Friches graminéennes mésophiles à xérophiles

Rédacteur : Jean Terrisse

Physionomie -écologie

Les friches graminéennes correspondent à des prairies vivaces pauci spécifiques se développant sur des sols plutôt secs, en conditions semi-rudérales : talus routiers et ferroviaires, bermes d’autoroutes, bords des chemins, anciennes parcelles agricoles laissées à l’abandon. Les sols sont secs à très secs, limoneux ou argileux, plus rarement sableux, souvent calcaires. Il s’agit en général de sols remaniés, à horizons peu différenciés, pauvres en humus et souvent plus ou moins tassés (porosité réduite). Dans le cas d’anciens terrains agricoles, ils peuvent encore contenir des résidus d’engrais ou de pesticides.

L’habitat est strictement héliophile et s’appauvrit ou disparait rapidement en cas d’évolution pré-forestière (abandon de l’entretien). Son économie en eau dépend évidemment de la granulométrie du substrat et de sa situation topographique : sur sol argileux tassé, les pluies hivernales peuvent entraîner une certaine stagnation de l’eau (cas de la communauté à Pâturin comprimé et Pas d’âne, par ex.), alors que sur le calcaire décapé des talus routiers en déblais, les conditions sont nettement arides et rappellent celles qui prévalent au niveau des pelouses calcicoles sèches.

Le développement de l’habitat est optimal sous climat subcontinental chaud et dans les petites régions où subsistent encore des espaces interstitiels ou de repos entre les emblavures. En Poitou-Charentes, sous climat océanique et dans un contexte agricole de plus en plus intensif, il est beaucoup moins diversifié qu’en Europe centrale d’où de nombreuses communautés ont été décrites.

La physionomie de la végétation est en général assez monotone : dominance forte des graminées stolonifères coloniales – agropyres, fromental, pâturins, parfois Grande Fétuque – et rareté des dicotylédones qui correspondent le plus souvent à des restes de stades antérieurs structurés par des annuelles. Le recouvrement au sol est en général fort, voire total, ce qui peut contribuer à un ralentissement de la dynamique végétale. La phénologie est avant tout pré-estivale mais peut être plus précoce dans certains faciès (nappes vernales de Passerage drabe, par ex.). Classiquement, l’habitat est partagé en 2 volets, en fonction de la sécheresse plus ou moins marquée du biotope, chacun représenté par différents types de groupements végétaux :

  • en conditions plutôt mésophiles – sol profond, à bonne teneur en argile – on rencontre surtout la communauté à Liseron et Chiendent (CONVOLVULO ARVENSIS-ELYTRIGIETUM REPENTIS) ou celle à Pâturin comprimé et Pas d’âne (POO COMPRESSAE-TUSSILAGINETUM FARFARAE) ;
  • en situations plus sèches, cas plus fréquent sur les terrains sédimentaires calcaires du Poitou-Charentes, on observe surtout les communautés du FALCARIO-POION dont la signature la plus forte est la présence de la Falcaire de Rivin (Falcaria vulgaris), une Apiacée à l’allure très particulière : FALCARIO VULGARIS-ELYTRIGIETUM REPENTIS, DIPLOTAXI TENUIFOLIAE-ELYTRIGIETUM REPENTIS, CARDARIO DRABAE-ELYTRIGIETUM REPENTIS, LATHYRO TUBEROSI-ELYTRIGIETUM REPENTIS. Sur les sables calcarifères de l’île de Ré, en situation de friches post-agricoles, on observe la communauté à Asperge et Chondrille (ASPARAGO OFFICINALIS-CHONDRILLETUM JUNCEAE). La typologie de ces communautés reste toutefois encore mal connue en Poitou-Charentes et l’intégration de certaines phytocénoses observées problématique.

Phytosociologie et correspondances typologiques

PVF 2004

  • AGROPYRETEA PUNGENTIS Géhu 1968
    • Agropyretalia intermedii-repentis Oberdorfer , Müller & Görs 1969 : communautés graminéennes vivaces semi-rudérales, non littorales
      • Convolvulo arvensis-Agropyrion repentis Görs 1966 : communautés eurosibériennes mésophiles
      • Falcario vulgaris-Poion angustifoliae Passarge 1989 : communautés eurosibériennes méso-xérophiles à xérophiles

COR 1991

  • 87.1 Terrains en friche
  • 87.2 Zones rudérales

Directive Habitats 1992 et Cahiers d’habitats

Nc

Confusions possibles

Sa localisation particulière – talus routiers, bords de chemins – est en général un bon moyen pour identifier l’habitat. Dans certaines situations ambiguës toutefois, l’appréciation reste plus délicate ; c’est le cas des faciès sur talus calcaires décapés récents où la physionomie de « pelouse écorchée » pourrait faire penser à une pelouse xérophile plutôt qu’à une friche sèche ; l’étude de la composition floristique suffit en général à lever le doute : présence immanquable de post-rudérales telles que la Carote Daucus carota ou la Picride fausse-épervière Picris hieracoides qui sont toujours absentes des véritables pelouses des brometalia erecti.

Même si l’allure de la végétation peut évoquer un stade pionnier de pelouses calcaires, le sol va être occupé rapidement par l’une ou l’autre des graminées structurant l’habitat (Elytrigia, Arrhenatherum, Poa, Dactylis) et non par des Festuca ou des Bromus comme dans le cas des « vraies » pelouses calcicoles.

Dans d’autres cas, la friche peut présenter une forte introgression par des espèces d’ourlets, au premier rang desquelles le Brachypode Brachypodium pinnatum, l’Origan Origanum vulgare, la Coronille bigarrée Securigera varia ou la Knautie Knautia arvensis. Il peut alors s’agir de friches évoluant lentement vers des ourlets calcicoles, où manquent cependant certaines des espèces plus rares typiques des ourlets situés sur des lisières stabilisées.

Dynamique

Les friches graminéennes s’insèrent en général dans une dynamique de reconstruction de la végétation après destruction du tapis végétal d’origine par l’Homme : dans les espaces agricoles abandonnés, elles succèdent aux friches rudérales dominées par des annuelles (DAUCO-MELILOTION, ONOPORDION) au bout de quelques années seulement. Même si leur fort recouvrement permet de freiner pour un temps l’implantation des espèces ligneuses, celle-ci est inéluctable : elle est le fait à la fois d’arbustes zoochores à graines dispersés par les oiseaux (Rosa, Prunus, Crataegus) et d’essences forestières pionnières ou nomades à graines très légères dispersées par le vent : frênes, saules, érables. L’isolement plus ou moins grand de la friche vis-à-vis d’habitats semi-naturels (boisements notamment) influe bien sûr beaucoup sur sa vitesse d’évolution et de colonisation pré-forestière.

Dans le cas des talus routiers, la dynamique est en général bloquée par un entretien mécanique réalisé régulièrement pour des raisons de sécurité : la friche peut alors se prolonger indéfiniment dans le temps.

Espèces indicatrices

[plante2] *Althaea cannabina, Aristolochia clematitis, Asparagus officinalis, Convolvulus arvensis, Daucus carota, Diplotaxis tenuifolia, Elytrigia campestris, Elytrigia repens, *E. x moorei, Equisetum ramosissimum, Erigeron acer, Falcaria vulgaris, Galium mollugo ssp. erectum, Hypericum perforatum, Lepidium draba, Linaria vulgaris, Poa angustifolia, Poa pratensis, Torilis arvensis, Tragopogon dubius
[plante1] Achillea millefolium, Agrimonia eupatoria, Anacamptis pyramidalis, Anthyllis vulneraria, Arrhenatherum elatius, Brachypodium pinnatum, Carex flacca, Centaurea gr.pratensis, Centaurea scabiosa, Cerastium fontanum, Chondrilla juncea, Cirsium vulgare, Conyza canadensis, Dactylis glomerata, Daucus carota, Eryngium campestre, Festuca arundinacea, Foeniculum officinale, Knautia arvensis, Lactuca serriola, Lathyrus hirsutus, Lithospermum officinale, Lotus corniculatus, Medicago lupulina, Medicago sativa, Onobrychis viciifolia, Ononis spinosa, Origanum vulgare, Picris hieracoides, Plantago lanceolata, Poa compressa, Potentilla reptans, Ranunculus bulbosus, Reseda lutea, Rumex crispus, Sanguisorba minor, Securigera varia, Senecio erucaefolius, Senecio jacobaea, Trifolium pratense, Tussilago farfara, Vicia sativa
[briophytes] Brachythecium albicans, Eurhynchium praelongum,Pleurochaete squarrosa, Pseudoscleropodium purum, Tortula ruralis
[lepidopteres] Maculinea arion, Melitaea cinxia, Melitaea phoebe, Mellicta athalia, Mellicta parthenoides, Polyommatus thersites
[orthopteres] Cyrtaspis scutata, Euchorthippus declivus, Gryllus campestris, Mantis religiosa, Meconema thalassinum, Oecanthus pellucens, Platycleis tessellata

Valeur biologique

En tant qu’habitat, les friches graminéennes ne bénéficient d’aucun statut de menace ou de protection au niveau européen ou français.

Par ailleurs, l’habitat ne présente qu’un intérêt botanique très réduit : sa diversité spécifique est faible et très peu de plantes patrimoniales y trouvent leur localisation.

En revanche, leur valeur pour la faune est plus marquée : il s’agit d’un habitat interstitiel pouvant servir de lieu de vie, de couloir de passage ou de site d’alimentation pour des espèces animales appartenant à des groupes variés – micro mammifères, oiseaux granivores, orthoptères, lépidoptères – dans un environnement de plus en plus intensifié. Certains grands talus de l’autoroute A10 abritent ainsi de petites populations d’Azuré du serpolet Maculinea arion, un papillon menacé au niveau européen, mais également diverses mélitées ou des ascalaphes, devenu globalement rares, au moins au niveau régional ; la Linotte mélodieuse et le Tarier pâtre, 2 oiseaux en déclin, utilisent souvent les friches à agropyre comme lieu d’alimentation et la Chouette effraie y capture des micro mammifères.

Menaces

L’intensification est souvent la cause d’une dégradation, d’un appauvrissement ou d’une disparition pure et simple de l’habitat : le caractère essentiellement linéaire de celui-ci le rend en effet très vulnérable à l’eutrophisation de contact ou à la pollution par les intrants (engrais, pesticides) de la parcelle agricole mitoyenne, quand il n’est pas tout simplement victime d’un grignotage mécanique insidieux.

Le cas des jachères « long terme » telles qu’elles étaient prévues par l’ancienne PAC constitue un cas particulier : sur une durée de 20 ans, l’habitat pouvait en effet se développer à partir de la mise en repos d’une ancienne culture, succédant normalement à une friche annuelle au bout de quelques années. La suppression de ces jachères longue durée et/ou l’obligation d’y semer un couvert végétal a entrainé ainsi la disparition de nombreuses friches graminéennes et de leur cortège végétal et animal associé.

L’abandon total signe également, pour d’autre raisons, la mort de l’habitat : celui-ci s’insère en effet dans une série dynamique qui débouche à plus ou moins court terme sur des fourrés pré-forestiers, d’abord isolés (ronciers, taches de prunelliers, d’églantiers) puis coalescents, préparant l’arrivée d’une forêt pionnière. Si les talus routiers, autoroutiers et ferroviaires, soumis à une fauche régulière, échappent à cette issue, certaines parcelles agricoles ayant changé de vocation, évoluent inexorablement vers des végétations ligneuses, soulignant ainsi le caractère éphémère (sur 1, 2 ou 3 décennies) de l’habitat.

Statut régional

L’habitat est répandu sur l’ensemble de la région, surtout dans les secteurs calcaires.

La Falcaire de Rivin (Falcaria vulgaris) est une Apiacée assez étroitement inféodée aux friches graminéennes semi-rudérales sèches
Sur certains talus autoroutiers, l’habitat peut être très étendu et jouer un rôle d’accueil non négligeable pour certains éléments de faune ou de flore
Deux aspects contrastés de l’habitat : prairie graminéenne vert-glauque, pauci spécifique et dominée par des (agropyres Elytrigia sp.) (à g.) ; prairie plus ouverte sur sol moins profond, plus diversifiée, émaillée par les nombreuses inflorescences de Falcaire de rivin (Falcaria rivini) et de Carotte sauvage (Daucus carota) (à d.)