Parvo-cariçaies neutro-basiclines (bas-marais alcalins)

Rédacteur : David Ollivier

Physionomie – écologie

Les bas-marais alcalins sont liés à une importante alimentation du sol en eau chargée en calcaire, pouvant être méso à oligotrophe et de pH compris entre 6 et 8. Ils sont localisés principalement au sein d’argiles plaquées sur les roches calcaires où le niveau des nappes se maintient toujours relativement proche de la surface du sol malgré de possibles variations saisonnières et se développent sur des substrats divers, le plus souvent humiques ou holorganiques (tourbe à pleurocarpes). L’hydromorphie du sol bloque les processus biologiques d’humification et forme ainsi une sorte d’humus inachevé. Ces conditions édaphiques particulières sont rendues possibles dès lors que la pluviométrie, ou les eaux de ruissellement (liées à la topographie du site), deviennent supérieures à l’évapotranspiration. Or, en région Poitou-Charentes les précipitations sont relativement modérées et seule la topographie va pouvoir conditionner la présence de tourbières alcalines. Ces dernières ne se rencontrent donc qu’à la faveur de sources et de suintements au sein des pentes calcicoles (tourbières soligènes), de dépressions (proches du niveau d’eau des nappes aquifères souterraines) sur sols calcaires ou subissant des influences calcaires par les eaux de ruissellement ou encore et enfin au niveau des marges régulièrement inondées de certaines rivières (tourbières de fond de vallée ou fluviogènes).

Cinq associations végétales, apparentées aux bas-marais alcalins (appartenant à l’alliance Hydrocotylo vulgaris – Schoenion nigricantis) s’observent en Poitou-Charentes. Elles représentent chacune, des stades évolutifs différents, avec une physionomie qui les distingue les unes des autres.

En milieu ouvert, se développent des groupements de petites plantes basses essentiellement non graminiformes telles que Anagallis tenella, Parnassia palustris, Eleocharis quinqueflora (COR 54.2G, Anagallido tenellae-Eleocharetum quinqueflorae, Junco subnodulosi-Pinguiculetum lusitanicae sur tourbes neutro-acidiphiles dénudées).

Le cortège des stades pionniers laisse peu à peu la place au stade optimal des tourbières alcalines où les strates herbacées (Schoenus nigricans) et muscinales sont denses (COR 54.21, Cirsio dissecti-Schoenetum nigricantis ) ou, sur les sols faiblement tourbeux, à des prés tourbeux dominés par le Jonc noueux (Juncus subnodulosus) (COR 54.21, Hydrocotylo vulgaris-Juncetum subnodulosi ).

Il se forme parfois un épais tapis de bryophytes hypnacées, constituant ainsi un bombement sur lesquels on peut rencontrer quelques espèces caractéristiques de ce type de tourbière telles que Schoenoplectus tabernaemontani.

Lorsque le niveau trophique augmente, certains bas-marais alcalins sont rapidement envahis par de « hautes herbes » telles que Lysimachia vulgaris, Lythrum salicaria, Eupatorium cannabinum ou si le sol est très engorgé en eau, par les hélophytes de roselières hautes tels que Phragmites australis, Typha latifolia ou Cladium mariscus conduisant parfois à des peuplements pauvres en espèces (COR 54.2I, Lathyro palustris-Lysimachietum vulgaris ).

Le groupement optimal des bas-marais alcalin, à Choin noirâtre et mousses Pleurocarpes peut être une végétation très riche en espèces avec une majorité d’hémicryptophytes assorties d’un grand nombre de géophytes tels que les orchidées dont certaines peuvent d’ailleurs aussi se rencontrer au sein du Mesobromion des coteaux calcaires (Gymnadenia odoratissima).

Phytosociologie et correspondances typologiques

PVF2004

MOLINIO CAERULEAE-CARICETALIA DAVALLIANAE Julve 83 em.de Foucault 84

Hydrocotylo-vulgaris-Schoenion nigricantis de Foucault 84 em.Julve 89

Anagallido tenellae-Eleocharetum quinqueflorae, Junco subnodulosi-Pinguiculetum lusitanicae, Cirsio dissecti-Schoenetum nigricantis, Hydrocotylo vulgaris-Juncetum subnodulosi

 

CARICETALIA ELATAE Pignatti 53 apud 54

Caricion rostratae (J.duvigneaud 58) Balatova-Tulackova 63

Lathyro-palustris-Lysimachietum vulgaris

 

CORINE 1991

54.21 Bas-marais à Schoenus nigricans (Hydrocotylo-Schoenion nigricantis)

54.2G Bas-marais à petites espèces non graminoïdes (Anagallis, Parnassia)

54.2I Bas-marais envahis par Eupatorium, Lysimachia vulgaris, Cladium, Phragmites.

Directive Habitats 19927230 Tourbières basses alcalines

Confusions possibles

Lorsque cet habitat se présente sous sa forme caractéristique et que le cortège floristique est bien représenté, les risques de confusion sont relativement faibles.
En revanche lorsque le cortège des bas-marais alcalins est appauvri en espèces caractéristiques et envahi par des espèces d’habitats voisins, des erreurs d’interprétation peuvent être alors commises avec les roselières (COR 53.1), les formations à grandes Laîches (COR 53.2), les marais à Cladium mariscus (COR 53.3, UE 7210), les prairies à joncs (notamment prairies à Joncs noueux COR 37.218) ou encore les prairies humides oligotrophes à Molinie sur calcaire (COR 37.311, UE 6410).

Dynamique

Les groupements végétaux des bas marais alcalins dépendent de plusieurs facteurs abiotiques tels que la nature du sol, le niveau trophique, l’hydromorphie et les fluctuations de la nappe ou encore le pH.

Si la nappe se maintient à proximité de la surface, mais observe des fluctuations saisonnières permettant une certaine oxygénation du sol, le cortège des petites plantes basses essentiellement non graminiformes (COR 54.2G, Anagallido

 

tenellae-Eleocharetum quinqueflorae, Junco subnodulosi-Pinguiculetum lusitanicae sur tourbes neutro-acidiphiles dénudées) des bas marais alcalins subit une dynamique progressive qui le conduit vers une formation végétale à Choin noirâtre Schoenus nigricans où les strates herbacée et muscinale sont denses (tourbière optimale, Cirsio dissecti-Schoenetum nigricantis ).

En absence d’entretien, le groupement d’espèces caractéristiques s’appauvrit au profit de formations ligneuses à Saules Salix sp., Aulne glutineux Alnus glutinosa et Bourdaine Frangula alnus. Parfois le Choin noirâtre Schoenus nigricans forme un peuplement très dense, relativement pauvre en espèces ne permettant pas l’installation de tels ligneux.

Un sol très engorgé et une circulation de l’eau superficielle vont être favorables à l’installation de formations à hélophytes de type caricaie-cladiaie avec des peuplements parfois denses de massettes Typha sp., de Roseau Phragmites australis, de Marisque Cladium mariscus ou de grandes Laîches Carex sp.

La modification de l’hydromorphie du sol, souvent liée aux activités humaines (drainage, plantation de peupleraie, prélèvements dans les eaux de surface et dans les nappes pour l’irrigation…) entraîne un assèchement irrémédiable de la tourbe et le groupement végétal caractéristique évolue alors vers des formations végétales généralement plus pauvres de type prairies tourbeuses à Molinie (COR 37.31, UE 6410, Molinion caerulae ) ou dominées par le Jonc noueux Juncus subnodulosus (COR 54.21, Hydrocotylo vulgaris-Juncetum subnodulosi ).

L’assèchement et l’oxygénation du sol lèvent alors partiellement les conditions bloquantes (encore relativement asphyxiques) qui empêchaient le boisement et conduisent ainsi à une formation de type taillis tourbeux à fougères (COR 44.91, Alnion glutinosae ). Ce type boisement peut aussi succéder à la Cladiaie turficole lorsque les ligneux arrivent à s’y implanter.

L’intensification du drainage du sol entraîne une banalisation des milieux et des espèces encore plus accrue conduisant ainsi progressivement à des formes pauvres de la charmaie-chênaie.

Espèces indicatrices

[plante2] *Carex lasiocarpa, Carex lepidocarpa, *Carex mairei, *Dactylorhiza elata, *Epipactis palustris, *Eleocharis quinqueflora, *Eriophorum latifolium, *Liparis loeseli, *Parnassia palustris, *Pinguicula vulgaris
[plante1] Anagallis tenella, Carex hostiana, Carex panicea, Cirsium tuberosum, Cladium mariscus , *Dactylorhiza incarnata, Gymnadenia conopsea, Hydrocotyle vulgaris, Juncus subnodulosus, Molinia caerulea, Oenanthe lachenali, *Orchis palustris, Schoenoplectus tabernaemontani, Schoenus nigricans
[briophytes] Campylium protensum, Campylium stellatum, Cratoneurion filicinum, Drepanocladus lycopioides
[lepidopteres] *Coenonympha oedippus, *Maculinea teleius
[orthopteres] Conocephalus discolor, Pteronemobius heydenii
[mollusques] Vertigo moulinsiana

Valeur biologique

Il s’agit d’un habitat qui a connu une très forte régression au cours du siècle dernier liée au développement d’un certain nombre d’activités humaines.

La plupart des tourbières de la région ont fait l’objet de mesures d’inventaire (ZNIEFF de type 1 et 2) ou ont été intégrées dans les périmètres des Sites d’Intérêt Communautaire (SIC) du réseau Natura 2000, afin d’essayer de garantir leur conservation, ainsi que celle de leur faune et de leur flore.Les tourbières alcalines à leurs différents stades évolutifs (54.21, 24.2G, 54.2I) présentent un très grand intérêt pour de nombreuses espèces végétales et animales très spécialisées, rares et menacées en Poitou-Charentes ainsi qu’à l’échelle nationale telles que la Grassette commune Pinguicula vulgaris, la Linaigrette à feuilles larges Eriophorum latifolium, le Liparis de Loesel Liparis loeseli, la Laîche de Maire Carex mairei, l’Orchis élevé Dactylorhiza elata, le Scirpe pauciflore Eleocharis quinqueflora, l’Azuré de la Sanguisorbe Maculinea teleius.

Menaces

Les espèces végétales rencontrées dans les tourbières alcalines ont souvent des exigences écologiques très strictes, notamment en ce qui concerne la saturation du sol en eau. Les modifications du fonctionnement écologique de leur habitat sont souvent d’origine anthropique et peuvent s’exercer à l’échelle très localisée de la tourbière elle-même (drainage, plantation…) mais aussi parfois à l’échelle plus vaste d’un territoire ou d’un bassin versant (ponctions importantes d’eau dans les nappes et les rivières en amont de la tourbière). Elles vont entraîner la plupart du temps la disparition irréversible de ces espèces rares.
La tourbe active une fois asséchée ne peut plus se réhydrater car l’eau ne peut plus remonter par capillarité jusqu’à la surface qui se trouve ainsi déconnectée de la nappe qui l’alimentait jadis.
Enfin, si l’exploitation manuelle traditionnelle de la tourbe peut parfois présenter quelques intérêts au niveau floristique (rajeunissement du milieu), son exploitation constitue en revanche une menace sérieuse pour la conservation du milieu (utilisation d’herbicides, assèchement total avant extraction…).

Statut régional

Dans la région Poitou-Charentes, ce type de milieu est rare et très disséminé. La plupart du temps présent sur de faibles surfaces, cet habitat se rencontre trop souvent en mauvais état de conservation (relictuel) et dégradé de façon irréversible au profit des activités humaines.

Sites remarquables :

16 : Tourbières de Vendoire (vallée de la Lizonne)
17 : Tourbière de la Châtaigneraie
79 : Tourbière du Bourdet (APPB, Natura 2000 : Marais Poitevin)
86 : Tourbière alcaline Les Régeasses (Montmorillonais), Vallée du Rivau (Pinail)