Prés salés méditerranéens et thermo-atlantiques

Rédacteur : Jean Terrisse

Physionomie-écologie

La prairie subhalophile thermo-atlantique se développe dans les grands marais arrière-littoraux de Charente-Maritime sur un sol argileux compact connu sous le nom local de « bri », à structure fondue en période de forte pluviométrie mais pouvant présenter de profondes fentes de retrait en période estivale. Ce sol, formé à partir d’anciennes alluvions fluvio-marines déposées au cours du Quaternaire récent (colmatage d’anciens schorres), présente des taux de salinité fossile variables selon l’âge de leur dépôt mais en général décroissants selon un gradient ouest/est. Malgré un macro-relief globalement plat (l’altitude moyenne est comprise entre + 2m et + 4m NGF) la micro-topographie est remarquablement variée et permet une importante variabilité de l’habitat :

  • marais « gâts » résultant de l’aménagement par l’Homme d’anciens schorres endigués pour la production de sel et présentant une succession de bassins (les « jas ») de forme et taille variables et de bosses (les « bossis ») formées par les remblais issus du creusement des bassins ; progressivement abandonnée au cours des XVIème et XVIIème siècles en raison du colmatage, la saliculture a laissé la place à un pâturage bovin plus ou moins extensif qui constitue encore aujourd’hui la vocation principale de ces marais gâts ;
  • marais plats, non aménagés par l’Homme, mais présentant encore souvent un micro-relief hérité des anciennes formes du schorre : légères dépressions ou « baisses » où l’eau forme une fiche couche en hiver et au printemps, puis qui s’exondent vers le mois de mai pour devenir très sèches en été, chenaux au cours irrégulier à travers les parcelles et correspondant aux anciens chenaux de drainage du schorre ; la fauche est parfois encore pratiquée dans ce faciès, souvent associée à un pâturage tardif (sur le regain).

    Le climat est de type thermo-atlantique avec un maximum pluviométrique en hiver et un net déficit hydrique entre juin et août.
    L’habitat se présente comme une prairie vivace haute et dense constituée d’hémicryptophytes et de géophytes – sauf au niveau de « taches salées » où les alternances d’engorgement et de dessication favorisent la remontée du sel à la surface du sol et ne permettent plus que le développement de tonsures rases à la composition floristique nettement différente de la périphérie ; les espèces dominantes appartiennent aux familles des Poacées, des Cypéracées (la Laîche divisée Carex divisa est une des espèces emblématiques de l’habitat) et des Fabacées (le genre Trifolium, avec près de 10 espèces, est exceptionnellement bien représenté) ; les Apiacées (3 espèces du genre Oenanthe) et les Renonculacées peuvent être aussi abondantes. La phénologie varie selon la position topographique mais, en conditions moyennes d’hydromorphie, le pic végétatif est atteint entre le 20 mai et le 10 juin.

La variabilité de l’habitat s’effectue surtout en fonction de l’hydromorphie et de l’halomorphie des sols, elles-mêmes étroitement dépendantes de la micro-topographie ; le type de gestion agricole (fauche/pâturage, intensité du piétinement) influe également sur la composition végétale :

  • en conditions moyennes – méso-hygrophiles – se développe la communauté à Trèfle maritime et Oenanthe à feuilles de silaus (TRIFOLIO SQUAMOSI-OENANTHETUM SILAIFOLIAE) pour les prairies fauchées et la communauté à Laîche divisée (CARICI DIVISAE-LOLIETUM PERENNIS) pour les parcelles pâturées ; les secteurs très piétinés abritent une communauté à Trèfle résupiné (PLANTAGINI MAJORIS-TRIFOLIETUM RESUPINATI) ;
  • en conditions plus hydromorphes (baisses, bordures de jas), on observe la communauté à Vulpin bulbeux (ALOPECURO BULBOSI-JUNCETUM GERARDII), voire celle à Renoncule à feuilles d’ophioglosse (RANUNCULO OPHIOGLOSSIFOLII-OENANTHETUM FISTULOSAE) remplacée, en cas de fort piétinement, par un groupement à Menthe pouillot (RANUNCULO OPHIOGLOSSIFOLII-MENTHETUM PULEGII).

Les tonsures se développant sur les taches salées au sein de l’habitat peuvent, selon les cas, être rattachées à une variante halophile de la prairie du 15.52, soit, lorsque le tapis végétal est constitué essentiellement de thérophytes (Parapholis, Hordeum, Spergula, Bupleurum) aux végétations pionnières annuelles du 15.1.

Phytosociologie et correspondances typologiques

PVF 2004

AGROSTIETEA STOLONIFERAE Th.Müll. & Gors 1969

Alopecurion utriculati Zeidler 1954 : prairies méso-hygrophiles thermo-atlantiques

Potentillion anserinae Tüxen 1947 : prairies méso-hygrophiles piétinées, eutrophes

Oenanthion fistulosae de Foucault 1984 : prairies atlantiques longuement inondables

COR 1991

15.52 Prés salés à Juncus gerardii et Carex divisa

Directive Habitats 1992 et Cahiers d’habitats

  • 1410 Prés salés méditerranéens
    • 1410-3 Prairies subhalophiles thermo-atlantiques

Confusions possibles

La localisation de l’habitat en situation propé-littorale permet en général d’éviter les confusions. Cependant, sur la bordure interne des marais arrière-littoraux, et vers l’amont des vallées fluviales, la prairie subhalophile thermo-atlantique cède progressivement la place à des prairies humides eutrophes, de nature variable, mais relevant en général de l’habitat 37.2 : communauté à Pulicaire dysentérique et Jonc glauque (PULICARIO-JUNCETUM INFLEXI), communauté à Séneçon aquatique et Oenanthe à feuilles de silaus (SENECIONI-OENANTHETUM SILAIFOLIAE), communauté à Gratiole officinale et Oenanthe fistuleuse (GRATIOLO OFFICINALIS-OENANTHETUM FISTULOSAE) etc..Le lessivage du sel dans le bri ancien, voire la nature différente des alluvions (d’origine fluviale et non plus marine) expliquent ce passage du 15.52 au 37.2.

Dynamique

En cas d’abandon de toute gestion agricole, la prairie subhalophile évolue vers une friche herbacée où dominent quelques Poacées vivaces compétitives comme l’Agropyre Elymus repens, au détriment des nombreuses annuelles qui finissent pas disparaître totalement (cas des Trifolium, notamment). Les séries dynamiques varient ensuite en fonction de la nature des sols : sur bri ancien, presque dessalé, des fourrés eutrophes à Prunellier ne tardent pas à s’implanter, préparant la venue d’une ormaie-frênaie arrière-littorale à Arum d’Italie et Iris fétide (ARO-ULMETUM MINORIS). Sur bri plus récent, avec des taux de sels encore importants, l’apparition des espèces ligneuses est plus lente, voire impossible pour des essences comme le Frêne.

Valeur biologique

L’habitat – dans son ensemble – est considéré comme menacé en Europe et figure à l’Annexe I de la Directive 92/43/CEE dite « Directive Habitats ». Sur le plan botanique, l’habitat présente un intérêt floristique élevé comme biotope pour plusieurs espèces végétales rares ou menacées : la Renoncule à feuilles d’ophioglosse, espèce protégée au niveau national et inscrite au Livre Rouge de la Flore Menacée de France (taxons non prioritaires) possède dans les grands marais arrière-littoraux charentais une population de plusieurs millions de pieds qui en fait, probablement, le bastion actuel de l’espèce sur tout le territoire français. L’Iris maritime, splendide espèce aux grandes fleurs bleues protégée en région Poitou-Charentes, possède dans les prairies du 15.52 ses seules stations extra-méditerranéennes et les effectifs encore présents dans certaines parcelles du marais de Rochefort se comptent en milliers d’individus. L’abondance de certains trèfles rares comme le Trèfle de Micheli ou le Trèfle
faux-pied d‘oiseau est également remarquable, de même que la présence de taxons à aire essentiellement méridionale comme Centaurium spicatum ou Hordeum gussoneanum qui trouvent dans les marais charentais (et sud vendéens) leur limite septentrionale de distribution.

L’avifaune des marais arrière-littoraux charentais est d’une grande richesse et originalité comme en témoigne le nombre élevé de Zones de Protection Spéciale décrites à ce jour. En raison du grand rayon d’action des oiseaux et de leur utilisation de différents habitats au cours d’un cycle annuel, il est toutefois difficile d’isoler l’intérêt spécifique des seules prairies pour ceux-ci, indépendamment des milieux voisins aussi largement utilisés (boisements, haies, fossés, mares cynégétiques, prés salés, estuaires). Les prairies subhalophiles doivent donc être considérées comme une pièce parmi d’autres du complexe d’habitats littoraux indispensable à la survie de cette avifaune remarquable

Menaces

La menace essentielle concernant l’habitat réside dans un changement de gestion agricole : l’intensification des prairies – fertilisation, charges pastorales élevés, sursemis d’espèces fourragère productives, drainage – voire leur transformation pure et simple en cultures intensives (céréales, maïs) ont entraîné au cours des 2 dernières décennies la disparition ou l’altération de milliers d’hectares de marais arrière-littoraux. Ce mouvement massif a pu être en partie freiné depuis 1991 par les mesures agri-environnementales de la PAC qui prévoient l’octroi de compensations financières aux agriculteurs développant des pratiques respectueuses de l’environnement. L’avenir de cet habitat reste cependant suspendu aux aléas de la politique agricole européenne et aux crédits alloués au soutien de la prairie naturelle humide.

Espèces indicatrices

[plante2] Alopecurus bulbosus, Bupleurum tenuissimum, Carex divisa, *Centaurium spicatum, Centaurium tenuiflorum, Galium debile, *Hordeum gussoneanum, *Iris spuria, Juncus gerardii, Mentha pulegium, Oenanthe fistulosa, Oenanthe silaifolia, *Ranunculus ophioglossifolius, Senecio aquaticus, *Trifolium michelianum, *Trifolium ornithopodioides, Trifolium resupinatum, Trifolium squamosum
[plante1] Agrostis stolonifera, Althaea officinalis, Bromus racemosus, *Cardamine parviflora, Carex cuprina, Eleocharis palustris, Eleocharis uniglumis, Gaudinia fragilis, Hordeum marinum, Hordeum secalinum ,Lolium perenne, Oenanthe pimpinelloides, Parapholis strigosa, Plantago coronopus, Ranunculus sardous, Trifolium fragiferum
[oiseaux] Alauda arvensis, Asio flammeus, Cisticola juncidis, Miliaria calandra, Motacilla flava, Saxicola rubetra, Vanellus vanellus

Les 4 trèfles caractéristiques de l’habitat :

Statut régional

L’habitat est présent dans les grands marais arrière-littoraux de Charente-Maritime, ainsi que, plus localement, dans les îles. Il remonte également en amont des vallées fluviales, dans la zone d’influence de l’eau saumâtre apportée par les marées.

17 : marais Poitevin, marais de Rochefort (optimal), marais de Brouage (optimal), marais de Seudre (local), estuaire Gironde (local), val de Charente (jusqu’à Taillebourg)