Eau avec végétation flottante fixée

Rédacteur : Olivier Collober

Phytosociologie – écologie

La classification des habitats des eaux calmes repose sur la structure de la végétation aquatique qui présente des strates bien distinctes. Les formations relevant d’un même type structurel sont réunies dans le même habitat. La physionomie de cet habitat correspond à une formation plus ou moins dense constituée par une espèce typique de plante aquatique, hydrophytes exclusivement, rarement plusieurs, fixée sur le fond de façon permanente ou temporaire et disposant d’un appareil végétatif adapté aux milieux lentiques (plans d’eau), flottant, totalement ou partiellement étalé en surface et formant, durant l’été, un tapis visible sur les eaux stagnantes des lacs (carrières, gravières, sablières, retenues), des étangs et des mares, et les eaux dormantes ou faiblement courantes des fossés (conches des marais), des canaux et des bras morts de rivières.

La présence d’une seule espèce se rapportant au type suffit pour qualifier l’habitat élémentaire, quelle soit ou non au sein d’une association végétale. C’est une espèce sociale, généralement vivace (hydrohémicryptophyte ou hydrogéophyte), plus rarement annuelle (hydrothérophytes), toujours relativement thermophile et fortement marquée par des différences anatomiques ou physiologiques traduisant une adaptation au milieu aquatique (écomorphologie) telles un polymorphisme foliaire entre les feuilles flottantes et immergées ou plus largement présentant un phénomène d’hétérophyllie (Polygonum amphibium en phase terrestre). Les autres espèces des eaux calmes, compagnes régulières ou occasionnelles de l’association végétale comprenant l’espèce type, ne sont pas constitutives de cet habitat et s’en distinguent sur le plan structurel en ce qu’elles constituent des strates de végétation bien distinctes. Il en est ainsi des hydrophytes totalement immergés ou affleurants et des espèces évoluant librement en surface qui se rattachent respectivement aux habitats « eau avec végétation immergée vasculaire » et « eau avec végétation flottante libre ».

Plusieurs de ces espèces peuvent coexister au sein de l’habitat et former une mosaïque de formations paucispécifiques, mais la majorité d’entre elles ont des exigences écologiques propres et vivent dans des milieux très diversifiés, ce qui rend leur classification difficile si l’on ne tient pas compte, pour cela, des facteurs édaphiques et écologiques qui les distinguent. En premier lieu, la géologie du bassin versant et l’influence des activités humaines menées sur celui-ci qui conditionnent la nature des eaux alimentant les nappes et les rivières où les espèces indicatrices de l’habitat se développent, sont déterminants et doivent donc être considérés l’influence minérale et le pH du substrat (acide, neutre ou basique) et le niveau trophique de l’eau (présence plus ou moins forte d’éléments nutritifs assimilables par les plantes). Souvent, des transitions moins marquées peuvent exister entre les groupements et, le cas échéant, le rattachement à l’habitat d’une espèce présentant, par exemple, une forte amplitude écologique ne pourra pas être effectué sans le recours aux autres plantes du cortège floristique (immergées ou flottantes librement). En second lieu, la profondeur d’eau ou sa permanence sont parfois retenues pour différencier les habitats au sein de chacune de ces catégories.

Habitats des eaux acides oligotrophes à mésotrophes représentatifs de la végétation lacustre présente au contact des socles granitiques, des grès, des gneiss et des schistes où dominent les roches magmatiques et métamorphisées naturellement pauvres en éléments minéraux solubles à l’exemple des Deux-Sèvres armoricaines (Gâtine et Bressuirais) et des argiles à silex ou à meulières (Réserve naturelle du Pinaïl) :

  • Groupements oligotrophes de Potamots

Formations plus ou moins clairsemées des bassins d’eau peu profonde siliceuse (étangs, mares, fossés) – colonisée par le Potamot à feuilles de renouée Potamogeton polygonyfolius, plusieurs espèces de renoncules aquatiques (Ranunculus ololeucos, Ranunculus omiophyllus, Ranunculus tripartitus), le Plantain d’eau flottant Luronium natans, le Rubanier nain Sparganium minimum – strictement oligotrophe, à niveau fluctuant mais généralement permanente, constituant souvent de petits plans d’eau à l’intérieur des landes, des carrières, parfois des sous- bois. Certaines de ces espèces plus tolérantes à des apports en matière organique se développent en conditions méso-oligotrophes en marge des ruisseaux et des petites rivières connectés aux têtes de bassin versant.

  • Tapis de Trapa natans, de Potamogeton natans, de Polygonum amphibium

Formations plus ou moins denses et recouvrantes des eaux stagnantes à faiblement courantes oligo-mésotrophes et mésotrophes en terrain acide ou neutre, présentes sur les étangs à fond argileux, argilo-sableux et siliceux. Lorsqu’elles cohabitent au sein du même milieu, ces formations sont organisées en ceintures ou en taches distinctes selon la profondeur plus ou moins grande de l’eau. Dans sa configuration optimale, l’habitat regroupe les trois espèces, le Potamot nageant (Potamogeton natans) occupe la zone la plus profonde, viennent ensuite la Châtaigne d’eau (Trapa natans), en périphérie, puis la Renouée amphibie (Polygonum amphibium) sur les marges à proximité des berges. Certaines de ces espèces se rencontrent également parfois sur les bras mort et les radiers des cours d’eau de taille moyenne en conditions mésotrophes.

Habitats des eaux mésotrophes à eutrophes neutres ou basiques naturellement plus chargées en minéraux dissous, constituant des herbiers plus ou moins denses sur les rivières et les canaux à faible courant et dans les plans d’eau à fonds imperméables des terrains sédimentaires, argilo-calcaires ou marneux du bassin parisien et du bassin aquitain :

  • Tapis de Nénuphars

Formations souvent très recouvrantes de Nénuphar blanc (Nymphea alba) et / ou de Nénuphar jaune (Nuphar lutea) colonisant les zones les plus profondes des étangs et des rivières à courant lent et affectionnant les milieux ouverts. Le Nénuphar blanc semble plus présent dans les eaux mésotrophes et plus sensible à l’enrichissement des eaux en matières nutritives que son homologue, le Nénuphar jaune qui peut supporter une eutrophisation assez importante. Ces espèces ont chacune une sous-espèce liée à des conditions plus acides et plus pauvres mais qui ne sont pas présentes dans notre région.

  • Tapis de Nynphoides peltata

Formation souvent clairsemée caractéristique des eaux calmes, peu profondes et biens minéralisées, qui affectionne les alluvions et les fonds vaseux riches en limons des canaux et des rivières et accessoirement les étangs, les mares et les fossés naturellement riches en matières organiques.

  • Communautés flottantes des eaux peu profondes

Communautés dominées par les callitriches ou par des renoncules aquatiques ayant des racines immergées et des feuilles flottantes ou par Hottonia palustris. Ces communautés, principalement caractéristiques des eaux peu profondes voisines de la neutralité et sujettes à des fluctuations du niveau de l’eau ou susceptibles d’être occasionnellement à sec, se rencontrent dans les bras morts des rivières, les fossés des marais, les étangs ou les mares plus ou moins riches en éléments nutritifs (mésotrophes à eutrophes).

Phytosociologie et correspondances typologiques

PVF 2004

POTAMETEA PECTINATI Klika in Klika et V. Novak 1941
NYMPHAEION ALBAE Oberdorfer 1957
Communautés à structure complexe (éléments flottants et submergés) des eaux calmes, stagnantes à faiblement courantes, moyennement profondes (1 à 4 m), mésotrophes à eutrophes

POTAMION POLYGONIFOLII Hartog et Segal 1964 ;
Communautés des eaux stagnantes à faiblement courantes oligotrophes à mésotrophes

RANUNCULION AQUATILIS Passarge 1964
Communautés des eaux peu profondes, calmes, stagnantes à faiblement courantes, capables de supporter une émersion estivale

CORINE 1991

22.43 Végétations enracinées flottantes (formations dominées par des plantes aquatiques enracinées avec feuilles flottantes)
22.431 Tapis flottants de végétaux à grandes feuilles (Nymphaeion)
22.432 Communautés flottantes des eaux peu profondes (CALLITRICHO-BATRACHION)
22.433 Groupements oligotrophes de potamots, (POTAMION GRAMINEI)

Directive Habitats 1992 et Cahiers d’habitats

3150-1 « Plans d’eau eutrophes avec végétation enracinée avec ou sans feuilles flottantes »
3150-4 « Rivières, canaux et fossés eutrophes des marais naturels »

Confusions possibles

Dans sa configuration élémentaire, les risques de confusion de cet habitat avec un autre habitat aquatique sont relativement faibles excepté lorsque les formations végétales qui le composent présentent un faciès dégradé de plantes éparses caractérisé par un faible taux de recouvrement et sont en association avec des espèces qui relèvent d’un autre habitat élémentaire (végétations immergées ou flottant librement en surface).
Dans ces situations, lorsque l’espèce indicatrice présente un caractère patrimonial, il semble préférable de retenir l’habitat élémentaire même si celui-ci n’est pas dans sa configuration optimale. Dans le cas contraire, la qualification de l’habitat dépendra de la prédominance des espèces présentes et de la physionomie générale des formations végétales. D’autres formations ne sont pas retenues dans cet habitat en raison de leurs spécificités comme les mares des lèdes dunaires (16.31) et les mares dystrophes naturelles à utriculaires (22.414).

Dynamique

L’évolution naturelle des milieux d’eaux stagnantes, dormantes ou faiblement courantes tend naturellement vers le comblement.
Dans la mesure où les espèces à feuilles flottantes occupent la strate supérieure des eaux et parce qu’il s’agit d’espèces souvent sociales, spécialisées, qui peuvent constituer des formations très recouvrantes privant de la lumière indispensable à la photosynthèse et excluant ainsi les autres espèces aquatiques comme les hydrophytes immergés, elles sont faiblement soumises à la compétition naturelle. En présence de plusieurs espèces indicatrices au sein d’une même communauté végétale, la compétition interspécifique conduit à une dissociation latérale des populations qui se répartissent en taches ou en ceintures distinctes. A ce stade d’évolution, l’habitat, représenté par une ou plusieurs espèces monospécifiques, est moins rapidement évolutif en conditions oligotrophes que dans un contexte mésotrophe ou eutrophe consécutivement à une plus forte production végétale ou à l’apport de sédiments provenant du bassin versant qui accélère le comblement et l’abaissement du niveau d’eau.

Espèces indicatrices

[plante2] *Callitriche brutia, Callitriche obtusangula, Callitriche platycarpa, Callitriche stagnalis, *Hippuris vulgaris, *Hottonia palustris , (Ludwigia grandiflora), (Ludwigia peploides), *Luronium natans,* Marsilea quadrifolia, Myriophyllum verticillatum, Nuphar lutea, Nymphaea alba, *Nymphoides peltata, Polygonum amphibium, Potamogeton natans, Ranunculus aquatilis, *Ranunculus circinatus, *Ranunculus hederaceus, *Ranunculus ololeucos, *Ranunculus omiophyllus, Ranunculus peltatus subsp peltatus , Ranunculus trichophyllus, *Ranunculus tripartitus, *Stratiotes aloides, *Trapa natans
[plante1] (Azolla filiculoides), Hydrocharis morsus-ranae, *Potamogeton coloratus, Potamogeton polygonifolius, Spirodela polyrhiza, *Utricularia australis, *Utricularia vulgaris
[briophytes] Riccia fluitans, Ricciocarpus natans
[amphibiens] Rana lessonae, Triturus cristatus, Triturus marmoratus
[odonates] Aeshna isoceles, Anax parthenope, Coenagrion pulchellum, Erythromma lindenii, Erythromma najas, Libellula quadrimaculata
[mollusques] Acroluxus lacustris

Valeur biologique

La valeur patrimoniale de l’habitat est très élevée. D’une part, il n’est pas fréquent de trouver cet habitat en bon état de conservation. D’autre part, il abrite un nombre conséquent d’espèces végétales protégées (Marsilea quadrifolia, Luronium natans, Ranunculus ololeucos, Trapa natans, Nymphoides peltata, Hottonia palustris) et / ou rares ou en forte régression (Polygonum amphibium), ce qui témoigne des menaces très importantes qui pèsent actuellement sur les plans d’eau oligotrophes ou oligo-mésotrophes ou sur les plans d’eau naturellement eutrophes et incidemment sur l’ensemble des formations végétales qui les caractérisent. En outre, même en présence d’espèces plus communes (nénuphars), ces formations végétales en tapis plus ou moins recouvrants jouent un rôle fondamental dans l’écosystème des eaux calmes (oxygénation, abris naturel, nourriture, développement larvaires…) et participent activement au maintien de la biodiversité des milieux aquatiques. Ainsi, la plupart de ces formations sont exploitées par des populations d’espèces faunistiques (anatidés, amphibiens, odonates), dont beaucoup sont elles-mêmes vulnérables ou en danger, et constituent pour elles un ultime refuge.

Menaces

Les formations végétales de l’habitat dépendent principalement de la qualité de l’eau et de la hauteur de la nappe, la dégradation de ces facteurs (fertilisation des étangs, pollutions, eutrophisation des eaux, comblement naturel, envasement, assèchement temporaire, effondrement des berges) étant très souvent à l’origine de la régression ou de la disparition des espèces indicatrices et de leur remplacement par d’autres espèces moins exigeantes ou mieux adaptées aux changements écologiques (lentilles, plantes amphibies, hélophytes). L’enrichissement en substances nutritives fait apparaître des formations caractéristiques de milieux eutrophes (nuphars) qui entrent en concurrence avec les communautés des eaux oligotrophes et finissent par les supplanter. Une bonne gestion qualitative et quantitative de l’eau sur les bassins versants et sur la structure des cours d’eau est donc essentielle pour conserver de telles formations. D’autres menaces résultant du mode de gestion des plans d’eau (chaulage, pisciculture intensive) ou de l’immixtion d’espèces invasives ou exotiques végétales (Ludwigia peploides et Ludwigia. grandiflora) très compétitives ou animales (carpes amour, ragondins) qui s’en nourrissent sont également des causes de la disparition et de la dégradation de ces formations. Enfin, la destruction pure et simple (comblement, rupture d’alimentation en eaux ou herbicides) participe pour une part importante à la régression quantitative de cet habitat.

Statut régional

Habitat dispersé dans l’ensemble du Poitou-Charentes, plus répandu toutefois dans certaines régions :

16 : étangs des landes de la Double, étangs du Confolentais
17 : fossés et canaux des marais arrière-littoraux
86 : étangs et landes du sud-est
79 : mares et étangs de la partie armoricaine

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