à 82km de l’embouchure (jusqu’en Charente) ; cette limite a été descendue vers l’aval à la suite de la mise en service du barrage de St Savinien en 1968 bien que, lors des périodes de vives eaux, le barrage soit ouvert pour éviter la submersion des zones en aval.

L’estuaire de la Seudre constitue le 3ème grand estuaire charentais : ses 25km en aval du barrage de Ribérou à Saujon, sont cependant soumis aux marées salées et appartiennent donc entièrement aux estuaires maritimes (fiche VASIERES ET ESTUAIRES).

Phytosociologie et correspondances typologiques

PVF 2004

RUPPIETEA MARITIMAE J.Tüxen 1960

Végétation enracinée des eaux saumâtres eury- à polyhalines

  • Ruppion maritimae J.Tüxen 1960 : communautés filiformes, hivernales à vernales, souvent desséchées en été
  • Zannichellion pedicellatae Schaminée, B.Lanjouw & Schipper 1992 : communautés poldériennes et sublittorales des eaux oligohalines

POTAMETEA PECTINATI Klika & Novack 1941

Herbiers enracinés, vivaces, des eaux douces à subsaumâtres, mésotrophes à eutrophes, courantes à stagnantes

  • Potamion pectinati (Koch 1926) Libbert 1931 : communautés plus ou moins pionnières
  • Nymphaeion albae Oberdorfer 1957 : communautés complexes

BIDENTETEA TRIPARTITAE Tüxen, Lohmeyer & Preising 1950

Végétation pionnière annuelle et hygrophile des sols enrichis en azote

  • Bidention tripartitae Nordhagen 1940 : communautés des sols limoneux et argileux

COR 1991

  • 13.1 Fleuves et rivières soumis à marée
    • 13.11 Eau saumâtre des cours d’eau soumis à marée
    • 13.12 Eau douce des cours d’eau soumis à marée

Directive Habitats 1992 et Cahiers d’habitats

  • 3260 Rivières des étages planitiaire à montagnard
    • 3260-5 Rivières eutrophes (d’aval), neutre à basiques, dominées par des Renoncules et des Potamots
  • 3270 Rivières avec berges vaseuses
    • 3270-1 Bidention et Chenopodion rubri des rivières hors Loire

Confusions possibles

Le problème majeur vient de la distinction entre la partie maritime des estuaires (13.2) et l’habitat « Fleuves et rivières soumis à marée » (13.1). L’observation de la végétation riveraine constitue le moyen le plus pratique pour séparer les 2 secteurs : on reconnaîtra la partie maritime de l’estuaire à la présence sur les hautes slikkes et les schorres de végétations de prés salés (15.1, 15.2, 15.3, 15.6), la partie seulement saumâtre étant soulignée par la disparition d’espèces aussi significatives que l’Obione et l’Aster maritime et leur remplacement par divers types de roselières dont la plus spectaculaire est la phragmitaie saumâtre à Angélique des estuaires (de Rochefort à Taillebourg).

Espèces indicatrices

[plante2] eau : Ceratophyllum demersum, Myriophyllum spicatum, Potamogeton nodosus, Potamogeton pectinatus
berges : *Angelica heterocarpa, Apium graveolens, (Eleocharis bonariensis), *Oenanthe foucaudii, *Schoenoplectus triqueter
[plante1] eau : *Naias marina, Ruppia maritima, Sparganium emersum, Zanichellia pedicellata
berges : Althaea officinalis, Bidens tripartita, Bolboschoenus maritimus, Calystegia sepium, Leersia oryzoides, Lythrum salicaria, Phalaris arundinacea, Phragmites australis, Polygonum hydropiper, Polygonum lapathifolum, Polygonum mite, Ranunculus sceleratus
[oiseaux] Ardea cinerea, Egretta garzetta, Larus argentatus, L.fuscus, L. marinus, L. michahellis, L. ridibundus, Phalacrocorax carbo
[poissons] Acipenser sturio, Anguilla anguilla, Alosa alosa, Alosa fallax, Dicentrarchus labrax, Gastereosteus aculeatus, Lampetra fluviatilis, Liza ramada, Osmerus eperlanus, Petromyzon marinus, Platichthys flesus, Pomatoschistus minutus, Salmo salar, Salmo trutta, Solea vulgaris, Sprattus sprattus, Syngnathus rostellatus
[crustaces] Crangon crangon, Eriocheir sinensis (exotique), Palaemon longirostris
[mollusques] Assiminea grayana (espèce exotique)

Dynamique

Le déplacement du front de salinité par divers aménagements, la réduction de la remontée de l’onde de marée vers l’amont (construction de barrages) constituent les facteurs les plus perturbants pour l’habitat, de même que l’artificialisation des berges ou la pollution des eaux et des sédiments par les effluents en provenance du bassin versant.

Valeur biologique

Les estuaires constituent des lieux de haute productivité biologique : à l’origine de nombreuses chaînes alimentaires, ils constituent une zone d’alimentation et de reproduction cruciale pour de nombreuses espèces animales et végétales.

Au titre des premières, on retiendra surtout les poissons : la faune piscicole estuarienne, très variée, comprend à la fois des espèces autochtones comme la Gobie buhotte Potamoschistus minutus ou l’Epinoche Gastereosteus aculeatus, des espèces euryhalines (d’origine marine mais tolérant une légère dessalure) telles que la Sole, le Bar, l’Anchois (stades larvaires et juvéniles) et, surtout, des espèces amphihalines : il s’agit de poissons migrateurs qui effectuent une partie de leur cycle en eau douce et une autre en eau salée, le transit plus ou moins long par l’estuaire étant obligatoire. On oppose ainsi les poissons thalassotoques (qui se reproduisent en mer) tels l’Anguille et les poissons potamotoques (qui se reproduisent en eau douce), plus nombreux, tels que le Saumon atlantique, l’Alose feinte, la Grande Alose, la Lamproie marine, la Lamproie fluviatile et, bien sûr, l’Esturgeon d’Europe, le plus célèbre d’entre eux, malheureusement au bord de l’extinction (l’estuaire de la Gironde constitue la dernière population naturelle au monde de cette espèce).
Certaines des végétations latérales de l’estuaire – et sous la dépendance des facteurs écologiques de celui-ci – présentent également un intérêt considérable comme biotope exclusif d’espèces végétales endémiques : c’est le cas de l’Angélique des estuaires Angelica heterocarpa connue seulement des estuaires de la Loire, de la Charente, de la Gironde et de l’Adour, et de l’Oenanthe de Foucaud Oenanthe foucaudii, présent sur les estuaires de la Sèvre Niortaise, de la Charente et de la Gironde. Quant à la Glycérie de Foucaud Puccinellia foucaudii, elle est liée aux prés salés qui bordent la partie maritime de l’estuaire de la Charente.

Menaces

Situés à l’interface entre milieu marin et cours d’eau fluviaux, les estuaires sont des lieux hautement prisés par l’Homme depuis des millénaires et de nombreux aménagements y ont été réalisés au fil des siècles : urbanisation sub-littorale, installations portuaires, endiguements… La navigation, marchande, halieutique ou touristique, parfois importante, peut avoir des effets directs (érosion des berges, pollution) ou indirects (dragages de chenaux de navigation) non négligeables. En tant que réceptacles des pollutions situées en amont, les estuaires sont d’autre part très sensibles à la qualité de la gestion de leur bassin versant. Enfin, de nombreuses activités récréatives – pêche, chasse, tourisme – y sont pratiquées, dont certaines peuvent modifier la physionomie de zones particulières (installation de carrelets, creusement de mares cynégétiques…).

Statut régional

17 : estuaire de la Charente (en amont de Rochefort), estuaire de la Gironde

Roselière saumâtre estuarienne aux environs de Rochefort : l’important marnage entre les hautes et les basses mers de vives-eaux atteint plusieurs mètres

Deux Apiacées endémiques des estuaires franco-atlantiques