Prairies pâturées

Rédacteur : Geneviève Gueret

Physionomie – écologie

Les prairies pâturées mésophiles sont dominées par une strate herbacée basse irrégulière. L’aspect est hétérogène, formé de touffes, de taches plus hautes et souvent raides – refus du bétail – et de zones plus rases, plus broutées et piétinées. On repère des traces de déjections. Ces prairies sont entourées de clôtures ou de haies, ces dernières les intègrent dans les paysages de bocage du nord-ouest ou de l’est du Poitou-Charentes. Les troupeaux sont le plus souvent des bovins, parfois des équins, des ovins dans la région de Montmorillon. Ces animaux jouent un rôle important sur l’habitat : ils choisissent leur nourriture, préfèrent les espèces plus tendres, les jeunes pousses et broutent selon leurs caractéristiques propres, les bovins par exemple coupant l’herbe à 10 cm tandis que chevaux et moutons tondent plus ras ; ils agissent également par leurs passages réguliers et leur poids, tassent le sol, réduisent sa porosité et sa perméabilité, favorisent un micro-relief ; des plantes résistantes, généralement vivaces, s’y sont adaptées. Cet habitat présente donc des touffes de Poacées comme la Crételle Cynosurus cristatus, le Ray-grass Lolium perenne, entre lesquelles se développe un tapis de plantes rampantes telles que le Trèfle blanc Trifolium repens et les rosettes de la Pâquerette Bellis perennis ou du Pissenlit Taraxacum officinale. Les espèces nitrophiles comme l’Ortie Urtica dioica, peuvent s’y implanter mais sont généralement délaissées, ainsi que les autres refus : herbes coriaces, âcres (Rumex Rumex sp.) ou toxiques, (Renoncules Ranunculus sp,) parfois buissons ligneux et (ou) épineux (Ronce Rubus gr. fruticosus, Prunellier Prunus spinosa).
Cet habitat est nettement marqué par les actions humaines et la conduite du pâturage est un facteur important de variabilité, notamment la date de mise à l’herbe du bétail, l’espèce animale, la charge, la durée, la fumure. On trouve des prairies régulièrement fertilisées et améliorées (par des sursemis d’espèces à bonne valeur fourragère) en vue d’un pâturage intensif (COR 81.1) ; la strate basse est dense, fermée par les Poacées à croissance rapide avec du Dactyle Dactylis glomerata, des Fétuques Festuca sp, le Ray-grass italien Lolium multiflorum ; entre ces touffes, les Fabacées -Trèfles Trifolium sp.- Luzernes Medicago sp.- profitant de l’ouverture du milieu par le pâturage, s’y développent ; l’ensemble forme une végétation serrée qui laisse peu de place à la flore spontanée. À l’opposé, les pâturages abandonnés (COR 38.13) se présentent comme des prairies envahies de rudérales, souvent piquantes, comme le Chardon des champs Cirsium arvense, et de broussailles ligneuses. En gestion extensive et peu fertilisée, on rencontre des pâturages où domine le Ray-grass anglais Lolium perenne (COR 38.111), fournissant un fourrage régulier tout l’été mais pauvres en espèces, et des pâturages plus riches avec de nombreuses plantes à fleurs, Centaurée de Thuillier Centaurea thuillieri, Renoncule âcre Ranunculus acris (COR 38.112).
Les prairies eutrophes de notre région se rattachent au Bromo-Cynosurenion cristati. Cependant la situation géologique est source de diversité dans le cas des prairies mésophiles : les roches cristallines ou métamorphiques du Massif Armoricain au nord-ouest du PC., et des contreforts du Massif Central à l’est donnent des sols acides favorables aux prairies mésotrophes acidiclines du Polygalo-Cynosurenion et, en milieu plus humide, aux prairies méso-hygrophiles acidiclines du Cardamino-Cynosurenion ; on rencontre également ces faciès de l’habitat sur les terres rouges et les terres de brandes issues de dépôts continentaux tertiaires. Sur roche-mère calcaire du Jurassique supérieur ou du Crétacé, on peut observer les prairies mésotrophes basiclines du Sanguisorbo-Cynosurenion. Les communautés piétinées, eutrophes, sont très ouvertes et très basses, avec le Pâturin annuel Poa annua, la Renouée des oiseaux Polygonum aviculare et le Plantain majeur Plantago major ; ces communautés, qui appartiennent au Lolio-Plantaginion majoris, sont fréquentes prés des reposoirs ou des entrées de parcelles.

Phytosociologie et correspondances typologiques

PVF 2004

Classe Arrhenatheretea elatioris Br.-Bl. 1949
Alliance Cynosurion cristati Tüxen 1947
sous-alliance Bromo mollis-Cynosurenion cristati Passarge 1969 communautés eutrophes
sous-alliance Sanguisorbo minoris-Cynosurenion cristati Passarge 1969 communautés mésotrophes neutrobasiclines
sous-alliance Polygalo vulgaris-Cynosurenion cristati Jurko 1974 communautés mésotrophes acidiclines
sous-alliance Cardamino pratensis-Cynosurenion cristati Passarge 1969 communautés mésohygrophiles acidiclines
Alliance Lolio perennis-Plantaginion majoris Sissingh 1969 communautés pâturées piétinées mésophiles

COR 1991

  • 38.1 Pâtures mésophiles
    38.11 Pâturages continus

    • 38.111 Pâturages à Ray-grass
    • 38.112 Pâturages à Cynosurus-Centaurea
    • 38.12 Pâturages interrompus par des fossés
    • 38.13 Pâturages abandonnés
  • 81.1 Prairies séches améliorées

Confusions possibles

Les prairies pâturées mésophiles peuvent être confondues avec les prairies humides avec lesquelles elles sont parfois en continuité dans une même parcelle agricole le long d’un gradient de pente mais dans ces dernières le sol est nettement hydromorphe et la composition floristique diffère.
La distinction -prairie de pâture/prairie de fauche- est en principe assez nette au niveau de la physionomie quand l’utilisation est distincte, mais dans la région où un régime mixte domine généralement, les limites sont plus floues : la plupart des prairies sont mises à pâturer l’été pour une utilisation extensive en raison d’une production de biomasse modérée à cette période de l’année, mais au printemps la vitesse de croissance est si élevée qu’elle est trop importante pour le bétail ; seule une partie des surfaces est mise en pacage (la moitié), le reste étant fauché pour récolter le foin ou faire de l’ensilage : ces prairies de pâture sont donc aussi des prairies de fauche (tout comme les prairies de fauche sont souvent pâturées sur le regain en automne).

Dynamique

Comme dans le cas des prairies de fauche, nous sommes en présence d’une dynamique régressive, issue de déforestations anciennes, et entretenue par la gestion du milieu. L’évolution du tapis prairial en cas d’abandon dépend beaucoup de son environnement : les prairies entourées de haies seront colonisées plus rapidement à partir des lisières que les parcelles isolées au sein d’espaces cultivés intensivement. Dans le premier cas, les ourlets, riches en dicotylédones, s’étendent rapidement en nappes, bientôt ponctuées par des ligneuses nomades (anémochores et zoochores), alors que dans le second, la densification se fait plutôt à partir du fonds graminéen préexistant (forte dominance des espèces stolonifères comme l’Agropyre) mais avec des remaniements d’abondance-dominance entre les espèces. Le surpâturage, par la consommation préférentielle de certaines espèces, la pression sur les autres, et l’installation d’annuelles conduisent à une déstructuration des communautés hémicryptophytiques et à une transition vers les pelouses thérophytiques nitrophiles (Polygono-Poetea annuae). Dans les milieux plus hydromorphes, le piétinement intense tasse le sol et l’imperméabilise, favorisant l’apparition d’espèces prairiales hygrophiles. Les prairies pâturées constituent donc un habitat à l’équilibre instable dépendant directement de la pression de gestion exercée.

Espèces indicatrices

[plante2] Bellis perennis, Cardamine pratensis, Cynosurus cristatus, Eryngium campestre, Lolium perenne, Phleum pratense, Plantago major, Poa annua, Rumex crispus, Rumex obtusifolius, Trifolium repens, Veronica serpyllifolia
[plante1] Achillea millefolium, Anthoxanthum odoratum, Bromus hordeaceus, Carex caryophyllea, Cerastium fontanum triviale, Cirsium arvense, Cynodon dactylon, Festuca rubra, Lepidium squamatum, Luzula campestris, Matricaria discoidea, Polygonum aviculare, Ranunculus acris, Ranunculus bulbosus, Ranunculus repens, Trifolium fragiferum, Trifolium hybridum ssp elegans
[briophytes] Brachythecium albicans, Eurhynchium hians
[champignons] Agaricus albertii, A. campestris, Bolbitius vitellinus, Bovista plumbea, Calocybe constricta, Coprinus comatus, Crinipellis scabella, Cuphophyllus niveus, C. pratensis, C. virgineus, Entoloma sericeum, E. serrulatum, Galerina laevis, Hygrocybe chlorophana, H. psittacina, H. tristis, Langermannia gigantea, Leucoagaricus leucothites, Mycena olivaceomarginata, Panaeolus foenisecii, P. semiovatus, P. sphinctrinus, Stropharia coronilla, Vascellum pratense
[coleopteres] Geotrupes stercorarius
[orthopteres] Chorthippus biggutulus, Chorthippus brunneus, Oedipoda caerulescens

Valeur biologique

Les espèces végétales des prairies pâturées ne présentent pas de caractère de rareté et la flore y est plus pauvre que dans les prairies de fauche. En revanche, l’hétérogénéité du milieu, avec ses touffes de refus, ses broussailles, ses zones tassées, égratignées, ses arbres isolés, ses haies périphériques, ses déjections plus ou moins localisées, constitue une mosaïque intéressante pour la faune ; les invertébrés, notamment les coprophages, entretiennent tout un cortège de prédateurs et sont au centre de nombreuses chaînes alimentaires intégrant l’avifaune.

Menaces

Depuis une cinquantaine d’années, on assiste à une forte régression de ces milieux par retournement et mise en culture en raison de différentes orientations de l’exploitation agricole : l’intensification des productions, l’utilisation de races moins rustiques, les méthodes d’élevage orientées sur la stabulation avec foin et ensilage en remplacement de la mise au pré, et enfin la concentration des élevages dans certains secteurs de la région.
L’abandon du milieu conduit rapidement à un embroussaillement, et à l’installation de communautés préforestières ;
le pâturage intensif destructure l’habitat ; une fumure excessive banalise le milieu en sélectionnant les espèces les plus exigeantes. Cet habitat nécessite un suivi de sa physionomie et de son cortège floristique pour en assurer un entretien régulier, avec un pâturage modéré quant à la charge ou dans le temps, une mise à l’herbe en fin de printemps (mai, juin) et au moins une fauche des refus par an. Des coupes d’entretien favorisent le maintien de la structure et de la diversité floristique. Si le milieu est trop dégradé, il ne peut plus être restauré.

Statut régional

Cet habitat couvre encore des surfaces importantes sur les terres médiocres de la bordure méridionale du Massif Armoricain (nord Deux-Sèvres) et sur la lisière occidentale du Massif Central (sud-est 86, est 16) mais son état de conservation s’est beaucoup altéré en raison de l’intensification. Ailleurs, il est en voie de disparition.

16 Confolentais
86 Montmorillonnais
79 Gâtine de Parthenay, Bocage bressuirais