Cultures intensives

Rédacteur : Geneviève Gueret

Physionomie – écologie

Ce sont les cultures herbacées pour lesquelles l’objectif de l’exploitant est d’obtenir une production maximale. Les parcelles sont d’une surface optimale pour favoriser les travaux mécaniques, de quelques hectares à plusieurs dizaines d’hectares. Les semis ou plantations sont denses, pour une occupation maximale du sol par l’espèce choisie. Il en résulte un milieu monospécifique, fermé, uniforme, conférant à cet habitat une grande monotonie. Les interventions de l’homme y sont nombreuses et importantes : il est plus ou moins fertilisé, traité contre les ennemis des cultures, et souvent même irrigué. Il est le lieu de prédilection du développement de micromycètes (Charbons Ustilago sp., Oïdiums Erysiphe sp., Rouilles Puccinia sp., Septorioses Septoria sp., Fusarioses Fusarium sp., Helminthosporioses Helminthosporium sp.,) , appelés alors « maladies » et d’insectes (Pucerons Sitobium avenae, Methopolophium dirrodum, Aphis fabae, Tipules Tipula sp., Hanneton Melolonta melolonta, Charançons Centhorrhynchus sp., Méligéthes Meligethes sp., Altises Phyllotreta sp., Pyrale du maïs Ostrinia nubilalis ), qualifiés de « ravageurs ». C’est l’un des habitats les plus perturbés, où la population de certaines espèces, notamment celles qui développent des résistances aux traitements
pesticides, peut exploser, ce phénomène étant aggravé par la quasi inexistence de chaînes alimentaires pouvant les réguler.

Dans le cas des grandes cultures céréalières (Cor 82.11), les surfaces sont généralement importantes, jusqu’à plusieurs dizaines d’hectares, formant un paysage dégagé d’openfield, en similitude avec le paysage beauceron. On note alors une banalité du milieu laissant peu de place à la flore et la faune spontanées. Ces grandes cultures intensives sont le résultat des vagues successives d’aménagements fonciers où, progressivement, les voies de communications, les haies ont été effacées en même temps que les particularités paysagères. On constate également une modification de la composition des flores dans la mesure où les céréales de printemps ont régressé au bénéfice des cultures d’hiver ou de la maïsiculture ; on observe ainsi un recul des espèces à germination printanière comme la Mâche à fruits velus Valerianella eriocarpa tandis que progressent les espèces à germination automnale telles que le Lamier pourpre, le Mouron des oiseaux, la Pensée sauvage et les thérophytes estivaux comme les Amarantes. Pour certaines espèces la longueur du jour est un facteur essentiel qui détermine le moment de la floraison, ce qui favorise le groupement de cette floraison, la fécondation croisée et la production de semences ; ainsi certaines variétés de Blé Triticum aestivum, plantes de jours longs, ne peuvent fleurir que si la durée de l’éclairement dépasse un certain seuil, elles fleurissent en été, ce qui favorisent des adventices aux mêmes exigences comme la Marguerite Leucanthemum vulgare ou la Laitue Lactuca serriola ; les plantes de jours courts comme le Sorgho Sorghum sp. ou le Soja Glycine maxima doivent être semées pour recevoir une durée de jour inférieure à une durée critique, elles fleurissent en début de printemps ou en automne ; d’autres sont indifférentes à ce photopériodisme comme le Tournesol Helianthus annuus, le Maïs Zea mays ou le Pois Pisum sativum ; souvent, suite aux sélections, on observe des écotypes, variants adaptés aux conditions locales. Lorsqu’il s’agit de cultures maraîchères, florales ou de petits fruits, (Cor 82.12) et même si la logique intensive n’est pas moins réduite, l’ensemble paraît plus diversifié, plus coloré, plus riche, en raison de la taille nettement plus réduite des parcelles. Parfois, les grandes cultures, bien que traitées intensivement, sont entrecoupées de parcelles de jachères, de bandes de végétation herbacée, semées au titre de l’éco-conditionnalité (lutte contre la pollution par les nitrates) et plus rarement entre les grandes parcelles, de fines bandes de végétation herbacée spontanée refuge d’une flore et d’une faune sauvages (Cor 82.2).

Lorsque la flore locale arrive à se développer, en sous-strate ou sur les bordures, on peut noter quelques associations révélatrices du milieu : au printemps, sous les cultures, croissent la Shérardie Sherardia arvensis et la Buglosse des champs Anchusa arvensis, (des communautés eurosibériennes de l’ordre des Centaureetalia cyani) sur les terres de groie et sols bruns, légers, peu épais, riches en bases, peu argileux, liées à une roche-mère calcaire du Jurassique supérieur ou du Crétacé. Les vallées au sol léger et frais, sableux ou sablo-limoneux, sont souvent le lieu de prédilection des cultures maraîchères, florales ou de petits fruits, notamment à proximité des agglomérations ; on y rencontre la Ravenelle Raphanus raphanistrum, l’Anthemis des champs Anthemis arvensis, (ordre des Aperetalia spicae-ventii). Les sols plus acides, formés à partir des roches cristallines ou métamorphiques au nord-ouest et à l’est de notre région, ou sur les « terres rouges » et « terres de brande », ont une réserve en eau plus importante et favorisent d’autres adventices : la Mercuriale annuelle Mercurialis annua, les lamiers Lamium amplexicaule, Lamium purpureum, (ordre des Chenopodietalia albi).

Phytosociologie et correspondances typologiques

PVF 2004

Stellarietea mediae Tüxen, Lohmeyer Preising in Tüxen ex von Rochow 1951 Végétation annuelle nitrophile commensale des cultures annuelles ou sarclées

Aperetalia spicae-ventii Tüxen et Tüxen in Malato-Beliz, J. Tüxen et Tüxen 1960 Communautés des cultures et moissons sur sols sablonneux plus ou moins acides

Scleranthion annui (Kruseman et Vlieger) Sissingh in Westhoff, Dijk, Passchier et Sissingh 1946

Arnoseridenion minimae (Malato-Beliz, J. Tüxen et Tüxen) Oberdorfer 1983 communautés des sols sableux acides

Scleranthenion annui Kruseman et Vlieger 1939 communautés des sols sablo-limoneux modérément acides

Centauretalia cyani Tüxen, Lohmeyer Preising in Tüxen ex von Rochow 1951

Caucalidion lappulae Tüxen 1950 nom. nud. Communautés eurosibériennes des cultures et moissons sur sol neutro-alcalin

Chenopodietalia albi Tüxen et Lohmeyer ex von Rochow 1951 communautés de cultures sarclées, estivales, thermophiles, sur sol eutrophe

Panico crus-galli-Setarion viridis communautés sur sol acidicline à dominance limoneuse ou sableuse

Panico crus-galli-Setarenion viridis, communautés des sols sableux

Eu-Polygono persicariae-Chenopodienion polyspermi, communautés des sols limoneux

Veronico agrestis-Euphorbion pepli sur sol très fertile et enrichi en matière organique

COR 1991

82.11 Grandes cultures (céréales et autres) sur de grandes surfaces, en paysage d’open-field

82.12 Cultures et maraîchage (polyculture sur bandes alternées)

82.2 Cultures avec marges de végétation spontanée

Confusions possibles

Sur le terrain on observe souvent des ensembles de communautés correspondant à des formes intermédiaires dont des fragments subsistent d’une année sur l’autre, au gré des rotations des cultures, notamment en terrain acide : le Scleranthion annui alterne souvent avec le Panico-Setarion. En cas d’humidité ou de forte irrigation on peut avoir une flore proche du Bidention.

Dynamique

Formations anthropogènes issues des défrichements historiques anciens, ces habitats ont été soustraits à la dynamique naturelle, et le plus souvent à la forêt climacique ; ils sont maintenus ouverts de façon complètement artificielle, et on y a introduit des plantes extraites de leur origine géographique. Ils disparaissent rapidement dès que l’homme n’intervient plus, laissant la place à une friche, où souvent les chardons dominent, puis des espèces bisannuelles et vivaces colonisent le milieu ; l’abandon de la culture conduit vers des habitats de type prairie, mais de faible valeur agronomique et écologique ; en milieu acide, on se rapproche des pelouses calcifuges (Cor 35), et les friches calcaires tendent à s’apparenter au Mesobromion, ou au Xerobromion (Cor 34.32 ; 34.33) avec embroussaillement plus ou moins rapide par des arbustes épineux et lianes.

Espèces indicatrices

[plante2] Alopecurus myosuroides, Ammi majus, Anchusa italica, Anthemis arvensis, Anthemis cotula, Avena fatua, Euphorbia helioscopia, Euphorbia peplus, Fumaria officinalis Lamium amplexicaule, Lamium purpureum, Mercurialis annua, Papaver dubium, Raphanus raphanistrum, Setaria pumila, Sherardia arvensis, Veronica persica, Viola arvensis
[oiseaux] Busard cendré ( Circus pygargus) Busard St Martin ( Circus cyaneus), Caille des blés (Coturnix coturnix) Oedicnème criard (Burhinus oedicnemus), Outarde canepetière ( Tetrax tetrax), Perdrix rouge (Alectoris rufa)
[coleopteres] Aphis fabae, Melolonta melolonta, Sitobium avenae, Tipula sp
[champignons] Clathrus archeri, Coprinus comatus, Leucoagaricus macrorhizus, Macrolepiota fuliginosa,, M. permixta, M. procera, Volvariella gloiocephala

Valeur biologique

Malgré son caractère intensif, cet habitat est encore le biotope de plusieurs oiseaux rares et menacés en Europe dont la survie au niveau régional est gravement menacée par les évolutions de l’agriculture moderne : Outarde, Oedicnème, busards gris, Caille…Divers périmètres de « sauvegarde » de ces espèces ont été définis au cours de la dernière décennie et des mesures agri-environnementales proposées aux agriculteurs volontaires sous forme de contrats assortis de compensations financières.

La richesse de cet habitat est inversement proportionnelle à l’utilisation de pesticides. Les cultures avec marges de végétation spontanée ont une plus grande valeur biologique. Les petites surfaces de cultures légumières, florales ou fruitières peuvent être soumises à de fortes pressions chimiques qui les rendent très polluantes pour l’eau, l’air, et le sol.

Les rares haies encore en place, et les quelques haies replantées, généralement en bordure des routes ou à proximité des agglomérations, contribuent à la diversité biologique de cet habitat, tant par leur présence que par la faune et la flore qu’elles favorisent.

Menaces

Les terres les plus pauvres sont souvent abandonnées simplement sans mesure de gestion, laissant place à une flore parfois exubérante où des semences introduites avec les plantes cultivées peuvent se développer au détriment des groupements locaux ; ces terres abandonnées sont également le lieu de prolifération d’invasives importées, telles que les Budléia Budleja sp. .

Une autre menace est liée à l’utilisation de pesticides, dont la visée dépasse les objectifs de l’exploitant, avec pollution de l’eau, de l’air, du sol, et donc pollution de la biomasse produite, majoritairement à destination alimentaire. L’apport d’engrais minéraux, limité aux trois nutriments- azote, potassium, phosphore – produit une alimentation plus pauvre en éléments essentiels comme le calcium, le manganèse ou le fer. D’autre part, le développement de l’irrigation agricole dans la région Poitou-Charentes rend les aquifères particulièrement vulnérables, tant sur le plan quantitatif (sécurité de l’approvisionnement des populations en eau) que qualitatif (pollution par les nitrates et les pesticides),
notamment au niveau du Jurassique (nappe du Dogger).

Une autre menace pointe : l’utilisation en grandes cultures des organismes génétiquement modifiés. Les espèces cultivées étant souvent allogames, la dissémination de pollens OGM est alors facile vers les adventices de la même famille. D’autre part, les espèces OGM sécrétant leurs propres herbicides ou insecticides, elles contribuent encore plus à l’appauvrissement génétique de ces habitats déjà peu diversifiés.

Enfin, les menaces d’érosion, d’autant plus fortes que la pente des terrains est importante, que les parcelles sont grandes, et surtout que le niveau calcique et humique sont faibles dans des sols à texture fine, peuvent entrainer la disparition complète de l’habitat, tant par érosion éolienne que par les eaux de ruissellement.

Enfin, les espèces cultivées sont de plus en plus sélectionnées dans l’objectif de la production et de moins en moins adaptées aux adversités, elles sont donc de plus en plus fragiles, mettant en péril leur existence, et par conséquent l’habitat lui-même.

Statut régional

C‘est l’habitat le plus répandu de la région Poitou-Charentes où il occupe 55% de la surface totale du sol.

Pour chaque département, les % sont les suivants :

16 : 47% des terres
17 : 51%
86 : 62% (répartis surtout au nord et au nord-ouest)
79 : 60%

Bien que les contrastes saisonniers puissent être assez marqués, les cortèges de faune et de flore des cultures intensives sont toujours très pauvres