Prairie oligotrophe à Molinie

Rédacteur : Olivier Collober

Physionomie -écologie

La Molinie bleue (Molinia caerulea) est une graminée sociale indifférente au pH mais dépendante des sols pauvres en éléments nutritifs et engorgés ou temporairement humides. On la rencontre dans des milieux aussi variés que les bois humides, les bas marais ou les landes humides. Mais elle est surtout une espèce typique des prairies humides non fertilisées soumises à des fluctuations de niveau d’eau qui se développent aux abords des nappes phréatiques. Sa préférence marquée pour les biotopes ouverts et ses exigences écologiques propres (présence d’eau et pauvreté des nutriments) lui ont valu d’attribuer son nom à un habitat élémentaire particulier, la « prairie oligotrophe à Molinie », représenté par une formation herbeuse caractéristique, la Moliniaie.

Du point de vue de sa physionomie, la Moliniaie est une formation relativement basse et diversifiée quand elle est régulièrement entretenue par le pâturage où par la fauche. Elle regroupe alors tout un cortège d’espèces parmi lesquelles la Molinie bleue reste discrète. Par contre, l’arrêt de ces modes d’exploitation profite rapidement à la Molinie qui devient alors dominante, constituant une prairie dense et haute (jusqu’à 1, 50 m), puis exclusive, particulièrement sur les terrains siliceux, pour ne plus former qu’une friche très appauvrie et facilement reconnaissable à ses touffes élevées caractéristiques (touradons).

Du point de vue de sa composition floristique, la prairie oligotrophe à Molinie regroupe de nombreuses associations végétales autour d’un ensemble d’espèces relativement constant, parmi lesquelles des Cypéracées (Carex panicea, Cyperus longus…) mais aussi une assez grande diversité de dicotylédones (Cirsium dissectum, Potentilla erecta, Scorzonera humilis, Succisa pratensis, Valeriana dioïca). Ainsi, en Poitou-Charentes, on dénombre pas moins de 7 variantes différentes selon le pH, les gradients d’atlanticité, de trophisme, de topographie, d’hydromorphie ou encore en fonction de la dynamique végétale. La présence des espèces indicatrices en abondance ou au contraire des espèces discriminantes est donc essentielle pour qualifier l’habitat et le dissocier d’autres groupements où la Molinie bleue, qui dispose d’une relative amplitude écologique, peut être également présente. La classification phytosociologique actuelle regroupe chacune de ces variations spécifiques dans deux grands ensembles déterminés par les conditions édaphiques.

On distingue ainsi plus précisément au niveau régional ;

  • les prairies à Molinie neutres ou basiques (Eu-molinion) présentes sur les sols neutres, calcaires ou marneux, humides et peu perméables, existant au contact des nappes ou en périphérie des bas marais alcalins. Les associations de ces prairies peuvent présenter une forte diversité floristique du fait de la présence possible d’espèces communes avec les pelouses calcicoles mésophiles (34-32) et les bas marais alcalins (54-2) comme par exemple Anacampsis palustris, Dactylorhiza fuchsii, Inula salicina, Galium boreale, Genista tinctoria, Gentiana pneumonanthe, Juncus subnodulosus, Parnassia palustris, ou encore Sanguisorba officinalis.

Les formations régionales les plus caractéristiques concernent les pelouses hygrophiles et thermophiles subméditerranéennes (6410-4) qui occupent les milieux forestiers ouverts (en lisière ou issues de la déforestation) et qui rassemblent :

– le pré à Chlore perfoliée et Silaüs des prés (BLACKSTONIO-SILAETUM SILAI), qui comprend lui-même une variation à Lotier maritime, Lotier fin, Laîche tomenteuse, Cirse acaule et Iris maritime sur les calcaires marneux, une autre variation à Bruyère à balais, Choin noircissant, Peucédan des cerfs et Genêt couché sur terrains sidérolithiques et une troisième variation régionale à Carvi verticillé et Scorsonère humble sur substrat paratourbeux,

– le pré à Potentille rampante et à Canche moyenne (POTENTILLO-DESCHAMPSIETUM MEDIAE) sur les sols marneux plus tassés, association complétée par la Centaurée des prés et la Brunelle à feuille d’hysope.

  • les prairies à Molinie acidiphiles (Junco-Molinion) qui se développent à la marge des zones humides et des étangs sur les terrains primaires (granite, gneiss, schistes, sables…). Le cortège des espèces constantes de ces prairies acidiphiles est constitué par Scorzonera humilis et Cirsium dissectum dans des parties soumises à une relative sècheresse et par Juncus acutiflorus et Carum verticillatum dans les secteurs plus longuement engorgés. Ces associations sont complétées par Cirsium palustre, Galium uliginosum, Lotus uliginosus, Valeriana dioica et par diverses espèces prairiales hygrophiles qui acceptent des sols moyennement oligotrophes à oligotrophes.

Certaines espèces caractéristiques permettent de définir plusieurs sous-types au sein de cet ensemble :

les prés humides et bas marais acidiphiles atlantiques (6410-6) représentatifs des systèmes prairiaux ou tourbeux qui rassemblent le pré à Cirse des anglais et à Scorzonère humble (CIRSIO-SCORZONERETUM HUMILIS), le bas marais à Carvi verticillé et à Joncs à fleurs aigües (CARO-JUNCETUM ACUTIFLORI), le bas marais à Mouron délicat et à Grassette du Portugal (ANAGALLIDO-PINGUICULETUM LUSITANICAE) ;

les pairies ouvertes acidiphiles atlantiques (6410-7) caractéristiques des landes et forêts hygrophiles ouvertes et qui comprennent le pré à Lobélie brûlante et à Agrostide des chiens (LOBELIO-AGROSTIETUM CANINAE) et, peut-être, le pré à Laîche ponctuée et à Agrostide des chiens (CARICI-AGROSTIETUM CANINAE) ;

le pré humide atlantique amphibie (6410-8) qui caractérise les bords d’étangs ou de mares oligotrophes, au-dessus des ceintures amphibies à Littorelle, et qui comprend le bas marais à Canche des marais et à Agrostide des chiens (DESCHAMPSIO-AGROSTIETUM CANINAE) ;

la moliniaie hygrophile atlantique (6410-9) représentative des landes et forêts temporairement humides, dominée par la Molinie bleue et le Carvi verticillé (CARO-MOLINIETUM CAERULEAE) ;

le pré humide thermo-atlantique sur sol à assèchement estival (6410-10) présent dans les landes et forêts temporairement humides, représenté par la moliniaie à Bruyère à balais (ERICO-MOLINETUM CAERULEAE) ;

la moliniaie acidiphile subatlantique à pré-continentale (6410-13) observée dans les landes et forêts ouvertes hygrophiles sur argile et représentée par le pré sub-forestier à Succise des prés et Silaüs des prés (SUCCISO-SILAEETUM SILAI).

Phytosociologie et correspondances typologiques

PVF 2004

  • MOLINIO CAERULAE – JUNCETEA ACUTIFLORI, Br.-Bl. 1950 : prairies hygrophiles à mésohygrophiles sur sol oligotrophe à mésotrophe.
    • Juncion acutiflori Br.-Bl. & Tüxen 1952 : communautés atlantiques sur sol mésotrophe
    • Molinion caeruleae Koch 1926 : communautés sur sol paratourbeux, basique, oligotrophe
    • Deschampsio mediae-Molinion arundinaceae de Foucault 1984 : communautés basses, paratourbeuses, thermophiles

COR 1997

  • 37.22 Prairies à Jonc acutiflore
  • 37. 31 Prairies à Molinie et communautés associées
    • 37. 311 Prairies à Molinie sur calcaire
    • 37. 312 Prairies à Molinie acidiphiles

Directive Habitats 1992 et Cahiers d’habitats

6410 « Prairies à Molinia sur sols calcaires, tourbeux ou argilo-limoneux »

Confusions possibles

La Molinie bleue étant une espèce très compétitive et relativement tolérante aux modifications du régime hydrique, sa seule présence est insuffisante pour qualifier l’habitat. Pour éviter toute confusion avec d’autres groupements, la Molinie doit être accompagnée par les autres espèces indicatrices du cortège. Lorsque ces espèces sont présentes en quantité, l’habitat alors est facilement identifiable. Mais il devient plus difficile à dissocier notamment des autres prairies humides lorsque les espèces indicatrices deviennent moins abondantes suite à la dégradation des facteurs écologiques essentiels à leur maintien, comme par exemple, en cas d’assèchement progressif du milieu (drainage) ou d’apports organiques (eutrophisation).

Par ailleurs, la prairie à Molinie est un habitat parmi d’autres à
l’intérieur des milieux oligotrophes humides. Au sein de cette mosaïque, il est parfois délicat de la différencier des autres groupements avec lesquels elle entre en contact. En outre, elle présente souvent des stades d’évolution ou de transition particulièrement difficiles à discerner et peut alors être aisément confondue avec des groupements très proches qui traduisent une dynamique progressive ou régressive (moliniaie landicole ou moliniaie tourbeuse). A ce titre, en présence de stades très évolués, lorsque la Molinie est devenue presque exclusive, il faut prendre garde à ce qu’elle ne dissimule pas en réalité un autre groupement comme cela peut être le cas, par exemple, sur certains secteurs marneux ou tourbeux dégradés à la suite d’un drainage.

Dynamique

Dans sa configuration type, la prairie oligotrophe à Molinie est le résultat de l’action anthropique dans le processus d’évolution naturelle. Lorsque la prairie n’est plus régulièrement entretenue par le pâturage ou par la fauche, la dynamique végétale conduit au remplacement des espèces prairiales caractéristiques par une friche à Molinie très dense, un groupement paucispécifique presque exclusivement constitué par la Molinie bleue. Ce groupement peut évoluer en lande humide ou plus directement en fourré hygrophile composé de saules, de bouleaux ou de trembles. L’évolution spontanée conduira à terme à l’apparition d’une chênaie oligotrophe.

Mais la dynamique végétale peut être compromise par l’action de l’homme lorsque celui-ci intervient sur les facteurs écologiques permettant l’expression de l’habitat comme par exemple en drainant la parcelle ou en l’amendant. Ces pratiques conduisent au remplacement des espèces indicatrices par d’autres espèces et groupements de valeur patrimoniale moindre sans pour autant faire disparaître la Molinie bleue. Au contraire, la prolifération de la Molinie ou du Jonc acutiflore peut traduire un assèchement ou un enrichissement excessif de la prairie humide acide ou du bas marais au détriment des groupements caractéristiques.

Espèces indicatrices

[plante2] Agrostis canina, *Allium ericetorum, Anacamptis laxiflora, *Carex binervis, Carex flacca, Carex panicea, *Carex punctata, Carum verticillatum, Cirsium dissectum, Cirsium tuberosum, Cyperus longus, *Deschampsia media, *Deschampsia setacea, *Dianthus superbus, *Galium boreale, Galium debile, *Gentiana pneumonanthe, Hydrocotyle vulgaris, Inula salicina, *Iris sibirica, Juncus acutiflorus, *Juncus squarrosus, Juncus subnodulosus, Lobelia urens, Molinia caerulea, *Nardus strica, Pedicularis sylvatica, *Potentilla anglica, Potentilla erecta, Ranunculus flammula, Sanguisorba officinalis, Scorzonera humilis, Scutellaria minor, *Selinum carvifolia, Senecio erucifolius, Serratula tinctoria subsp. tinctoria, Silaum silaus, Succisa pratensis, Veronica scutellata, *Valeriana dioica.
[plante1] *Anacamptis palustris, Angelica sylvestris, Baldelia ranunculoides subsp. reptans, Blackstonia perfoliata, Calluna vulgaris, Carex pallescens, *Carex pulicaris, Carex tomentosa, Centaurea thuillieri, Cirsium palustre, Colchicum autumnale, Dactylorhiza fuchsii, Dactylorhiza maculata, Deschampsia cespitosa, *Drosera intermedia, Eleocharis multicaulis, Eleocharis palustris, *Epilobium palustre, Erica ciliaris, Erica scoparia, Erica tetralix, Galium uliginosum, Genista tinctoria, *Gratiola officinalis, *Iris spuria subsp. maritima, Juncus conglomeratus, Lathyrus pannonicus, Lotus maritimus, Lotus uliginosus, Mentha arvensis, Oenanthe fistulosa, Ophioglossum vulgatum, *Parnassia palustris, Potentilla reptans, *Prunella hyssopifolia, *Pinguicula lusitanica, *Stellaria palustris, *Taraxacum palustre, *Trifolium patens, Ulex minor, Ulex gallii, Viola lactea, *Viola palustris.
[briophytes] Moliniaies neutres ou basiques : Bryum pseudotriquetrum, Calliergonella cuspidata, Campylium stellatum, Drepanocladus lycopodioides, Fissidens adianthoides

Moliniaies acidiphiles : Aulacomnium palustre, Calliergonella cuspidata, Dicranum bonjeanii, Drepanocladus aduncus, Sphagnum auriculatum

[lepidopteres] Coenonympha oedippus, Euphydryas aurinia, Heteropterus morpheus, Maculinea alcon, Maculinea teleius
[orthopteres] Mecostethus parapleurus, Chorthippus parallelus, Metrioptera roeselii, Pteronemobius heydenii, Ruspolia nitidula, Stethophyma grossum
[champignons] Agrocybe pediades

Valeur biologique

Les prairies oligotrophes à Molinie constituent des biotopes semi-naturels dont les surfaces ont considérablement régressé à l’échelle régionale au cours de ces dernières décennies.
D’un point de vue floristique, l’habitat offre une grande diversité notamment dans les milieux calcaires. Il abrite des cortèges d’espèces originaux qui recherchent le mode de fonctionnement hydrique de ces prairies à niveau variable et qui sont très sensibles à l’eutrophisation. Avec 27 espèces figurant sur la Liste Rouge Régionale dont 4 protégées au niveau national et 3 au niveau régional, sa richesse en plantes rares/menacées est exceptionnelle.

D’un point de vue faunistique, les différents types de moliniaies
hébergent également des espèces patrimoniales comme le Damier de la Succise ou l’Azuré des mouillères, deux espèces de papillons emblématiques protégés au niveau national et européen. En outre, ces prairies font partie d’un véritable ensemble fonctionnel avec d’autres habitats de zones humides oligotrophes comme les bas marais, les landes humides ou les tourbières dont l’intérêt patrimonial n’est plus à démontrer.

Pour ces raisons, les prairies oligotrophes à Molinie ont une valeur patrimoniale très élevée. Elles représentent aujourd’hui un habitat rare et disséminé en Poitou-Charentes qui nécessiterait des mesures de préservation strictes.

Menaces

Au siècle dernier, les prairies à Molinie étaient fauchées pour produire un foin de qualité nutritive médiocre ou, plus souvent, pour faire de la litière. Depuis quelques décennies toutefois, ces prairies « maigres » ne correspondent plus aux besoins d’un élevage moderne productif. La valorisation de ces sols pauvres a donc été à l’origine du remplacement presque systématique des prairies à Molinie par des cultures plus rentables et productives impliquant le drainage des parcelles et l’apport d’engrais chimiques et organiques. Les dernières prairies à Molinie qui subsistent encore sont donc menacées par l’évolution des pratiques agricoles et par les modes de gestion qui influent sur le régime hydrique (pompage excessif des nappes phréatiques) ou sur le trophisme (pâturage intensif, épandages, eutrophisation des eaux). A l’inverse, l’absence totale de gestion (déprise) aboutit à la fermeture du milieu et à son boisement progressif.

La conservation de l’habitat passe donc par le maintien de l’alimentation et du niveau d’eau ainsi que par une gestion adaptée (usage agricole extensif) enrayant la dynamique spontanée de la végétation.

Statut régional

L’habitat est très disséminé sur l’ensemble de la région : les sous-types acidiphiles, bien qu’en fort déclin, restent assez répandus alors que le sous-type calcicole est beaucoup plus localisé.

17 : landes de Cadeuil, landes de Montendre, prairies de la Double Saintongeaise

16 : Confolentais, Double Charentaise, Pays Bas (forêt de Jarnac et environs), vallée de la Boême

79 : prairies de Gâtine et de l’Argentonnais, communal de Périgné, communal des Bouasses

86 : Montmorillonnais, vallée de la Bouleur