Forêts de pentes et de ravins à tilleuls et érables

Rédacteur : David Suarez

Physionomie – écologie

Cet habitat, aussi appelé tiliaie-acéraie, se développe sur les fortes pentes calcaires (parfois aussi siliceuses) ou au sein de talwegs forestiers, situés le plus souvent en marge des plateaux calcaires durs entaillés par des vallées.

Ces pentes sont alors recouvertes d’éboulis grossiers, voire de blocs calcaires détachés par l’érosion. Il s’agit d’un boisement sombre, frais et à forte humidité atmosphérique, très pentu, généralement orienté au nord ou à l’est, et dont le sol peu épais est recouvert d’une couche muscinale importante. L’accessibilité difficile des ravins dans lesquels il s’installe rend l’exploitation du bois presque impossible et permet le maintien d’une futaie âgée, prenant parfois l’aspect d’une forêt subprimaire.

La strate arborée est composée de grands tilleuls (Tilia platyphyllos), érables (Acer campestre surtout, plus rarement Sycomore Acer pseudoplatanus seulement subspontané en région Poitou-Charentes), chênes (Quercus robur), frênes (Fraxinus excelsior), plus rarement d’Orme de montagne Ulmus glabra et la strate herbacée est plutôt clairsemée, généralement caractérisée par l’omniprésence des fougères dont la Scolopendre Asplenium scolopendrium est la plus répandue.

Les conditions micro-climatiques réunies dans ces stations sont favorables à la présence d’espèces végétales à affinités montagnardes ne supportant pas un ensoleillement prolongé, souvent relictuelles et généralement rares en plaine, comme la Cardamine pennée Cardamine heptaphylla, dont la floraison printanière de milliers de pieds illumine le sous-bois de son unique localité régionale située en Charente, près de Cognac. D’autres plantes remarquables, plutôt indicatrices des chênaies-charmaies du Carpinion Betuli avec lesquelles la tiliaie est souvent en contact, notamment en bas de pente, peuvent s’insérer dans le cortège végétal, comme la Lathrée écailleuse Lathraea squamaria, le Lis martagon Lilium martagon, l’Androsème Hypericum androsaemum

On notera que cet habitat couvre généralement de faibles surfaces en Poitou-Charentes, car les conditions nécessaires à son développement (fortes pentes, éboulis, exposition nord…) sont rarement réunies en plaine. De plus, il reste mal connu et les formes atypiques ou de transition avec d’autres types forestiers sont plus fréquentes que les situations exemplaires.

Phytosociologie et correspondances typologiques

PVF 2004

Alliance : Tilio platyphylli-Acerion pseudoplatani (Klika 1955)

COR 1991

41.41 Forêts de pentes et de ravins à tilleuls et érables

Directive Habitats 1992 et Cahiers d’habitats

9180* Forêts de pentes, éboulis, ravins du Tilio-Acerion

Confusions possibles

Cet habitat peut être confondu avec d’autres boisements susceptibles de coloniser les pentes calcaires comme les chênaies-frênaies atlantiques qui se développent plutôt sur les pentes modérées et sur des matériaux plus fins, les chênaies-charmaies, qui se développent généralement en fond de vallée sur un sol profond mais qui sont souvent en contact direct avec la tiliaie-acéraie en bas de pente ; la chênaie thermophile peut également présenter un faciès « frais » et descendre le long des rebords de plateaux calcaires qu’elle occupe le plus souvent, et se mêler alors avec la tiliaie. Sur sol acide, avec des conditions stationnelles équivalentes, on observe un boisement d’apparence assez similaire, où le Hêtre est alors souvent présentdans des stations qui jouent le rôle de refuge pour cette essence au sein d’une région dont le climat général ne lui convient pas (pluviométrie insuffisante). Les confusions possibles avec d’autres types de boisements sont assez nombreuses et seuls des relevés rigoureux de végétation permettent de caractériser avec certitude cet habitat, surtout en zone de basse altitude comme c’est le cas en Poitou-Charentes.

Dynamique

Les forêts de pentes et de ravins sont des boisements stables, qui constituent le stade final de développement de la végétation sur pentes et éboulis calcaires en exposition fraîche (nord ou est). En raison des conditions d’exploitation très difficiles liées notamment aux conditions d’accès, ces forêts sont souvent laissées en l’état, et constituent peut-être les dernières reliques, ou du moins un aperçu, de ce que pouvaient être les forêts primaires qui couvraient autrefois toute l’Europe.

Espèces indicatrices

[plante2] Asplenium scolopendrium , *Cardamine heptaphylla, *Carex digitata, *Doronicum plantagineum, *Dryopteris affinis, *Polystichum aculeatum, Polystichum setiferum, Stachys alpina, Tilia platyphyllos, *Ulmus glabra
[plante1] Acer campestre, Acer pseudoplatanus, *Aconitum vulparia, Buxus sempervirens, Campanula trachelium, Cardamine impatiens, Corydalis solida, Corylus avellana, *Doronicum pardalianches, *D.plantagineum, Fagus sylvatica, Fraxinus excelsior, Hedera helix, Hypericum androsaenum, Lamium galeobdolon, *Lathraea squamaria, *Lilium martagon, Milium effusum, *Muscari botryoides, Orchis mascula, Oxalis acetosella, Quercus robur, *Scilla bifolia, *Veronica montana
[briophytes] Cirriphyllum piliferum, Ctenidium molluscum, Eurhynchium striatulum, Eurhynchium striatum, Fissidens taxifolius, Hylocomium brevirostre, Neckera crispa, Polytrichum formosum, Rhytidiadelphus loreus, Rhytidiadelphus triquetrus, Thamnobryum alopecurum, Thuidium tamariscinum
[champignons] Rutstroemia luteovirescens
[mammiferes] Blaireau d’Europe Meles meles
[oiseaux] Pic cendré Picus canus
[mollusques] Acicula fusca, Arion intermedius, Carychium minimum

Valeur biologique

Cet habitat est rare en région Poitou-Charentes, où il couvre généralement de faibles surfaces. De plus, les stations où le cortège floristique est riche en espèces végétales à affinités montagnardes ou continentales, souvent relictuelles en plaine, se comptent quasiment sur les doigts de la main. De fait, beaucoup des plantes caractéristiques de ce groupement sont au moins inscrites sur la Liste Rouge des espèces menacées en Poitou-Charentes. L’exemple le plus remarquable est le Bois des Fosses, situé en Charente près de Cognac le long de la vallée du fleuve Charente, où l’on peut observer la Cardamine pennée Cardamine heptaphylla, ici en aire disjointe et dont les stations les plus proches sont situées dans le Massif Central. La présence de futaies souvent âgées et peu fréquentées du fait de l’accessibilité difficile favorise également la faune : les rares pics mar et cendré peuvent y être rencontrés, le Blaireau, qui utilise les zones d’éboulis pour creuser son terrier, apprécie particulièrement ce milieu. Lorsque l’érosion a pris soin de creuser des grottes à flanc de pente, des chauves-souris y élisent alors fréquemment domicile.

Menaces

En raison des difficultés d’exploitation sylvicole des stations où cet habitat est présent, il n’existe pas de menace réelle pour le maintien de ce boisement en Poitou-Charentes. Toutefois, en raison de la pente qui le caractérise, et surtout lorsqu’une route le surplombe, on y observe fréquemment des dépôts sauvages, parfois très anciens (carcasses de vieilles voitures…). Parfois, les éboulis rocheux sont utilisés par des véhicules tout-terrain, notamment les motos de trial. Ces atteintes restent cependant peu fréquentes.

Statut régional

Habitat disséminé : présent surtout en 16 et en 86

Les sites comportant des surfaces significatives de cet habitat ont presque tous été intégrés et décrits dans les inventaires du patrimoine naturel récent (ZNIEFF, Natura 2000) auxquels on se reportera pour plus de détails.

16 : Bois des Fosses, Grande Fosse (forêt de la Braconne), Côte du Chatelars, Bois des Loges

79 : Vallée de la Touche-Poupard

86 : bords de la Vienne aux environs de Chauvigny, vallée d’Anglin