Frênaie mixte humide

Rédacteur : Jean Terrisse

Physionomie – écologie

Il s’agit d’une forêt alluviale de bois durs occupant le fond de lits majeurs larges et subissant des crues régulières en fin d’hiver et au printemps, plus ou moins longues et plus ou moins importantes (quelques centimètres à plus d’1 mètre). Les sols sont des sols alluviaux peu évolués, limoneux ou limono-argileux où une nappe battante plus ou moins profonde détermine la présence d’un horizon réduit (gley).

Dans son centre de répartition médio-européen (Danube, Rhin, Rhône), l’habitat est caractérisé, dans ses stades matures, par une diversité dendrologique exceptionnelle (une cinquantaine d’espèces sur 8 strates) et a souvent été comparé à certaines forêts tropicales ou aux forêts tempérées chaudes du Pléistocène. Dans les systèmes alluviaux océaniques plus ou moins altérés (Seine, Loire, Adour, Garonne), la diversité dendrologique est beaucoup moins forte ; c’est le cas en Poitou-Charentes, où les quelques occurrences avérées de l’habitat le long de la Charente se présentent comme une frênaie physionomique dominée par le Frêne oxyphylle Fraxinus angustifolia et/ou de populations hybrides de cette espèce avec le Frêne commun (Fraxinus excelsior) dont certains individus peuvent atteindre 30 mètres de hauteur : très voisin du Frêne commun, mais de tempérament plus thermophile, le Frêne oxyphylle s’en distingue par ses bourgeons brun rouille (et non noirs), son feuillage plus léger à folioles plus étroites et ses samares à graine occupant plus de la moitié de leur longueur ; la région Poitou-Charentes se trouvant dans la zone de contact entre les aires de répartition des 2 espèces, des populations hybrides présentant des caractères intermédiaires sont présentes un peu partout, notamment en Charente-Maritime.

Par rapport aux forêts médio-européennes, la strate arborescente est dépourvue de l’Orme diffus Ulmus laevis, du Charme Carpinus betulus, de l’Orme de montagne Ulmus glabra, du Tilleul à petites feuilles Tilia cordata, et même le Chêne pédonculé reste rare. La strate arbustive est occupée par un manteau peu dense à Nerprun purgatif Rhamnus catharticus et Viorne obier Viburnum opulus dans les stations à hydromorphie moyenne ; en situation plus mésophile, le cortège est plus diversifié et comprend plusieurs arbustes à large amplitude écologique (non typiquement alluviaux) comme l’Aubépine monogyne Crataegus monogyna, l’Orme champêtre Ulmus minor, le Troëne Ligustrum vulgare, le Noisetier Corylus avellana. Dans ce faciès plus sec, le Lierre est constant et parfois abondant. Dans les stations fortement enrichies en nitrates (interface frênaie-cultures de maïs), un manteau franchement nitrophile à Houblon Humulus lupulus et Sureau noir Sambucus nigra remplace les 2 précédents. Au niveau de la strate herbacée, la Ronce bleuâtre Rubus caesius, la Grande ortie Urtica dioica, l’Oseille sanguine Rumex sanguineus, le Gaillet des marais Galium palustre, l’Angélique sylvestre Angelica sylvestris sont constantes ou, du moins, fréquentes. L’abondance des espèces de mégaphorbiaies et de roselières semble être par ailleurs un trait caractéristique local de l’habitat par rapport à d’autres régions de France – 25 espèces pour 14 relevés effectués en basse vallée de la Seugne, contre 7 seulement dans la frênaie-ormaie du Val de Saône (ULMO MINORIS-FRAXINETUM ANGUSTIFOLIAE) – alors qu’à l’inverse les mésophytes forestières sont beaucoup plus rares.

Une variante particulière de l’habitat peut être observée en dehors des corridors fluviaux sensu stricto : il s’agit des frênaies oxyphylles présentes en périphérie des marais arrière-littoraux charentais (et en fond du Marais Poitevin ?) et dont le cortège tant ligneux qu’herbacé s’apparente tout à fait à celui de la moyenne vallée de la Charente. Dans cette optique, les dépôts alluviaux fossiles d’origine fluvio-marine (bri) de ces marais correspondraient à une sorte de « lit majeur » très large en bordure duquel ces boisements se seraient installés.

Phytosociologie et correspondances typologiques

PVF 2004

  • QUERCO-FAGETEA Br.-Bl. & Viegler 1937 : forêts tempérées caducifoliées
    • Alno glutinosae-Ulmenalia minoris Rameau 1981 : communautés riveraines non marécageuses d’Europe tempérée
      • Ulmenion minoris Oberdorfer 1953 : communautés du bord des grands fleuves

COR 1991

  • 44.4 Forêts mixtes de chênes, d’ormes et de frênes des grands fleuves
    • 44.42 Forêts fluviales médio-européennes résiduelles

Directive Habitats 1992 et Cahiers d’habitats

  • 91F0-3 Chênaies-ormaies à Frêne oxyphylle

Confusions possibles

Le meilleur critère de reconnaissance de l’habitat serait d’ordre fonctionnel : l’habitat ne se rencontrerait qu’en bordure des fleuves exposés à des crues régulières et suffisamment importantes, la largeur du lit majeur constituant alors un bon indice.

Les critères floristiques, en revanche, paraissent beaucoup plus problématiques : la séparation de la véritable frênaie oxyphylle du 44.4 des faciès à frênes (les 2 espèces en mélange et leurs hybrides !) de l’aulnaie-frênaie non marécageuse du 44.3, peut s’avérer très délicate dans certains secteurs, comme, notamment, la basse vallée de la Seugne en Charente-Maritime ou de l’Antenne en Charente, où l’influence des grandes crues de la Charente se fait encore sentir et peut générer un fonctionnement complexe.

Dynamique

La frênaie oxyphylle des rives de Charente est visiblement une forêt post-pionnière occupant les espaces pâturés laissés vacants par l’abandon durant la 2ème moitié du XXème siècle des pratiques agro-pastorales sur de vastes zones aux conditions difficiles (accès, durée des crues). Ce caractère récent expliquerait en partie la pauvreté du cortège dendrologique de l’habitat comparativement à celui du Rhin ou du Rhône, ou même de la Loire. Il s’agirait alors d’un stade transitoire ayant conservé beaucoup d’espèces relictuelles des stades antérieurs – prairies humides en déprise, mégaphorbiaies, roselières sèches -, la maturation forestière s’effectuant peu à peu avec l’implantation du chêne et de diverses autres essences (orme, tilleul).

Espèces indicatrices

[plante2] Carex remota, Fraxinus excelsior, Fraxinus angustifolia (et leurs hybrides), Populus alba, Rhamnus catharticus, Rubus caesius, Rumex sanguineus, Ulmus minor, Viburnum opulus
[plante1] Acer campestre, Alliaria petiolata, Alnus glutinosa, Angelica sylvestris, Arum italicum, Brachypodium sylvaticum, Calystegia sepium, Cardamine pratensis, Cornus sanguinea, Crataegus laevigata, Crataegus monogyna, Galium mollugo, Galium palustre, Hedera helix, Iris foetidissima, Ligustrum vulgare, Lysimachia nummularia, Ornithogalum pyrenaicum, Quercus robur, Salix atrocinerea, Urtica dioica
[briophytes] Atrichum undulatum, Eurhynchium hians, Eurhynchium stokesii, Eurhynchium striatum, Plagiomnium undulatum, Thamnobryum alopecurum
[mammiferes] Lutra lutra, Mustela lutreola
[oiseaux] Alcedo atthis, Ardea cinerea, Ardea purpurea, Ardeola ralloides, Egretta garzetta, Falco subbuteo, Milvus migrans, Nycticorax nycticorax, Platalea leucorodia
[coleopteres] Rosalia alpina
[orthopteres] Nemobius sylvestris, Pholidoptera griseoaptera, Tettigonia viridissima
[champignons] Daldinia concentrica, Hysterographium fraxini, Morchella costata, Morchella esculenta, Perenniporia fraxinea

Valeur biologique

L’habitat est considéré comme menacé en Europe et figure à l’Annexe I de la Directive 92/43/CEE dite « Directive Habitats ». Sur le plan botanique, la frênaie humide ne présente pas d’intérêt particulier. Certaines frênaies arrière-littorales de Charente-Maritime accueillent des colonies nicheuses mixtes d’Ardéidés sociaux – Héron cendré, Héron pourpré, Aigrette garzette, Héron gardeboeufs, Héron bihoreau, Crabier chevelu, Spatule blanche – dont les effectifs sont d’importance nationale. Dans ces mêmes secteurs, les frênaies constituent des lieux privilégiés de refuge pour certains des mammifères les plus rares de France comme la Loutre ou le Vison d’Europe.

Comme dans le cas de l’aulnaie-frênaie non marécageuse, la présence d’arbres sénescents ou morts, ou encore traditionnellement taillés en têtard et riches alors en cavités naturelles, permet la présence d’une riche communauté d’insectes sapro-xylophages, au premier rang desquels la Rosalie des Alpes.

Menaces

L’habitat est exposé aux principales altérations qui concernent le lit majeur des rivières : artificialisation du cours d’eau par la construction de barrages et de retenues, ou les pompages agricoles, qui peuvent modifier le débit et influer sur le régime des crues ; déforestation pour la mise en culture ou la plantation de peupliers ; creusement de carrières pour l’exploitation de matériaux…

Statut régional

Actuellement, l’habitat est surtout connu des rives de la moyenne vallée de la Charente. Sa présence en Vienne et en Deux-Sèvres demanderait confirmation.

16 : moyenne vallée de la Charente en amont d’Angoulême (depuis Ruffec) et en aval (jusqu’à Cognac)

17 : moyenne vallée de la Charente (de Cognac à Saintes), basses vallées de la Seugne et de la Boutonne, marais arrière-littoraux (Rochefort, Brouage)

79 : Marais Poitevin ? (Venise verte)

86 : basse vallée de la Vienne (en aval de Poitiers) ?