Chênaie verte thermo-Atlantique

Rédacteur : Jean Terrisse

Physionomie – écologie

La chênaie verte thermo-atlantique non dunaire (à ne pas confondre avec la chênaie verte à Pin maritime des dunes vives ou fossiles du littoral charentais, d’aspect voisin) se rencontre dans les secteurs climatiquement privilégiés du Poitou-Charentes (températures minimales d’hiver douces) : littoral de la Charente-Maritime d’où elle s’enfonce vers l’intérieur jusqu’aux environs de Saintes sous forme de stations éparses, pour se retrouver plus au nord ou à l’est dans des localités très disjointes comme à St Benoit dans la Vienne ou aux environs de Châteauneuf, en Charente. Pour éviter la concurrence du Chêne pubescent, optimal sur tous les sols calcaires de la région, la chênaie verte se cantonne strictement dans des secteurs où le substratum calcaire secondaire affleurant est recouvert d’une mince couche de sol superficiel, en exposition généralement chaude : falaises littorales des « conches » de Royan sur calcaire crayeux du Maestrichtien (au sud de cette ville) ou sur calcaire vacuolaire dur au nord (falaises de Vaux-sur-Mer), micro-falaises et pointements rocheux sur calcaires durs du Cénomanien ou calcaires gréseux du Coniacien dans un triangle Rochefort-St Savinien-Saintes, souvent dans des vallons creusés par de petits affluents de la Charente (Arnoult, Bramerit, Bruant, Freussin, Rochefollet, Escambouille), calcaires du Turonien en Charente…

Un des traits les plus remarquables de la végétation est la sempervirence de beaucoup des espèces structurant l’habitat : le Chêne vert y est toujours l’arbre dominant de la strate arborée, parfois à l’exclusion de toute autre espèce ligneuse. Cette essence à feuillage persistant est si classiquement associée au climat méditerranéen que son aire de répartition a servi à définir en France continentale les limites de ce climat. Il s’agit d’une espèce héliophile et thermophile mais que sa tolérance au froid (il a résisté en Charente-Maritime à des minimas hivernaux inférieurs à -10° au cours des 25 dernières années) autorise à remonter le long du littoral atlantique jusqu’en sud Bretagne ; de tempérament nettement xérophile, c’est une essence qui supporte aisément les sols superficiels à alimentation déficiente en eau et, notamment, le déficit hydrique estival caractéristique du climat thermo-atlantique régnant sur le littoral de la Charente-Maritime (faiblesse des précipitations, associée à des températures assez élevées de juin à août). De croissance lente, le Chêne vert rejette bien de souche et ses peuplements sont généralement traités en taillis à courte révolution exploités pour le bois de chauffe (excellent combustible). Le Filaria à feuilles larges Phillyrea latifolia, grand arbuste (rarement petit arbre) sempervirent est ici le compagnon le plus fidèle du chêne vert, au point que la co-occurrence des 2 espèces suffit en général à définir l’habitat. Le Rosier toujours vert Rosa sempervirens est la 3ème espèce fréquente de l’habitat (ce rosier à feuillage persistant est assez répandu dans de nombreux types forestiers de la frange littorale). Quelques autres espèces, très caractéristiques mais ne se rencontrant que dans les exemplaires les plus riches de l’habitat (autour de Royan) comprennent diverses méditerranéennes plus ou moins strictes comme l’Arbousier Arbutus unedo, l’Alaterne Rhamnus alaternus ou la Clématite brûlante Clematis flammula ; le Laurier-tin Viburnum tinus, espèce ornementale, y est naturalisée et s’y ressème très bien. Le reste des espèces emprunte surtout au cortège de la chênaie pubescente – Erable de Montpellier, Garance voyageuse etc. – mais il faut noter qu’en raison de la densité du couvert arboré et du peu de lumière filtrant jusqu’au sol, la strate herbacée de la chênaie verte est souvent d’une grande pauvreté : quelques rares espèces tolérantes à l’ombre comme le Lierre, le Fragon, l’Iris fétide ou l’Arum d’Italie (tous à feuillage persistant !) y sont généralement dominantes.

Phytosociologie et correspondances typologiques

PVF 2004

  • QUERCETEA ILICIS Br.-Bl. 1952 : végétation arborée ou arbustive méditerranéenne
    • Quercetalia ilicis Br.-Bl. ex Molinier 1934 : communautés arborées fermées
      • Quercion ilicis Br.-Bl. & Molinier 1934 : communautés du méditerranéen subhumide (avec irradiation thermo-atlantique)

COR 1991

  • 45.3 Forêts de chêne vert méso- et supra-méditerranéennes

Directive Habitats 1992 et Cahiers d’habitats

  • 9340-10 Yeuseraies aquitaines

Confusions possibles

Dans quelques rares sites littoraux où les 2 habitats coexistent (pointe de Suzac, par ex.) la yeuseraie aquitaine pourrait être confondue avec la chênaie verte à pin des dunes boisées ; la présence du Pin maritime (généralement dominant, car favorisé par les sylviculteurs !) dans cette dernière, ainsi qu’un substrat en principe sableux (dunes vives ou fossiles) suffit à distinguer en principe les deux habitats.

Les problèmes sont plus délicats vers l’intérieur des terres où, dans certaines situations moins xéro-thermophiles (sols un peu plus profonds, exposition moins favorable), la chênaie verte est plus ou moins introgressée par des éléments de la chênaie pubescente ; on peut ainsi passer d’une véritable chênaie verte à un faciès thermophile à chêne vert de la chênaie pubescente. La dominance ou non des espèces sempervirentes – notamment dans la strate ligneuse (arbres, arbustes, lianes), de même que la présence ou l’absence d’espèces très caractéristiques comme le Filaria à feuilles larges ou le Rosier sempervirent, sont de bonnes aides à la décision mais il faut savoir qu’il existe des situations intermédiaires difficilement classables.

Dynamique

La dynamique liée à la chênaie verte se déduit de l’observation des phytocénoses spatialement liées, particulièrement au niveau de ses lisières ou des coupes. Des études ont ainsi montré que le manteau associé à l’habitat est la fruticée calcicole à Garance et Viorne lantane (RUBIO PEREGRINAE-VIBURNETUM LANTANAE) représentée ici par une sous-association plus thermophile à Quercus ilex, Phillyrea latifolia, Arbutus unedo…Sur le littoral des environs de Royan, l’ourlet de la chênaie verte est représenté par l’association à Inule à feuilles de spirée et Badasse (INULO SPIRAEIFOLIAE-DORYCNIETUM PENTAPHYLLI), mais celui de la Saintonge intérieure n’est pas clairement identifié.

La chênaie verte s’insère dans une série dynamique dont le stade « initial » est une pelouse xéro-thermophile à Grande Pâquerette et Fétuque de Léman (BELLIDI PAPPULOSAE-FESTUCETUM LEMANII), du moins pour les sites intérieurs de Charente-Maritime.

Pour le site des Chaumes Boissières en Charente, il s’agit de la pelouse à Crapaudine de Guillon et Koelérie du Valais (SIDERITIDO GUILLONII-KOELERIETUM VALLESIANAE).

Dans les situations où la yeuseraie est insérée dans un contexte forestier plus mésophile (chênaie pubescente, chênaie-frênaie calcicole des vallons de la Saintonge intérieure), elle semble pouvoir se maintenir indéfiniment au niveau des falaises calcaires où seul le Chêne vert peut faire pénétrer ses racines.

Espèces indicatrices

[plante2] *Arbutus unedo, Clematis flammula, *Osyris alba, *Phillyrea latifolia, Quercus ilex, Rhamnus alaternus, *Rosa sempervirens, (Viburnum tinus)
[plante1] Acer campestre, Acer monspessulanum, Arum italicum, Brachypodium pinnatum, Carex flacca, Crataegus monogyna, *Daphne laureola, Epipactis helleborine, Fraxinus angustifolia ssp.oxycarpa, Hedera helix, Iris foetidissima, Laurus nobilis, Ligustrum vulgare, Quercus pubescens, Rubia peregrina, Ruscus aculeatus, Sorbus torminalis, Tamus communis, Viburnum lantana
[mammiferes] Genetta genetta
[orthopteres] Cyrtaspis scutata, Ephippiger ephippiger, Leptophyes punctatissima, Oecanthus pellucens, Meconema meridionale, Pholidoptera griseoaptera
[briophytes] Hypnum cupressiforme, Pleurochaete squarrosa, Scleropodium purum, Tortula ruraliformis
[champignons] Cortinarius aurilicis, Cortinarius chavassutii, Cortinarius variiformis, Lactarius atlanticus, Leccinum lepidum, Mycena quercus-ilicis, Russula ilicis, Scenidium nitidum

Valeur biologique

L’habitat est considéré comme menacé en Europe et figure à l’Annexe I de la Directive 92/43/CEE dite « Directive Habitats ». En Poitou-Charentes, la yeuseraie aquitaine est très localisée et n’occupe que quelques sites ponctuels aux caractères édapho-climatiques originaux : températures hivernales douces, substrat rocheux couvert d’un sol squelettique. Sa valeur paysagère est très forte car elle confère aux biotopes rocheux auxquels elle est le plus souvent associée un caractère méditerranéen accusé.

La valeur floristique de l’habitat est surtout marquée sur le littoral
où plusieurs plantes méditerranéennes trouvent refuge : Arbousier, Alaterne, Osyris…mais elle reste modeste à l’intérieur des terres, hormis la présence parfois abondante du Filaria (bois de Trizay, par ex.).

L’intérêt faunistique de l’habitat pour les Vertébrés est beaucoup plus diffus – aucun Mammifère ou Oiseau ne lui est spécialement inféodé – mais il est possible que certains Invertébrés lui soient particulièrement liés (données manquantes).

Menaces

Sur le littoral, les principales menaces sont liées à l’urbanisation. Depuis le milieu du XIXème siècle, qui a vu l’essor du tourisme balnéaire, les « conches » (anses naturelles creusées dans le calcaire) des environs de Royan ont été soumises à un développement effréné des constructions qui a entraîné la destruction de surfaces importantes de l’habitat : de nos jours, les taches résiduelles de yeuseraie occupent des surfaces infimes et leur état de conservation est mauvais (pénétration d’espèces exotiques ou horticoles, cortège spécifique incomplet, eutrophisation de la strate herbacée, piétinement…).

Pour les sites non littoraux, les menaces sont plus diffuses : carrières (qui peuvent détruire l’habitat mais qui peuvent aussi, dans certains cas, en mettant le substrat rocheux à nu, créer des conditions favorables à son implantation), incendies, chablis dus aux tempêtes (beaucoup de vallons où existe l’habitat ont une orientation ouest/est, très exposée aux coups de vents et aux tempêtes)…

Les modalités de gestion courantes – taillis – font actuellement l’objet d’un questionnement quant au maintien de la capacité de régénération pour des taillis au-delà de 60 ans. Il semblerait que des rotations courtes de l’ordre de 30-40 ans soient les plus favorables au maintien de la yeuseraie. Le passage éventuel d’un taillis à une futaie ne pourra se faire qu’avec précaution par furetage (brins d’âges différents par souche) et vieillissement de brins sélectionnés, la régénération par semences étant plus problématique (expériences à mener).

Statut régional

L’habitat est surtout connu du littoral de Charente-Maritime et d’une petite partie de la Saintonge. Il est rarissime ailleurs. Pratiquement toutes ses occurrences ont été recensées et inscrites aux grands inventaires de flore et de faune des 2 dernières décennies.

16 : chaumes Boissières (Châteauneuf-sur-Charente)

17 : environs de Royan, bois de Trizay, bois de Lozai, vallées de l’Arnoult, du Bramerit, du Freussin, du Bruant, du Rochefollet, des Auzes, de l’Escambouille

86 : rochers de Passelourdain (St Benoît)