Milieux salés artificiels ou fortement anthropisés

Rédacteur : Jean Terrisse

Physionomie-écologie

L’habitat regroupe un ensemble disparate de milieux côtiers dont le trait commun est d’’avoir été isolés de l’influence directe de la mer et aménagés par l’Homme, souvent depuis des siècles, à des fins de cueillette et/ou de productions diverses telles que la récolte du sel, l’élevage des poissons ou le ramassage de coquillages. Une des caractéristiques de ces marais endigués est l’élaboration d’un fonctionnement hydraulique complexe visant à s’affranchir du marnage naturel des marées tout en réalisant des aménagements permettant l’alimentation en eau salée adéquate pour la production visée : le schéma comprend en général une digue de protection contre les grandes marées, des étiers principaux (qui reprennent le plus souvent d’anciens chenaux de drainage du schorre originel) et tout un réseau de canaux et de fossés faisant circuler l’eau salée dans un circuit plus ou moins long et complexe de bassins où s’effectue la récolte. Un jeu de vannes permet de faire « boire » le marais en fonction des marées à des rythmes variables (2 fois par 24h ou quelques fois par mois seulement) selon les secteurs et la gestion mise en œuvre.
Partant de ce schéma général, la variabilité de l’habitat suit étroitement le type de production concernée. On distinguera donc :

  • les marais salicoles : il s’agit de la plus ancienne et de la plus importante activité de production sur les marais littoraux charentais (de l’Antiquité jusqu’au XVIIIème siècle surtout) ; la production de sel repose sur un réseau hydraulique complexe où l’eau circule dans une succession de bassins – vasais, métières, tables courantes et champ de marais – dont les 3 premiers peuvent toutefois être assimilés à des lagunes aménagées en raison du faible impact de l’exploitation, seuls les bassins de champ de marais appartenant à l’habitat « Milieux salés artificiels » ;
  • les marais ostréicoles : ils sont nés d’une reconversion (à partir du XIXème siècle) d’anciens marais salants dont les structures ont été partiellement refaites pour remplir 3 fonctions différentes en fonction des bassins : la pousse en claire, l’affinage et le verdissement, et le stockage avant expédition. Selon les modalités de l’exploitation – claires remembrées d’une surface > 600m², densités d’huîtres au m², importance de la mécanisation, traitement de la périphérie des claires – ou la finalité des bassins (les réserves où est effectué le stockage ont une profondeur atteignant ou dépassant 1m) les bassins se rapporteront plutôt à un modèle de lagune aménagée (petites claire traditionnelles) ou à l’habitat « Milieux salés artificiels » ;
  • les autres marais conchylicoles : la production de palourdes ou de coques (essor récent : fin des années 1980) nécessite une refonte importante de la structure des anciens marais salants : remembrement d’anciennes claires pour obtenir des unités de 600-1500m², recreusement, suppression des abotteaux, renforcement des zones de roulage, mécanisation importante ; de plus, la palourde s’accommode mal des faibles salinités hivernales, de la sursalure et du réchauffement estival, conditions typiquement lagunaires ;
  • les marais pénéicoles : l’élevage de la Crevette japonaise, espèce de mers chaudes (commercialisée sous le nom de « gambas »), est récent ; selon les cas, la structure des anciens marais salants est conservée ou, au contraire, un remembrement est effectué pour obtenir de grands bassins de plus d’1 ha ; dans tous les cas, un recreusement est nécessaire pour disposer d’une lame d’eau suffisante pour éviter des variations trop fortes de la température, de la salinité ou de l’oxygène dissous ; un profil de berge sub-vertical est en général réalisé pour limiter la prédation par les oiseaux ;
  • les marais à poissons : c’est à partir du XIXème et du XXème siècle que de nombreuses salines ont été converties en marais piscicoles ; les secteurs privilégiés correspondaient souvent à des zones confinées ou difficiles d’accès où la mise en œuvre d’autres productions s’avérait impossible. Les formes initiales des anciens marais salants sont en général conservées mais un recreusement de certaines zones est indispensable pour procurer un refuge aux poissons au moment des froids hivernaux ou des chaleurs estivales. La pêche est effectuée tous les 2-3 ans à l’occasion d’une vidange totale du marais.

    Selon les types et la gestion appliquée, la végétation peut être totalement absente ou au contraire abondante :
  • la Ruppie Ruppia maritima (et Ruppia cirrhosa, plus rare) est une phanérogame des eaux saumâtres (optimum de salinité entre 5 et 25gr/l) développant dans le sédiment un important réseau de rhizomes et émettant des tiges filiformes longues de15 à 80cm, ; espèce vivace coloniale, elle peut former des herbiers denses colonisant la totalité du fond de certains bassins. L’assec périodique favorise la germination des graines. La Ruppie joue un rôle important dans l’écologie des bassins qu’elle colonise : elle contribue à l’oxygénation de l’eau, sert de support mécanique ou trophique à de nombreux micro-organismes (mollusques, crustacés, insectes), proies potentielles pour les poissons notamment, eux-mêmes consommés par les oiseaux (les graines de Ruppie peuvent être par ailleurs directement consommées par des anatidés herbivores comme le Canard siffleur ou la Sarcelle d’hiver). Pour toutes ces raisons, la présence de la Ruppie est tantôt recherchée (marais à poissons), tantôt combattue (claires ostréicoles, élevages de palourdes) en raison d’une compétition avec le phytoplancton et, donc, d’une moindre nourriture disponible pour les coquillages.

    Les algues macrophytes – Enteromorpha, Cladophora, Chaetomorpha, Ulva – pullulent parfois dans certains bassins et cette prolifération est jugée nuisible à plusieurs titres : elles entrent en concurrence avec les algues microscopiques – phytoplancton et phytobenthos – du sédiment et de la pleine eau, elles diminuent la production d’oxygène en empêchant la pénétration de la lumière, elles perturbent les échanges entre le sédiment et la lame d’eau, leur mort s’accompagne d’une importante accumulation de matière organique qui entraine une forte diminution de la concentration en oxygène des sédiments et de l’eau.

    La végétation périphérique des bassins de marais endigués, lorsqu’elle est conservée par une gestion « douce », emprunte ses éléments aux divers habitats de prés salés primaires : salicorniaies annuelles (15.1), prairies de spartines (15.2), prés salés atlantiques (15.3), fourrés des prés salés (15.6), prés salés thermo-atlantiques (15.5). Ceux-ci se développent en frange linéaire sous forme de cortèges relativement complets tant que l’alimentation en eau salée perdure ; si le marais est abandonné en revanche, diverses voies dynamiques sont possibles mais vont toutes dans le sens de communautés moins halophiles et de plus en plus saumâtres (la scirpaie maritime est alors souvent un stade important de cette dérive).

Phytosociologie et correspondances typologiques

PVF 2004

RUPPIETEA MARITIMAE J.Tüxen 1960

  • Végétation enracinée des eaux saumâtres eury- à polyhalines
    • Ruppion maritimae J.Tüxen 1960 : communautés filiformes, hivernales à vernales, souvent desséchées en été
    • Zannichellion pedicellatae Schaminée, B.Lanjouw & Schipper 1992 : Communautés poldériennes et sublittorales des eaux oligohalines

COR 1991

  • 89.1 Lagunes industrielles et canaux salins
    • 89.11 Ports maritimes
    • 89.12 Salines
    • 89.13 Autres lagunes industrielles et canaux salins

Directive Habitats 1992 et Cahiers d’habitats

Non concernée

Confusions possibles

Selon la vocation actuelle du marais, l’intensité de son exploitation, ou au contraire son degré d’abandon (et, surtout, l’état de sa desserte hydraulique) et l’ancienneté de celui-ci, il existe un continuum de situations dont un pôle se rattache plutôt aux lagunes aménagées (21) alors que l’autre se réfère aux marais salés artificiels fortement anthropisés (89). Si les cas extrêmes ne posent pas trop de problèmes, les situations intermédiaires sont plus problématiques et l’affectation de tel ou tel bassin à l’habitat 21 ou au 89 dépend alors des critères utilisés. Le manque de critères clairs et précis, physico-chimiques et microbiologiques, permettant de trancher objectivement est une des principales causes de conflits se développant actuellement sur ces espaces entre environnementalistes et professionnels du marais.

Dynamique

En cas d’abandon, 3 paramètres essentiels règlent l’évolution de la végétation : la salinité du sol et des eaux de submersion, la durée de submersion par l’eau salée et/ou de pluie, le niveau d’exhaussement du fond du bassin (en rapport avec la quantité de matière organique accumulée). Dans le cas le plus fréquent où le bassin est submergé temporairement par l’eau de pluie, une scirpaie maritime à Bolboschoenus maritimus ne tarde pas à s’installer, souvent accompagnée au printemps d’herbiers aquatiques saumâtres à Renoncule de Baudot Ranunculus baudotii et Zanichellie pédicellée Zanichellia pedicellata. Avec le temps, et si le drainage reste médiocre, cette scirpaie sera envahie par les grands hélophytes typiques des marais plus continentaux comme le Phragmite Phragmites australis ou la Massette à feuilles étroites Typha angustifolia.

Si la submersion est courte et le drainage du bassin satisfaisant, une prairie saumâtre à Jonc de Gérard Juncus gerardii et Glycérie maritime Puccinellia maritima va d’abord s’installer, pour laisser la place au fur et à mesure du lessivage du sel résiduel dans le sol à la prairie subhalophile thermo-atlantique dominée par la Laîche divisée Carex divisa et de nombreux trèfles, dont, surtout, le Trèfle maritime Trifolium squamosum et le Trèfle résupiné Trifolium resupinatum. Il arrive toutefois souvent aussi qu’une prairie saumâtre dense et monotone à Agropyre piquant Elytrigia atherica s’installe et freine l’évolution vers la prairie plus diversifiée à Carex divisa et trèfles.

Valeur biologique

Dans ses faciès les plus anthropisés, l’habitat n’est pas considéré comme menacé mais, comme expliqué ci-dessus, les situations les plus traditionnelles/extensives doivent être rapportées à l’habitat « lagunes », inscrit à l’Annexe I de la Directive Habitats (prioritaire).

L’intérêt avifaunistique des marais salés endigués est très élevé : ceux-ci forment en effet un ensemble fonctionnel avec les estrans qui les bordent et de nombreux oiseaux se nourrissant sur les vasières tidales utilisent certains bassins comme reposoirs de marée haute ; la forte productivité des eaux leur fournit également de nombreuses espèces-proies – invertébrés, petits poissons – alors que les berges des bassins peuvent être favorables à la nidification de certaines espèces nichant au sol (Limicoles, Laridés) ou dans la végétation basse (passereaux). La Gorgebleue de Nantes en est l’exemple le plus remarquable : cette sous-espèce endémique de l’Ouest de la France (entre le Finistère et le Bassin d’Arcachon) de la Gorgebleue à miroir est en effet fortement liée aux marais salés endigués pour sa reproduction et 1/5 de la population mondiale niche dans les marais salés de Charente-Maritime.

L’intérêt botanique des marais salés endigués est moindre, l’essentiel du peuplement végétal étant constitué d’espèces qui possèdent leur biotope optimal sur les prés salés ; on notera toutefois que certaines communautés propres aux hauts schorres se sont largement réfugiées dans les marais endigués où la gestion de l’eau – submersions occasionnelles, seulement lors des marées de forts coefficients – leur convient particulièrement ; cet habitat secondaire, de substitution, est d’autant plus important que de nombreuses séquences de prés salés ont été tronquées de leur partie supérieure par des endiguements successifs. La communauté à Armoise maritime, celle à Inule faux-crithme, la salicorniaie à Salicorne d’Aymeric, voire même celle à Statice à feuilles ovales, semblent aujourd’hui trouver des conditions optimales de développement dans les marais endigués ; dans cette optique, le respect des nombreuses diguettes et abotteaux séparant les anciens bassins salants est vitale pour la survie de ces précieux groupements végétaux (plusieurs sont inscrits au Livre Rouge des Phytocénoses Terrestres du Littoral français, GEHU 1991). Enfin, les bassins des marais salés endigués sont, en Poitou-Charentes, le seul biotope pour les herbiers de Ruppia maritima qui peuvent couvrir par endroits des surfaces très importantes (marais de l’île de Ré, par ex).

Espèces indicatrices

[plante2] *Althenia filiformis, Ruppia cirrhosa, Ruppia maritima
[plante1] Bolboschoenus maritimus, Callitriche truncata, Juncus maritimus, Polypogon monspeliensis, Potamogeton pectinatus, Ranuncuus baudotii , Zanichellia pedicellata
[algues] Chaetomorpha spp., Chara alopecuroides, Cladophora spp., Enteromorpha spp., Ulva sp.
[oiseaux] Anas platyrhynchos, Anthus pratensis, Ardea cinerea, Branta bernicla, Carduelis cannabina, Charadrius alexandrinus, Charadrius dubius, Charadrius hiaticula, Circus aeruginosus, Egretta garzetta, Himantopus himantopus, Larus argentatus, Larus michahellis, Larus fuscus, Larus marinus, Larus ridibundus, Luscinia svecica namnetum, Motacilla flava, Recurvirostra avosetta, Sterna hirundo, Tadorna tadorna, Tringa totanus, Vanellus vanellus
[poissons] Anguilla anguilla, Dicentrarchus labrax, Gasterosteus aculeatus, Mugil spp ., Pleuronectes platessa, Platichthys flesus, Sparus aurata, Solea spp., Syngnathus rostellatus
[coleopteres] Chironomus salinarius, Ephidra riparia
[mollusques] Abra ovata, Cerastoderma glaucum, Hydrobia ventrosa, Leucophysia (Auriculinella) bidentata, Myosotella myosotis, Peringia ulvae, Potamopyrgus antipodarum
[crustaces] Balanus improvisus, Carcinus maenas, Corophium insidiosum, Cyathura carinata, Idotea viridis, Microdeutopus grillotalpa, Palemonetes varians, Sphaeroma hookeri
Polychètes : Mercierella enigmatica, Nereis diversicolor

Menaces

Deux menaces opposées pèsent sur les marais salés endigués et sur les différentes fonctions – écologiques, biologiques, de production, paysagères, récréatives – qu’ils remplissent souvent depuis des décennies : l’abandon total mène tôt ou tard d’abord à un confinement des eaux, puis à un envasement des bassins et enfin à un atterrissement inéluctable qui entraine un changement radical d’écosystème et, donc, une perte d’originalité.

A l’inverse, le remplacement d’activités traditionnelles (saliculture,
ostréiculture et pisciculture extensives), devenues peu ou non rentables, par des activités de production plus intensives, est en général source d’appauvrissement pour les fonctions écologiques et de biodiversité du marais endigué. L’accent principal porté sur l’optimisation de la production et de la rentabilité économique devient alors difficilement compatible avec la survie d’un patrimoine biologique qui coexiste pourtant souvent depuis des siècles avec ces activités humaines.

Deux des faciès les plus fréquents de marais salés aménagés

L’entretien et la gestion intensive de ces espaces empêchent le développement de la végétation halophile en périphérie des bassins

Statut régional

L’habitat est présent sur le littoral et les îles de Charente-Maritime, dans les grands secteurs d’anciens marais salants :

17 : marais de l’île de Ré, marais d’Oléron, marais de Seudre

Divers faciès d’abandon dans un marais aménagé

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