Gazons de petites annuelles éphémères

Rédacteur : Jean Terrisse

Physionomie – écologie

Les gazons de petites annuelles éphémères se rencontrent typiquement en bordure de différents types de plans d’eau peu profonds (lacs, étangs, mares, fossés), sur des substrats très variables, mais en général plutôt oligotrophes, grossiers (sables) ou fins (limons), acides ou neutres. Certains faciès se développent également sur les chemins forestiers plus ou moins inondables ou sur des coupe-feux humides traversant des landes calcifuges, plus rarement en bordure de dépressions arrière-dunaires ou au sein de prairies saumâtres. Dans tous les cas, le niveau de l’eau connaît des variations saisonnières permettant d’opposer une phase inondée de l’habitat et une phase exondée. L’éclairement doit être maximal dans la plupart des situations et le développement d’une végétation arborée entraîne une régression marquée des espèces caractéristiques. L’habitat supporte bien en général le piétinement, notamment dans les conditions eutrophes où la végétation vivace a tendance à concurrencer fortement les annuelles. Dans de nombreux cas, l’habitat ne peut même se maintenir qu’à la faveur d’actions anthropiquestelles que la création d’ornières par le passage d’engins lourds. Tout en étant indispensables à l’habitat, les fluctuations du niveau de l’eau selon les années en fonction de la pluviométrie sont responsables par ailleurs de sa grande variabilité au fil des années et expliquent sa forte sensibilité à toute artificialisation d’origine humaine.

Avec une douzaine d’associations végétales distinctes recensées, recouvrant 5 alliances, l’habitat est remarquablement diversifié au sein de la région. Cette différenciation tient à l’intrication de 4 gradients dont les différentes combinaisons permettent l’expression de communautés hautement distinctes : un gradient géographique opposant les communautés à affinités atlantiques aux continentales (ces dernières très localisées sur la marge orientale de la Vienne et de la Charente), un gradient trophique opposant les situations méso- à eutrophes aux situations oligotrophes, un gradient topographique opposant les faciès de bas-niveau (donc longuement inondables) aux faciès de niveaux moyen à supérieur (précocement exondés) et un gradient édaphique opposant les communautés acidiphiles (les plus nombreuses) aux communautés basophiles.

L’habitat se présente comme un fin gazon de plantes annuelles naines dominé par des Joncacées et des Cypéracées, formant des taches de quelques dm² à quelques m² disposées tantôt en mosaïque avec des végétations vivaces hygrophiles, tantôt en situation pionnière sur le sol nu. Le recouvrement est toujours faible et le substrat en général visible entre les thérophytes. La stratification est nulle ou peu apparente du fait de la faible taille des végétaux structurants. La phénologie est tardive (estivale à pré-automnale), surtout pour les faciès de l’habitat liés aux bas niveaux topographiques où la végétation doit attendre l’exondation du milieu pour se développer. La floraison de nombreuses espèces est souvent discrète (faible taille), fugace (quelques semaines seulement peuvent s’écouler entre germination et fructification) et connaît de fortes variations inter annuelles liées aux fluctuations des conditions hydriques.

Phytosociologie et correspondances typologiques

PVF 2004

Alliance Cicendion filiformis (Rivas Goday) Br.-Bl.1967
Thermo-atlantique, oligotrophe, niveau topographique moyen à supérieur
Alliance Heleochloion schoenoidis (Rivas Goday) Br.-Bl.1956
Méditerranéo-atlantique, eutrophe, bas niveau topographique
Alliance Elatino-Eleocharition ovatae Pietsch 1969

Continentale, sols oligo- à mésotrophes

Alliance Nanocyperion flavescentis Koch ex Libbert 1932

Continentale, niveau topo.moyen, sol argileux/tourbeux

Alliance Radiolion linoidis Pietsch 1971

Continentale, niveau topo.moyen, sol sableux

COR 1991

22.32 Communautés amphibies annuelles septentrionales

Directive Habitats 1992 et Cahiers d’habitats

3130 Eaux stagnantes oligotrophes à mésotrophes avec végétation des Littorelletea et/ou des Isoeto-Nanojuncetea
3130-3 Communautés annuelles mésotrophiques à eutrophiques, de bas niveau topographique, d’affinités continentales
3130-4 Communautés annuelles oligotrophiques à mésotrophiques, de bas niveau topographique, d’affinités atlantiques
3130-5 Communautés annuelles oligotrophiques à mésotrophiques, de niveau topographique moyen
3130-6 Communautés annuelles oligotrophiques à mésotrophiques, neutrophiles à basophiles, de niveau topographique moyen

Confusions possibles

Par ses caractéristiques stationnelles et sa structure de gazon ras dominé par des nano-thérophytes, l’habitat ne peut guère être confondu. Dans certaines situations toutefois, l’eutrophisation du milieu (substrat, eau) peut entraîner son introgression par diverses plantes nitrophiles – renouées, bidents, oseilles – qui brouillent l’interprétation. Par ailleurs, dans le cas de communautés annuelles mosaïquées avec des faciès vivaces, la séparation des deux synusies n’est pas toujours aisée et même, parfois, impossible

Dynamique

Les gazons à petites annuelles éphémères constituent un habitat de type pionnier, plus ou moins instable dans l’espace et dans le temps, à caractère nomade, dont la dynamique naturelle est largement tributaire de la dynamique hydrique. En cas d’assèchement prolongé du milieu, l’habitat cède la place à des formes sèches beaucoup moins originales avec perte d’une grande partie du cortège caractéristique. A l’inverse, une hygrophilisation marquée du milieu (par stabilisation du plan d’eau par exemple) risque d’entraîner la destruction rapide de l’habitat par l’invasion de grandes plantes hygrophiles coloniales (espèces de mégaphorbiaies, de roselières). Dans les sites où l’habitat forme des mosaïques instables avec des communautés vivaces – bas-marais, prairies oligotrophes, landes calcifuges – un minimum de pressions biotiques (piétinement, fauche) est nécessaire pour éviter la disparition des fragiles espèces annuelles.

Espèces indicatrices

[plante2] *Anagallis minima, *Blackstonia imperfoliata, *Carex bohemica, Centaurium pulchellum, *Centaurium spicatum, Centaurium tenuiflorum, *Cicendia filiformis, Cyperus fuscus, *Cyperus flavescens, *Cyperus michelianus, *Damasonium alisma, *Elatine hexandra, *Eleocharis ovata, *Exaculum pusillum, *Isolepis cernua, Isolepis setacea, Juncus capitatus, Juncus pygmaeus, *Kickxia cirrhosa, *Limosella aquatica, *Lythrum tribracteatum, Montia fontana ssp.chondrosperma, *Myosurus minimus, *Potentilla supina, *Pulicaria vulgaris, *Pycreus flavescens, Radiola linoides, *Ranunculus nodiflorus, *Sedum villosum, Veronica acinifolia
[plante1] Gnaphalium uliginosum, *Gypsophila muralis, Juncus bufonius, Juncus tenageia, Lythrum hyssopifolia, Lythrum portula, Polygonum aviculare, Pseudognaphalium luteo-album, Ranunculus sardous
[briophytes] Aphanoregma patens, Archidium alternifolium, Bryum alpinum, Fossombronia pusilla, Fossombronia wondraczekii, Micromitrium tenerum, Philonotis fontana, Physcomitrium eurystomum, Physcomitrium sphaericum Racomitrium elongatum Riccia beyrichiana, Riccia canaliculata, Riccia cavernosa, Riccia ciliifera, Riccia fluitans, Riccia huebeneriana, Riccia nigrella
[champignons] Alnicola melinoides, A. scolecina, Cortinarius saniosus, Hebeloma pallidoluctuosum, Inocybe agardhii, I. curvipes, I. flavella fo. roseipes, I. lanuginosa, I. paludinella, I. squarrosa, Lactarius lacunarum, Pholiota gummosa, Xerocomus ripariellus

Valeur biologique

Avec 38 espèces végétales caractéristiques dont 22 inscrites sur la Liste Rouge régionale, l’habitat possède une très haute valeur patrimoniale sur le plan floristique : c’est dans cet habitat par exemple que se localisent la seule station régionale de Renoncule nodiflore Ranunculus nodiflorus, taxon inscrit au Livre Rouge National, les 2 stations du Poitou-Charentes de Linaire à vrilles Kickxia cirrhosa, Scrophulariacée méditerranéenne en aire disjointe, ou encore les seules localités pour la Laîche de Bohême Carex bohemica, Cypéracée continentale atteignant sa limite d’aire occidentale dans notre région. Son caractère éphémère et fugace le rend en revanche peu attractif pour la faune.

Menaces

Du fait de sa nature très ponctuelle, le sort de cet habitat est lié le plus souvent à celui des complexes écologiques auxquels il s’intègre : étangs et leurs rives, landes calcifuges, dépressions arrière-dunaires. Sa localisation fréquente en périphérie de plans d’eau utilisés pour des activités de loisirs ou de pêche l’expose notamment à diverses menaces : stabilisation du plan d’eau, eutrophisation des eaux, surpiétinement, artificialisation des rives. La fermeture de milieux autrefois exploités et aujourd’hui abandonnés signifie la disparition de biotopes où l’habitat pouvait s’implanter. Le développement de la sylviculture intensive du Pin maritime a eu en revanche un impact favorable sur l’habitat par la multiplication des pare-feux régulièrement entretenus où de nombreuses espèces caractéristiques peuvent s’observer (l’exemplaire le plus riche de l’habitat au niveau régional se trouve dans un pare-feu sablonneux isolant une voie ferrée d’une grande zone de landes).

Statut régional

Habitat très disséminé, présent surtout dans les régions d’étangs et sur les substrats géologiques favorables (dépôts sableux tertiaires, socle granitique) : partie armoricaine de 79, Double charentaise, sud-est de la Vienne, est Charente.

De nombreux sites abritant des échantillons riches ou représentatifs de l’habitat ont été intégrés et décrits dans les inventaires du patrimoine naturel récents (ZNIEFF, NATURA 2000) auxquels on se reportera pour plus de détails.

16 : landes de la Double, Confolentais

17 : landes de Cadeuil, landes de Montendre, lèdes d’Oléron

86 : étangs et landes du Montmorillonnais

79 : mares et étangs de la partie armoricaine