Prairie humide Atlantique eutrophe

Rédacteur : David Suarez

Physionomie -écologie

Cet habitat se développe généralement sur les sables et limons du lit majeur des grands et moyens cours d’eau soumis aux inondations hivernales, mais aussi de façon plus ponctuelle et fragmentaire en bordure des ruisseaux et rivières de moindre importance, ou parfois en queue d’étang. Il s’agit de milieux herbacés dont la dynamique est bloquée au stade prairial par l’action humaine et qui, lorsque les conditions stationnelles et le mode de gestion (fauche annuelle) sont optimums, se présentent sous la forme de prairies denses et hautes à grande diversité floristique, et dont la floraison débute de mars (fin des inondations) avec la Fritillaire pintade et s’étend jusqu’à juin (période traditionnelle de fauche). La variabilité de ces prairies est très importante et dépend principalement de 2 facteurs :

La présence d’inondations hivernales est indispensable car elles apportent une couche de limons qui enrichit le sol et favorise le développement d’une flore spécialisée à dominante d’hémicryptophytes, gourmande en éléments nutritifs et adaptée à l’immersion prolongée. En cas d’absence d’inondations, ou si leur durée est courte, on observe une modification de la structure des prairies, qui évoluent vers la prairie méso-hygrophile à mésophile, nettement moins productive en biomasse végétale.

Le mode de gestion des prairies humides influe directement sur la physionomie de l’habitat :

– lorsqu’elles sont fauchées, on observe un cortège appartenant au BROMION RACEMOSI, avec différents faciès : prairies à Séneçon aquatique Senecio aquaticus et Fritillaire pintade Fritillaria meleagris sur alluvions calcaires (fleuve Charente et ses affluents), prairies à Jonc diffus Juncus effusus sur sols eutrophisés par les intrants agricoles, prairies à Jonc noueux Juncus subnodulosus sur sols paratourbeux et prairies à Scirpe des bois Scirpus sylvaticus sur alluvions et sables acides issus du massif central (bordure nord-est de la Charente et sud-est de la Vienne) et du massif armoricain (nord des Deux-Sèvres). En cas d’abandon des fauches annuelles, on observe des prairies de transition à Populage des marais Caltha palustris et Oseille crépue Rumex crispus, qui évolue rapidement vers la mégaphorbiaie eutrophe puis vers la forêt alluviale.

– lorsqu’elles sont pâturées, généralement par des bovins en Poitou-Charentes, le cortège végétal des prairies humides est moins diversifié : les joncs, peu appréciés par les bêtes, dominent souvent (Juncus effusus, J. conglomeratus, J. inflexus…), accompagnés par la Renoncule âcre Ranunculus acris.

Les prairies humides artificielles, semées de graminées à haute valeur fourragère (Grande Fétuque Festuca arundinacea, ray-grass) et engraissées chimiquement, constituent également une variante de cet habitat, sans grande valeur biologique. Elles sont souvent pâturées de façon intensive.

Phytosociologie et correspondances typologiques

PVF 2004

  • AGROSTIETEA STOLONIFERAE Th. Müll. & Görs 1969 : prairies méso- à eutrophes des sols engorgés ou inondables
    • Potentillo anserinae-Polygonetalia avicularis Tüxen 1947 : inondations de courte durée
      • Bromion racemosi Tüxen in Tüxen & Preising 1951 : prairies fauchées
      • Alopecurion utriculati Zeidler 1954 : prairies thermo-atlantiques
      • Potentillion anserinae Tüxen 1947 : prairies piétinées et pâturées, méso-hygrophiles, eutrophes
      • Mentho-Juncion inflexi Müller & Gors 1969 ex de Foucault 1984 : prairies pâturées neutroclines
    • Eleocharitetalia palustris de Foucault 1984 : prairies longuement inondables
      • Oenanthion fistulosae de Foucault 1984 : communautés atlantiques

COR 1991

  • 37. 21 Prairies humides atlantiques et sub-atlantiques
    • 37. 214 Prairies à Séneçon aquatique (SENECIONETUM AQUATICI)
    • 37. 217 Prairies à Juncus effusus (EPILOBIO-JUNCETUM EFFUSI)
    • 37. 218 Prairies à Jonc subnoduleux (JUNCETUM SUBNODULOSI)
    • 37. 219 Prairies à Scirpus sylvaticus
  • 37. 22 Prairies à Jonc acutiflore (JUNCION ACUTIFLORI)
  • 37. 24 Prairies à Agropyre et Rumex (AGROPYRON-RUMICION CRISPI pp.)
    • 37. 241 Colonies de Juncus effusus, J. conglomeratus, J. inflexus des prairies fortement pâturées
    • 37. 242 Prairies inondables à Agrostis stolonifera, Festuca arundinacea…
  • 37. 25 Prairies humides de transition à hautes herbes (CALTHION). Prairies abandonnées évoluant vers 37. 1
  • 81. 2 Prairies humides améliorées (pâturage intensif humides, souvent drainés)

Directive Habitats 1992 et Cahiers d’habitats

Nc

Confusions possibles

Les prairies humides atlantiques peuvent être confondues avec d’autres habitats herbacés avec lesquels elles sont souvent en contact direct : les mégaphorbiaies eutrophes et marécageuses, qui se distinguent par la quasi absence de graminées, mais dont certaines espèces végétales caractéristique se retrouvent dans le cortège des prairies (Filipendula ulmaria, Thalictrum flavum, Euphorbia villosa…), les prairies mésophiles qui peuvent se développer en contact sur des zones plus élevées, où lorsque les inondations hivernales se font plus rares et plus courtes, et dont le cortège est dominé par des espèces non hygrophiles (Dactylis glomerata, Arrhenatherum elatius, Leucanthemum vulgare…). Les prairies à molinie, dont la physionomie peut rappeler celles des prairies atlantiques, ne se développent que sur des sols tourbeux ou paratourbeux et la présence de la Molinie bleue Molinia caerulea suffit généralement à différencier ces deux habitats.

Espèces indicatrices

[plante2] *Achillea ptarmica, Agrostis stolonifera, Alopecurus pratensis, Anacamptis laxiflora, Bromus racemosus, Cardamine pratensis, Carex cuprina, Carex disticha, Carex hirta, *Carex vulpina, Eleocharis palustris, Festuca arundinacea, *Fritillaria meleagris, Galium palustre, *Gratiola officinalis, *Inula britannica, Juncus effusus, Juncus inflexus, Lotus uliginosus, Lysimachia nummularia, Mentha arvensis, Oenanthe fistulosa, Oenanthe silaifolia, Polygonum amphibium var. terrestre, Potentilla anserina, Ranunculus repens, Rumex crispus, Senecio aquaticus, Silene flos-cuculi, Teucrium scordium
[plante1] Althaea officinalis, Caltha palustris, Calystegia sepium, Centaurea thuillieri, Cirsium palustre, *Dactylorhiza incarnata, Epilobium hirsutum, Epilobium parviflorum, Equisetum palustre, Euphorbia villosa, Filipendula ulmaria, Iris pseudacorus, Galium debile, Galium palustre, Gaudinia fragilis, Juncus acutiflorus, Juncus conglomeratus, Juncus subnodulosus, Lathyrus pratensis, Lycopus europaeus, Lysimachia vulgaris, Lythrum salicaria, Mentha aquatica, Phalaris arundinacea, Plantago major, Potentilla repens, Pulicaria dysenterica, Ranunculus acris, Ranunculus flammula, *Ranunculus ophioglossifolius, Scirpus sylvaticus, Solanum dulcamara, Stachys palustris, Thalictrum flavum, Valeriana officinalis, Veronica scutellata
[briophytes] Brachythecium mildeanum, Calliergonella cuspidata, Didymodon insulanus, Eurhynchium hians, Eurhynchium stokesii, Weisia squarrosa
[oiseaux] Cisticola juncidis, Crex crex, Motacilla flava, Saxicola rubetra
[amphibiens] Rana dalmatina, Rana temporaria
[lepidopteres] Lycaena dispar
[orthopteres] Chorthippus dorsatus, Chorthippus parallelus, Conocephalus discolor, Mecostethus parapleurus, Metrioptera roeselii

Dynamique

Les prairies humides atlantiques sont issues de défrichements souvent anciens des complexes forestiers hygrophiles qui peuplaient autrefois le lit majeur des cours d’eau. En l’absence d’actions anthropiques (pâturage, fauche), elles évoluent rapidement vers la mégaphorbiaie, puis vers le fourré hygrophile, dominé par les saules et les jeunes frênes, et enfin la forêt alluviale qui constitue le stade climacique de cette série de végétation. En cas de drainage, ou de modification notable du régime hydrique du cours d’eau avoisinant, on observe l’apparition d’espèces végétales plus mésophiles et à terme une prairie mésophile s’installe. En cas de boisement artificiel (peupleraie), le fort ombrage qui en résulte finit par appauvrir le cortège végétal, qui comporte de nombreuses espèces héliophiles.

Valeur biologique

Les prairies humides atlantiques, lorsqu’elles sont exploitées de façon extensive, sont des habitats à très forte valeur biologique : elles sont le lieu de reproduction de deux espèces emblématiques menacées d’extinction dans la région : le Râle des genêts Crex crex, dont il ne subsiste à l’heure actuelle qu’une vingtaine de couples nicheurs en Poitou-Charentes, et qui est strictement inféodé à cet habitat, et le Cuivré des marais Lycaena dispar, papillon menacé à l’échelle européenne et dont la chenille se nourrit sur les oseilles (Rumex ssp). Au niveau floristique, ces prairies accueillent encore de belles populations de Fritillaire pintade Fritillaria meleagris, liliacée en régression alarmante au niveau national. D’autres espèces rares, comme l’Achillée sternutatoire Achillea ptarmica, la Gratiole officinale Gratiola officinalis, la Renoncule à feuilles d’ophioglosse Ranunculus ophioglossifolius ou l’Inule d’Angleterre Inula britannica, y sont présentes de façon plus sporadique. Au printemps, les Grenouille rousse Rana temporaria et agile Rana dalmatina se rassemblent dans les cuvettes encore inondées pour y pondre. D’une façon générale, la forte diversité floristique de cet habitat attire tout un cortège d’invertébrés phytophages, qui sont à leur tour prédatés par de nombreux vertébrés insectivores : amphibiens, reptiles, oiseaux, chauves-souris… Les prairies humides atlantiques jouent donc un rôle très important dans la chaîne alimentaire des zones humides.

Menaces

Les prairies humides atlantiques, comme la plupart des habitats des zones humides, sont en régression alarmante en Poitou-Charentes, comme au niveau national. Les menaces sont nombreuses : la qualité nutritive et la teneur en eau des terrains sur lesquels elles se développent sont très favorables à la culture du maïs, et certaines vallées, autrefois très riches, ne sont aujourd’hui qu’une immense monoculture de maïs sans aucun intérêt biologique. Les plantations de peupliers, bien que moins traumatisantes, constituent elles aussi une menace importante pour cet habitat. La gestion hydraulique des cours d’eau (recalibrage, gestion du débit) peut s’avérer également défavorable en limitant les crues hivernales. Il est d’ailleurs étonnant de constater qu’un habitat aussi riche en biodiversité et menacé un peu partout en Europe ne soit pas inscrit à l’annexe 1 de la Directive « Habitats, Faune, Flore ».

Statut régional

Habitat disséminé sur l’ensemble de la région mais les derniers grands blocs, peu altérés par l’agriculture intensive ou les modifications hydrauliques, sont devenus rares. Ils ont fait l’objet, en général, d’une inscription aux grands inventaires de faune, de flore et d’habitats des trois dernières décennies (ZNIEFF, ZICO, ZPS, ZSC)

16 : moyenne vallée de la Charente, en amont et en aval d’Angoulême

17 : moyenne vallée de la Charente (de Cognac à Rochefort)

79 : vallées de la Boutonne, de l’Autize, du Thouet

86 : vallées de la Vienne, du Clain, de la Creuse, de la Gartempe