Végétation des dalles siliceuses

Rédacteur : David Suarez

Physionomie-écologie

Les pelouses rupicoles siliceuses sont des formations végétales pionnières à dominante de vivaces qui se développent sur les corniches et vires rocheuses des bordures de falaises siliceuses, ainsi que sur les gros blocs rocheux détachés de celles-ci ou mis à nu par l’érosion. Sur ces roches, notamment en exposition sud, les contraintes écologiques sont extrêmes : sols squelettiques, déficit hydrique et ensoleillement important. Les conditions de sécheresse qui en résultent entraînent l’installation d’une flore xérophile très spécialisée qui a développé diverses stratégies d’adaptation telles que la succulence des feuilles, la réduction des surfaces foliaires…

L’abondance des espèces du genre Sedum donne habituellement à l’habitat sa physionomie caractéristique, complétée au printemps et parfois à l’automne par la floraison discrète et fugace de quelques annuelles. Il s’agit de pelouses très rases, écorchées et peu recouvrantes, dominées par les thérophytes et les chaméphytes crassulescents, accompagnés par de nombreux lichens. Cet habitat peut présenter un aspect très variable d’une année sur l’autre, en fonction des conditions météorologiques et, notamment, de la pluviométrie, qui influe directement sur l’abondance, voire l’absence des annuelles.

Dans la région Poitou-Charentes, les surfaces occupées par cet habitat sont très faibles, le plus souvent limitées à quelques m2, sur des rochers granitiques ou schisteux dénudés, des dalles affleurantes, en bordure de falaises naturelles ou artificielles (carrières) ou sur celles-ci, à la faveur de légers replats. On notera que les secteurs à roche-mère cristalline sont très localisés dans la région : Charente limousine (16), région de Lathus (86) et Gâtine armoricaine (79).

Certaines des espèces végétales qui composent les pelouses rupicoles siliceuses se rencontrent également parfois au sommet des vieux murs ou sur les corniches des bâtiments anciens, qui constituent alors des supports de substitution réunissant les conditions écologiques favorables à ces plantes spécialisées.

Phytosociologie et correspondances typologiques

PVF 2004

  • Sedo albi – Scleranthetea biennis Br.-Bl 1955
    • Sedo albi – Scleranthetalia biennis Br.-Bl 1955 : communautés silicicoles
      • Sedo albi – Veronicion dillenii Oberdorfer ex Korneck 1974 : communautés subatlantiques à médio-européennes

COR 1991

  • 34.11 Pelouses médio-européennes sur débris rocheux siliceux
    • 34.111 Pelouses à Sedum sp
    • 34.114 Communautés thérophytiques médio-européennes
  • 62.3 Dalles rocheuses

Directive Habitats 1992 et Cahiers d’habitats

  • 8230 Pentes rocheuses avec végétation chasmophytique
    • 8230-4 Pelouses pionnières continentales et subatlantiques acidiclines des dalles siliceuses sèches et chaudes

Confusions possibles

Les pelouses rupicoles siliceuses peuvent être confondues avec les pelouses thérophytiques (Thero-Airion), dominées par les annuelles, et les pelouses calcifuges (Nardetalia strictae) composées principalement de vivaces. La distinction de ces 3 groupements est parfois difficile, car ils sont le plus souvent présents ensemble dans les mêmes stations et imbriqués étroitement. De même, sur certains rochers, on peut observer une juxtaposition entre les pelouses rupicoles et la végétation des parois siliceuses (Asplenio billotii-Umbilicion rupestris), où alternent des orpins (Sedum ssp) sur les rebords horizontaux et des fougères dans les fissures et zones verticales. On peut également observer une végétation similaire sur les sommets de vieux murs dont les pierres sont issues de roches cristallines : le cortège végétal y est alors appauvri, accompagné d’espèces exogènes échappées des rocailles de jardin. Il s’agit d’un habitat différent, appartenant au Centrantho-Parietarion.

On notera qu’un biotope équivalent se développe sur les dalles calcaires, appartenant à l’association de l’Alysso-Sedion albi. Malgré une morphologie assez proche, la nature très différente de la roche permet de les distinguer assez facilement.

Dynamique

Les pelouses rupicoles constituent la première phase de végétalisation de la roche siliceuse nue. Lorsque le sol s’épaissit, on observe l’apparition des pelouses à annuelles (Thero-Airion), puis celle des pelouses calcifuges à dominante de vivaces (Nardetalia strictae) et enfin une lande sèche s’installe (Ulicenion minoris).

Les pelouses rupicoles peuvent être considérées comme relativement stables, notamment au niveau des stations situées en bordure de falaise ou sur les rochers, où l’érosion naturelle due aux précipitations et aux vents ne permet pas l’accumulation d’humus et l’installation des vivaces préparant l’apparition des pelouses calcifuges.

Le passage répété d’engins, le surpiétinement, le pâturage intensif par des ovins, bovins ou des lapins des pelouses calcifuges peuvent permettre, en mettant les sols à nu, le maintien ou l’extension de cet habitat, alors souvent associé aux pelouses thérophytiques. Le décapage du sol ou la mise à nu de la roche-mère, lors de la création de carrières notamment, peut également être favorable à son développement.

Espèces indicatrices

[plante2] *Allium schoenoprasum, *Ceratocapnos claviculata, *Gagea bohemica, *Hypericum linariifolium, Micropyrum tenellum, *Plantago subulata, Poa bulbosa, Ranunculus paludosus, Rumex acetosella, Saxifraga tridactylites, Scilla autumnalis, *Scleranthus perennis, Sedum album, *Sedum andegavense, *Sedum forsterianum, Sedum rupestre, *Sedum rubens, *Silene vulgaris ssp bastardii, *Teesdalia coronopifolia, Teesdalia nudicaulis, Thymus praecox
[plante1] Acinos arvensis, Aira caryophyllea, Aira praecox, Allium sphaerocephalon, Andryala integrifolia, Arabidopsis thaliana, Arenaria leptoclados, *Arnoseris minima, *Bupleurum gerardi, Cerastium pumilum, Coincya cheiranthos, Digitalis purpurea, Draba muralis, Erodium cicutarium, Erophila verna, *Galium saxatile, *Halimium umbellatum, Hieracium gr pilosella, Jasione montana, *Linaria pelisseriana, Linaria repens, *Linum trigynum, Logfia gallica, Logfia minima, Mibora verna, Minuartia hybrida, *Moenchia erecta, Petrorhagia prolifera, Potentilla argentea, Potentilla tabernaemontani, Sedum acre, Seseli montanum, *Spergula morisonii, *Spergula pentandra, Stachys recta, Trifolium arvense, Trifolium glomeratum, Veronica arvensis, Vicia lathyroides
[briophytes] Bryum alpinum, Grimmia decipiens, Grimmia laevigata, Philonotis fontana, Racomitrium lanuginosum Riccia ciliifera, Riccia beyrichiana, Targionia hypophylla
[lichens] Cladonia furcata, C.portentosa, C.pyxidata, C.ramulosa, C.gr.coccifera, C.uncialis, Peltigera canina, P.membranacea, P.praetextata, P.rufescens
[reptiles] Podarcis muralis
[amphibiens] Alytes obstetricans
[orthopteres] Aiolopus thalassinus, Calliptamus italicus, Oedipoda caerulescens

Valeur biologique

La valeur biologique importante de cet habitat en Poitou-Charentes est due à sa rareté et sa faible superficie, ainsi qu’à la présence de nombreuses espèces végétales patrimoniales, protégées au niveau national comme la Gagée de bohème Gagea bohemica et l’Orpin d’Angers Sedum andegavense, régional comme le Millepertuis à feuilles de linaire Hypericum linariifolium et le Silène de Bastard Silene vulgaris ssp bastardii, ou inscrites sur les listes rouges nationales et régionales. De plus, ces milieux rocheux constituent un habitat de prédilection pour les reptiles et de nombreux invertébrés.

Menaces

Les pelouses rupicoles, toujours très morcelées, se maintiennent assez bien en bordure de falaises ou sur les rochers. Dans le cas où elles sont imbriquées dans d’autres types de pelouses au sein d’ensembles pâturés, elles tendent à disparaître avec l’abandon du pâturage. La plus grande menace pour cet habitat reste aujourd’hui la surfréquentation de certaines zones pour les loisirs : véhicules tout-terrain, escalade, pique-nique, etc. Paradoxalement, ces pratiques, lorsqu’elles ne sont pas trop intensives, permettent de maintenir l’ouverture du milieu et favorisent cet habitat.

La fermeture du tapis végétal est par ailleurs un facteur d’appauvrissement marqué de ces habitats dont la végétation optimale doit présenter un recouvrement faible pour permettre la survie de nombreuses espèces naines (mousses, lichens, thérophytes).

La Gagée de Bohême Gagea bohemica et l’Orpin d’Angers Sedum andegavense sont 2 espèces très rares (protégées au niveau national), caractéristiques de l’habitat. Leur seul centre de dispersion dans la région Poitou-Charentes se situe autour d’Argenton-Château et de Thouars, dans la partie armoricaine des Deux-Sèvres.

Statut régional

Habitats très disséminé : les affleurements de roches cristallines sont rares en Poitou-Charentes, et les surfaces concernées par cet habitat sont très faibles

16 : vallée de la Tardoire, vallée de l’Issoire

17 : absent

79 : Gâtine, environs de Thouars et d’Argenton le Château

86 : environs de Ligugé, vallée de la Gartempe