Forêts caducifoliées hygrophiles

Rédacteur : Jean Terrisse

Physionomie-structure

Les forêts hygrophiles sont des milieux forestiers où l’eau joue un rôle essentiel : elles occupent une position riveraine ou, plus souvent alluviale, en bordure de plans d’eau et, surtout, sur les bourrelets et les terrasses du lit majeur des cours d’eau. Inondées et fertilisées régulièrement par les laisses apportées par les crues d’hiver ou de printemps, elles prospèrent sur des sols généralement fertiles en raison des oscillations saisonnières de la nappe aquifère qui permettent une bonne activité microbiologique et une nitrification satisfaisante.
Très touchées par les activités humaines pluri-séculaires, elles ne forment aujourd’hui le plus souvent que des cordons ou des galeries étroites en bordure des ruisseaux et des rivières, sauf dans certains sites privilégiés où elles peuvent encore couvrir une part importante du lit majeur.
Les forêts hygrophiles obéissent à une double zonation régie principalement par la nature du substrat et les variations saisonnières de la nappe :

  • zonation longitudinale séparant les forêts-galeries des têtes de bassin (souvent à proximité des sources), où la pente est marquée, les alluvions grossières et bien aérées et les crues négligeables, des piémonts où la pente devient quasi nulle et le courant très faible, favorisant le dépôt d’alluvions plus fines, plus ou moins asphyxiques et où les inondations annuelles peuvent être sévères et durables ;
  • zonation tranversale de quelques secteurs préservés (moyenne vallée de la Charente) où on peut encore observer la succession typique : frange de saulaie ripicole en bordure même du lit mineur, suivie d’une aulnaie-frênaie sur le bourrelet alluvial (plusieurs faciès selon la hauteur des banquettes), à laquelle succède une aulnaie à hautes herbes dans la dépression marginale.
    En fonction de ces différents critères – nature du cours d’eau, pente et débit des eaux, type d’alluvions, ampleur du battement de la nappe – les forêts hygrophiles poitou-charentaises s’organisent autour de 4 axes principaux : la saulaie arborescente ripicole à Salix alba du bord du lit mineur, les différents types d’aulnaie-frênaie des bords de ruisseaux rapides ou de rivières à cours lents, la frênaie-ormaie des hautes terrasses de la Charente (et de la Vienne ?) et les aulnaies tourbeuses des sols constamment engorgés.

Caractéristiques biologiques

Les forêts hygrophiles sont dominées par des essences exigeantes, à croissance rapide (les sols sont fertiles et la disponibilité en eau assurée toute l’année) mais à faible longévité (les milieux sont peu stables, susceptibles d’être remodelés par les crues). On sépare classiquement les essences à bois tendre (Populus, Salix), produisant du bois de faible densité, strictement héliophiles et pionnières, des essences à bois durs, qui leur succèdent normalement dans le temps et forment un bois plus lourd (Fraxinus, Alnus, Ulmus). La plupart de ces arbres ont toutefois pour caractéristique commune de fleurir au premier printemps, d’être pollinisés par le vent et de produire de grandes quantités de semences munies de dispositifs aidant à leur dispersion passive par le vent ou l’eau (samares des frênes et de l’orme, graines ailées de l’aulne). Bien que la diversité dendrologique de nos forêts alluviales centre-atlantiques ne soit en rien comparable à celle des forêts du Rhin ou du Rhône, elles présentent néanmoins une certaine diversité structurale, notamment horizontale : celle-ci est surtout marquée dans les systèmes spatiaux et en évolution où on peut observer la juxtaposition, sur de faibles unités de surface, de plusieurs stades dynamiques générant des mosaïques d’une grande richesse (forêt/mégaphorbiae/roselière/magnocariçaie) ; par ailleurs, la luxuriance de certains types comme l’aulnaie à grandes herbes, favorisée par la richesse du sol en azote est également remarquable (présence de lianes, de hautes herbes hygrophiles).
Les forêts hygrophiles remplissent plusieurs fonctions essentielles :

  • écologiques : elles limitent l’érosion, régulent le débit des eaux, diminuent la turbidité en piégeant les particules en suspension et servent de « puits » pour le trop plein d’azote en provenance des bassins versants cultivés ;
  • biologiques : elles servent de biotope et de lieu de vie pour de nombreuses espèces végétales et animales communes ou rares et menacées ; elles constituent en tant que telles des foyers essentiels de la biodiversité régionale et leur haute valeur est reconnue par l’Union européenne qui a inscrit plusieurs types à l’Annexe I des habitats menacés en Europe (seule l’aulnaie marécageuse, curieusement, n’est pas prise en compte par l’Annexe I, alors qu’il s’agit d’un milieu hautement original et rare).

Espèces caractéristiques

Alnus glutinosa, Fraxinus angustifolia, Fraxinus excelsior
Oriolus oriolus
Leptura quadrifasciata, Rosalia alpina, Xylotrechus rusticus
Apatura ilia, Araschna levana
Alnicola melinoides, Alnicola scolecina, Ciboria amentacea (sur chatons d’aulne), Coprinus subdisseminatus, Coprinus tigrinellus (sur phragmite), Entoloma caccabus, Gyrodon lividus, Lactarius obscuratus, Lactarius obscuratus var. radiatus, Miladina lechithina, Mitrula paludosa, Mycena rhenana (sur aulne), Paxillus rubicundulus, Psathyrella populina

Classification

Saulaie blanche

Aulnaies-frênaies alluviales non marécageuse

  • Aulnaies-frênaies à Laîche espacée des petits ruisseaux ALNENION GLUTINOSO-INCANAE
  • Frênaies-ormaies atlantiques à Aegopode des rivières à cours lent ALNENION GLUTINOSO-INCANAE
  • Aulnaie à hautes herbes ALNENION GLUTINOSO-INCANAE

Frênaie mixte humide

Aulnaie et bétulaies marécageuses

  • Aulnaies méso-eutrophes ALNION GLUTINOSAE
  • Aulnaies oligotrophes acidophiles SPHAGNO-ALNION

Deux aspects très contrastés des forêts hygrophiles alluviales : une aulnaie (...)

Deux aspects très contrastés des forêts hygrophiles alluviales : une aulnaie marécageuse méso-eutrophe sur sol engorgé durant presque toute l’année (a g.) et une crue dans le lit majeur de la Charente : spectaculaire, mais ne gênant pas le développement d’essences « nobles » comme le gros chêne visible au centre (en b., à g.). Le rabattement estival de la nappe stimule l’activité microbiologique et permet un bon recyclage des matières nutritives apportées par la crue (en b. à d.)