Végétation de grandes annuelles nitrophiles

Rédacteur : Jean Terrisse

Physionomie – écologie

L’habitat est susceptible d’occuper 3 types de milieux différents : les berges des rivières à courant lent, les rives de pièces d’eau à niveau variable (mares, étangs), ces 2 cas correspondant à des situations primaires, et certains sites sureutrophisés tels que les abords d’abreuvoirs, les zones d’épandage de lisiers ou de boues de stations d’épuration (situations secondaires). Dans tous les cas, le substrat présente une forte humidité saisonnière favorisée par les fluctuations du niveau de l’eau, une grande richesse en azote, phosphates et potassium et une couverture végétale vivace nulle ou très faible (favorisée en bordure des rivières par les crues régulières). L’habitat possède un caractère pionnier et instable manifeste, largement dépendant de la dynamique hydraulique (date et durée de l’étiage, intensité des crues).

La végétation est structurée par de grandes espèces annuelles appartenant surtout aux familles des Polygonacées (genre Polygonum, surtout, avec 6 espèces, genre Rumex), des Astéracées (genre Bidens avec 2 espèces spontanées et 1 adventice américaine) et des Chénopodiacées (genre Chenopodium). Plusieurs de ces espèces possèdent des semences pouvant rester dormantes dans le substrat durant de longues années, attendant des conditions favorables pour germer (plantes à éclipses). La phénologie est tardi-estivale à automnale, au moment de l’étiage, la végétation se développant alors très rapidement sous l’effet de la chaleur sur un substrat nu, encore humide et très riche en azote.

Comme ailleurs en France, la variabilité régionale de l’habitat est surtout sous la dépendance des conditions hydrologiques et de la granulométrie du substrat, la richesse en nutriments intervenant plus dans l’abondance de la biomasse que dans la différenciation des faciès. La typologie phytosociologique est mal connue en Poitou-Charentes mais plusieurs associations répandues dans une grande partie des plaines tempérées françaises sont manifestement présentes. Certains types méritent une mention particulière en raison d’une écologie plus spécifique : c’est le cas de la communauté à Arroche prostrée et Chénopode à feuilles grasses (Atriplici-Chenopodietum chenopodioidis) qui colonise les vases organiques légèrement salées des polders littoraux ; ou encore du Chenopodion rubri propre aux rives de la Loire (et entièrement dépendant du régime hydrologique de ce fleuve) qui pénètre dans l’extrême nord de la région en s’avançant le long de certains affluents majeurs tels que la Vienne.

Phytosociologie et correspondances typologiques

PVF 2004

Alliance Bidention tripartitae Tüxen, Lohmeyer Preising 1950

Communautés des sols limoneux et argileux

Alliance Chenopodion rubri (Poli et J.Tüxen 1960) Kopecky 1969 Lohmeyer Preising 1950

Communautés des sols sableux à graveleux

COR 1991

22.33 Groupements à Bidens tripartitus (eaux dormantes)

24.52 Groupements euro-sibériens annuels de vases fluviatiles

Directive Habitats 1992 et Cahiers d’habitats

3170 Rivières avec berges vaseuses avec végétation du Chenopodion rubri p.p. et du Bidention p.p.

3170-1 Bidention des rivières et Chenopodion rubri (hors Loire)

3170-2 Chenopodion rubri du lit de la Loire

Confusions possibles

Des confusions restent possibles avec les formes eutrophisées des gazons amphibies des grèves lorsque ceux-ci s’enrichissent en espèces nitrophiles. Ces derniers présentent toutefois en principe une structure beaucoup plus basse. En situations secondaires, on remarquera que l’habitat possède de nombreuses espèces en commun avec la végétation adventice des cultures sur sol argilo-calcaire humide.

Dynamique

Par son caractère pionnier et annuel, cet habitat est très sensible à la concurrence des végétaux vivaces structurant les habitats situés souvent immédiatement en contact : roselières, magnocariçaies, mégaphorbiaies, saulaies arbustives. Toute modification des conditions hydrologiques risque alors de faire pencher la balance en faveur de ces dernières. Dans les situations en bordure des rivières, seules les crues régulières sont à même de bloquer cette implantation des vivaces et de dégager des espaces favorables à l’habitat.

Espèces indicatrices

[plante2] Alopecurus aequalis, *Bidens cernua, (Bidens frondosa), Bidens tripartita, Brassica nigra, Chenopodium chenopodioides, *Chenopodium glaucum, *Crypsis alopecuroides, Cuscuta australis var.bidentis, Leersia oryzoides, Polygonum hydropiper, Polygonum lapathifolium, Polygonum minus, Polygonum mite, Ranunculus sceleratus, *Rumex palustris
[plante1] Atriplex patula, Atriplex prostrata, Chenopodium polyspermum, *Corrigiola littoralis, Echinochloa crus-galli, *Erysimum cheiranthoides, Polygonum persicaria, Potentilla anserina, *Pulicaria vulgaris, Rorippa amphibia, Rorippa sylvestris, Veronica catenata
[briophytes] Amblystegium riparium, Aphanoregma patens, Bryum pseudotriquetrum, Calliergonella cuspidata, Drepanocladus aduncus, Drepanocladus lycopodioides, Micromitrium tenerum, Physcomitrium eurystomum, Physcomitrium sphaericum, Riccia canaliculata, Riccia cavernosa, Riccia huebeneriana
[champignons] Agrocybe aegerita, Bolbitius vitellinus, Coprinus atramentarius, Crepidotus crocophyllus, Galerina marginata, Hypholoma ericaceoides, Lentinus tigrinus, Lepista sordida, Melanoleuca brevipes, M. polioleuca, Mitrophora semilibera, Panaeolus foenisecii, P. papilionaceus, P. sphinctrinus, Psathyrella candolleana, P. lacrymabunda, Sarcoscypha coccinea, Verpa digitaliformis

Valeur biologique

Sur le plan floristique, l’habitat est dominé avant tout par des espèces euro sibériennes à vaste répartition et communes au niveau régional. Quelques espèces rares ou très rares s’y localisent cependant comme la Pulicaire vulgaire Pulicaria vulgaris, considérée comme commune autrefois mais en très forte régression de nos jours ou le Crypsis faux-vulpin Crypsis alopecuroides dont moins de 5 stations sont connues aujourd’hui en Poitou-Charentes. Le Vélar fausse-giroflée Erysimum cheiranthoides apparaît quant à lui comme bien implanté encore, notamment dans la moyenne vallée de la Charente et la basse vallée de la Boutonne.

Menaces

En bordure de rivières comme sur les rives d’étangs, la menace principale consiste dans la régularisation artificielle du niveau de l’eau. Ce maintien du fonctionnement naturel de l’hydrosystème vient souvent s’opposer à diverses fonctions récentes jouées par les milieux aquatiques (étangs d’agrément, barrages, endiguements, circulation fluviale..). Cette réduction des variations hydriques a entraîné une forte régression des surfaces occupées par l’habitat en Poitou-Charentes comme partout en Europe de l’Ouest, ainsi qu’un appauvrissement des communautés dont beaucoup sont aujourd’hui réduites à un linéaire de quelques espèces banales. L’invasion de l’habitat par des pestes végétales constitue une autre menace, plus récente, mais dont l’impact a crû fortement durant les 2 dernières décennies : la faible concurrence, la grande richesse trophique et la bonne alimentation en eau régnant dans ces biotopes en font des lieux privilégiés d’implantation de xénophytes dont les plus agressives dans la région sont les jussies (Ludwigia peploides et L.grandiflora), le Myriophylle du Brésil Myriophyllum brasiliense ou le Galinsoga velu Galinsoga ciliata (vallée de la Vienne, surtout).

Statut régional

Habitat présent dans toute la région, surtout le long des grandes rivières – Charente, Boutonne, Vienne, Gartempe, Creuse, Clain – ainsi qu’en bordure de nombreux étangs.

16 : vallée de la Charente, étang du Confolentais

17 : moyenne vallée de la Charente, entre Cognac et St Savinien, valllée de la Boutonne

86 : basse vallée de la Vienne, au nord de Dangé ; vallée de la Creuse jusqu’au confluent avec la Vienne

79 : étangs de l’Argentonnais