Chênaie acidophile

Rédacteur : Anthony le Fouler

Physionomie – écologie

Les chênaies acidiphiles se différencient en quatre grands types selon l’espèce de chêne dominante, le degré d’acidité, la teneur en nutriments et l’engorgement en eau du sol. Elles sont dominées, selon les cas, par le Chêne pédonculé, le Chêne sessile ou le Chêne tauzin. Le Hêtre, ici en limite d’aire, parvient parfois à se maintenir, voire à concurrencer localement les chênes.

La forêt de Chêne tauzin Quercus pyrenaica est caractéristique de la partie sud du domaine atlantique français. Le sous-type picto-charentais se développe sur des sols relativement secs et pauvres à faible activité biologique. Toujours en situation pionnière, ce groupement forestier présente une structure relativement ouverte permettant une bonne expression d’une strate herbacée riche en héliophiles comme l’Asphodèle blanche Asphodelus albus qui peut fleurir en masse au printemps avant le débourrage particulièrement tardif du tauzin. La strate arbustive est généralement peu dense et composé de Bourdaine Frangula alnus, de Bruyère cendrée Erica cinerea, de Fragon petit-houx Ruscus aculeatus ou encore de Genêt à balai Cytisus scoparius et d’Ajonc d’Europe Ulex europaeus.

Les chênaies sessiliflores se rencontrent également sur des substrats secs et acides. La strate arborée est dominée par le Chêne sessile et parfois par le Chêne pédonculé en cas d’orientation sylvicole dirigée. La strate arbustive est riche mais irrégulière. La strate herbacée est très variable selon l’état de conservation de l’habitat. Ces boisements sont gérés en futaie, taillis sous-futaie ou parfois en taillis simple. Selon la nature du sol, 2 types peuvent être distingués :

  • la chênaie sessiliflore à Alisier torminal Sorbus torminalis sur podzols acidifiés (sables, graviers, altérites de roches siliceuses ou limons dégradés). La strate herbacée est principalement constituée de la Canche flexueuse et de la Molinie bleue. Suite aux traitements pluriséculaires en taillis et taillis sous futaie, un groupement dégradé se met en place dans lequel apparaît une plante peu courante : le Peucédan de France Peucedanum gallicum.
  • la chênaie sessiliflore à Fragon petit-houx Ruscus aculeatus sur sols lessivés. Le sol y est bien drainé et moins acide que dans le sous-type précédent, permettant ainsi la transgression d’un plus grand nombre d’espèces neutroclines comme le Fragon petit houx ou le Charme Carpinus betulus (d’où son rattachement au Carpinion).

La chênaie acidiphile atlantique à Hêtre constitue la formation boisée la plus répandue sur substrat acide – limons à silex, sables, limons dégradés, arènes granitiques – des secteurs les plus arrosés de la région (moitié nord des Deux-Sèvres, notamment). La communauté méso-atlantique à Houx et parfois à If (Ilici aquifolii-Quercenion petraeae) d’intérêt communautaire est toutefois absente du Poitou-Charentes. Le groupement présent est à rapprocher des communautés sub-atlantiques et continentales du Quercenion robori-petraeae. Ces boisements peuvent s’étendre sur de grandes surfaces, sur des néoluvisols à humus acide et frais et aux pentes nulles à faibles. La strate arbustive est dispersée et composée principalement de jeunes arbres. La strate herbacée, organisée en taches isolées, est relativement banale et peu diversifiée.

La chênaie pédonculée à Molinie occupe des dépressions et cuvettes collectant les eaux de ruissellement. Le sol, généralement très acide et très oligotrophe, est engorgé d’eau jusqu’en surface (formation de pseudogley ou de planosol). Cette saturation hydrique induit une mauvaise dégradation de la matière organique accumulée et, donc, la formation d’un épais horizon humifère. Le Chêne pédonculé est ici l’essence principale, souvent accompagné du Bouleau verruqueux Betula pendula et du Tremble Populus tremula. Cette strate arborée reste toujours très ouverte. La strate arbustive est pauvre et également peu développée avec quelques sujets dispersés de Bourdaine. La strate herbacée haute et dense bénéficie des larges ouvertures laissées par les ligneux. Dans les situations les plus hydromorphes, de nombreux touradons de Molinie bleue rendent l’habitat très difficile d’accès. Sur des sols moins asphyxiants, le nombre de touradons est alors plus limité et laisse place à une plus grande diversité de plantes avec, notamment, la Canche flexueuse. Il n’est pas rare d’observer alors de véritables nappes homogènes de Fougère aigle Pteridium aquilinum en sous-bois.

Phytosociologie et correspondances typologiques

PVF 2004

  • QUERCO ROBORIS-FAGETEA SYLVATICAE Braun-Bl.& Vlieger 1939 : forêts tempérées caducifoliées ou mixtes, collinéennes et montagnardes (plus rarement subalpines), ainsi que supraméditerranéennes.
    • Quercetalia roboris Tüxen 1931 : communautés acidiphiles
      • Quercion robori-pyrenaicae Rivas Mart. 1975 : communautés aquitaniennes et ligériennes.
      • Molinio caeruleae-Quercion roboris Scamoni & H.Passarge 1959 : communautés de sols engorgés dès la surface.
    • Fagetalia sylvaticae Pawlowski 1928 : communautés acidiclines à calcicoles
    • Carpinion betuli Issler 1931 : communautés sur sols ressuyés mais sans déficit hydrique marqué.

COR 1991

  • 41.5 Forêts de Chêne sessile ou Chêne pédonculé
    • 41.51 Chênaie pédonculée acidiphile à Molinie
    • 41.52 Chênaie acidiphile atlantique à Hêtre
    • 41.54 Chênaie aquitano-ligérienne sur podzols
    • 41.55 Chênaie aquitano-ligérienne sur sols lessivés ou acides
  • 41.6 Forêt de Chêne tauzin
    • 41.65 Forêts françaises de Quercus pyrenaica

Directive Habitats 1992 et Cahiers d’habitats

  • 9110 Vieilles chênaies acidiphiles des plaines sablonneuses à Quercus robur
    • 9110-1 Chênaies pédonculées à Molinie bleue
  • 9230 Chênaies galicio-portugaises à Quercus robur et Q. pyrenaica
    • 9230-1 Chênaies pionnières à Chêne tauzin et Asphodèle blanche du Centre-Ouest et du Sud-Ouest

Confusions possibles

Le caractère nettement acidiphile de ces boisements ne peut amener à les confondre avec les groupements calcicoles à flore très spécifique (chênaies pubescentes, hêtraies calcicoles). Le cas le plus fréquent d’erreur d’identification est dû aux orientations sylvicoles du forestier qui favorise certaines essences au détriment d’autres et empêche ainsi toute évolution naturelle des boisements. Les futaies sont généralement très caractéristiques et donc aisément reconnaissables. Par contre, dans le cas des taillis à la flore banalisée, des confusions peuvent être faites avec d’autres boisements caducifoliés.

Sur les sols engorgés, la chênaie acidiphile à Molinie peut être éventuellement confondue avec les tourbières boisées mais, comme leur nom l’indique, ces dernières font partie intégrante d’un vaste système tourbeux (profondeur de tourbe supérieure à 40 cm) et sont généralement dominées par les bouleaux. En conditions moins asphyxiantes, la distinction avec les chênaies sessiliflores peut être délicate en cas de co-dominance entre le Chêne pédonculé et le Chêne sessile.

Dynamique

Les chênaies acidiphiles sont variées et s’inscrivent chacune dans une dynamique végétale particulière :

La chênaie à Chêne tauzin est par définition un groupement forestier pionnier. A son stade optimal les peuplements peuvent être purs. Issus d’une pelouse ou d’un ourlet préforestier à Potentille des montagnes Potentilla montana, Asphodèle blanche et Garance voyageuse Rubia peregrina, les manteaux arbustifs à Bourdaine Frangula alnus, Brande Erica scoparia, Ajonc d’Europe Ulex europaeus et Alisier torminal Sorbus torminalis évoluent en chênaie à Chêne tauzin. En cours de maturation, le Chêne sessile et/ou le Chêne pédonculé s’implantent, jusqu’à surpasser le Chêne tauzin, moins compétitif.

Les chênaies sessiliflores sont quant à elles dans une dynamique de pelouses acidiphiles et de landes sèches. Les coupes à blanc fréquemment réalisées dans ces boisements favorisent l’expansion de la Callune Calluna vulgaris et la régression vers la lande sèche à Bruyère cendrée Erica cinerea.

Les chênaies-hêtraies acidophiles sont des groupements climaciques. Elles remplacent les groupements forestiers mésophiles tel que les chênaies-charmaies. Une évolution est possible vers des chênaies sessiliflores en cas de dégradation (lessivage et acidification).
Les chênaies sessiliflores et chênaies-hêtraies acidiphiles sont largement exploitées. Elles sont faciles d’accès et de bonne productivité. Classiquement, le forestier y réalise des coupes de sélection pour favoriser le bois noble.

La chênaie acidiphile à Molinie apparaît lorsque le chêne pédonculé colonise les landes humides et les prairies à Molinie. Toutefois, les premiers ligneux à apparaître sont le bouleau pubescent Betula pubescens et le Saule à oreillettes Salix aurita. Le premier stade boisé est dominé par le bouleau qui est peu à peu remplacé par le Chêne pédonculé. En cas de drainage, ces boisements évoluent avec la régression de la Molinie vers des chênaies sessiliflores. La chênaie à Molinie se place dans un contexte landicole, parfois tourbeux dans certaines stations. En cas d’élimination des ligneux, un retour à la lande, voire à la prairie à Molinie, est toujours envisageable. La chênaie à Molinie est relativement peu exploitée car peu productive et située sur des sols non portants.

Espèces indicatrices

[plante2] Carex pilulifera, Deschampsia flexuosa, Hieracium sabaudum, H.umbellatum, Holcus mollis, Hypericum pulchrum, Ilex aquifolium, Lonicera periclymenum, Luzula forsteri, L. multiflora, *L. sylvatica, Mespilus germanica, *Peucedanum gallicum, Populus tremula, Quercus pyrenaica, Quercus petraea, Quercus robur, Stachys officinalis, Teucrium scorodonia, Viola riviniana
[plante1] Arenaria montana, Agrostis curtisii, Asphodelus albus, Betula pendula, Calluna vulgaris, Castanea sativa, Corylus avellana, Cytisus scoparius, Erica cinerea, Erica scoparia, Fagus sylvatica, Frangula alnus, *Genista pilosa, Luzula campestris, Melampyrum pratense , Molinia caerulea, Polygala serpyllifolia, Potentilla erecta, Pteridium aquilinum, *Pyrus cordata, Ruscus aculeatus, Salix acuminata, *Salix aurita, Simethis mattiazzii, Sorbus torminalis, Ulex europaeus, Ulex minor
[briophytes] Atrichum undulatum, Campylopus introflexus, Dicranum scoparium, Hypnum jutlandicum, Leucobryum glaucum, Pleurozium schreberi, Polytrichum formosum
[mammiferes] Barbastella barbastellus, Capreolus capreolus, Meles meles, Myotis alcathoe, Myotis bechsteinii
[lepidopteres] Thecla quercus
[orthopteres] Gomphocerippus rufus, Nemobius sylvestris, Pholidoptera griseoaptera
[champignons] Russula graveolens
[lichens] Usnea rubicunda

Valeur biologique

Certains types de chênaies, de par la présence d’espèces rares, leur originalité, leur rareté à l’échelle européenne et régionale, ont une grande valeur patrimoniale. C’est le cas de la Chênaie pédonculée à Molinie, un habitat d’intérêt communautaire. Malgré sa flore peu diversifiée, cet habitat est peu répandu en Poitou-Charente et occupe toujours de petites surfaces. Le potentiel en amphibiens y est également important en cas de présence de fossés et de dépressions. Autre habitat remarquable : la chênaie à Chêne tauzin. Cette essence est peu fréquente car en limite septentrionale de son aire sud-ouest européenne. Les chênaies acidiphiles et sessiliflores présentent un moindre intérêt écologique. Leur flore est relativement banale et ces groupements forestiers sont bien représentés en Poitou-Charentes. Toutefois, le Chêne sessile n’apparait pas aussi répandu que le Chêne pédonculé.

Menaces

D’une part, de nombreux boisements sont arasés au profit de plantations de résineux (risque majeur pour les chênaies à Chêne tauzin). D’autres part, certaines pratiques sylvicoles sont néfastes pour la flore et la faune. Par exemple, les gestionnaires de boisements en taillis ou en futaie régulière à régénération artificielle ont recours à la coupe à blanc où la totalité des arbres sont abattus. Ce genre de méthode perturbe profondément la flore forestière et peu entrainer une perte quasi-intégrale de la flore habituelle. En effet, les conditions stationnelles sont fortement modifiées (augmentation de l’hydromorphie du sol par absence de l’effet de l’évapotranspiration des arbres, augmentation brutale de l’ensoleillement, perturbation de la structure du sol par les engins lourds).

Le drainage, technique de « valorisation » des sols, est la principale cause de régression des chênaies pédonculées à Molinie. Il assèche le sol et permet des tentatives de plantations qui se concluent souvent par un échec.

La non gestion peut localement être défavorable aux chênaies à Chêne tauzin. Il s’agit d’une espèce fugace d’un stade forestier pionnier et temporaire. Le risque est ici une évolution vers la chênaie sessiliflore, de moindre valeur écologique.

Statut régional

L’habitat est dispersé sur l’ensemble du territoire avec des fréquences variables selon les sous-types :

16 : la « chênaie à Chêne tauzin » est commune dans la Double

17 : la « chênaie à Chêne tauzin » est particulièrement bien représentée : landes de Cadeuil, landes de Montendre

79 : la « chênaie sessiliflore-hêtraie » possède ses plus beaux exemples régionaux dans les forêts de Secondigny, de l’Hermitain, du Fouilloux, de l’Absie

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