Hêtraies

Rédacteur : Anthony le Fouler

Physionomie – écologie

Le Hêtre est une essence des climats océaniques et montagnards. L’humidité atmosphérique est le principal facteur limitant sa propagation en véritables peuplements vers les plaines du sud. Il occupe par contre des surfaces importantes dans le Massif central, les Alpes et les Pyrénées à la faveur des brouillards chargés d’humidité. A notre ère, la hêtraie de plaine trouve dans quelques rares forêts domaniales picto-charentaises ses derniers refuges méridionaux. Elle exige aussi des sols relativement bien drainés et semble par contre indifférente à la nature du sol (marnes calcaires drainées, grès, granites).

La distinction des hêtraies régionales est faite sur les variations de composition des strates basses dépendantes du pH et de l’hydromorphie du substrat. 3 grands types de hêtraies peuvent être distingués :

– les hêtraies acidiphiles, non exposées ici car appartenant en Poitou-Charentes à l’ensemble des chênaies-hêtraies du QUERCION ROBORIS-PETRAEAE,

– les hêtraies neutroclines et mésophiles du CARPINION BETULI,

– les hêtraies thermophiles du RUBIO-FAGETUM SYLVATICAE, riches en espèces transgressives de la chênaie pubescente, mais également rapportables au CARPINION BETULI.

Les hêtraies neutroclines de Poitou-Charentes sont définies principalement par l’association du Melico-Fagetum ou « hêtraie à Mélique », habitat d’intérêt communautaire. Elles couvrent des surfaces faibles dans la région et se développent sur des brunisols à humus doux (mull), au pH voisin de la neutralité. Le substrat est frais ou légèrement humide, mais jamais saturé en eau. Le Hêtre est généralement dominant mais peu parfois être co-dominant avec le Chêne pédonculé en cas d’orientation sylvicole et dans les zones les plus sèches de son aire. En régime de futaie, la strate arbustive est très clairsemée et composée d’espèces neutroclines comme le Noisetier Corylus avellana, le Fusain d’Europe Euonymus europaeus ou encore le Cornouiller sanguin Cornus sanguinea. Le tapis herbacé est généralement très recouvrant et particulièrement luxuriant au printemps. Cette végétation s’organise en taches plus ou moins grandes où chacune est dominée par une plante particulière. La Mélique uniflore Melica uniflora et l’Aspérule odorante Galium odoratum sont les plus caractéristiques de ce type d’habitat. Le Sceau de Salomon Polygonatum odoratum, la Violette des bois Viola reichenbachiana, l’Anémone sylvie Anemone nemorosa, sont également fréquentes et composent des communautés vernales proches de celles rencontrées en sous-bois des chênaies-charmaies.

Plus rarement, le hêtre arrive difficilement à constituer de véritables peuplements sur les sols à fortes variations hydromorphiques du bassin aquitain (saturation en hiver et assèchement en été). Le cortège s’enrichit alors de plantes calcicoles et thermophiles mais tout en gardant une originalité vis à vis des véritables hêtraies calcaires du CEPHALANTHERO-FAGION. Ce type de hêtraie thermophile, rare et originale, est à rapprocher du RUBIO-FAGETUM Roisin 1967, un habitat non retenu par le Directive 92/43/CEE et qui relaie au sud-ouest de la Loire les DAPHNO-FAGETUM et CARICI-FAGETUM nord-atlantiques. Les plus beaux exemplaires du RUBIO-FAGETUM appartiennent aux forêts domaniales de Chizé et d’Aulnay. Le hêtre, ici dominant, est souvent accompagné d’essences thermophiles telles que le Chêne pubescent Quercus pubescens ou, plus remarquablement, l’Erable de Montpellier Acer monspessulanum. La strate arbustive y est pauvre, souvent dominée par le Fragon Ruscus aculeatus, mais la strate herbacée est dense et riche en plantes. Elle est aussi relativement riche en Orchidées dont certaines sont bien adaptées aux contraintes d’ombrage (Limodorum abortivum, L. trabutianum, Neottia nidus-avis).

Phytosociologie et correspondances typologiques

PVF 2004

  • QUERCO ROBORIS-FAGETEA SYLVATICAE Braun-Blanq. & Vlieger 1939

    Forêts tempérées caducifoliées ou mixtes, collinéennes et montagnardes (plus rarement subalpines), ainsi que supraméditerranéennes.

  • Fagetalia sylvaticae Pawł. in Pawł., Sokołowski & Wallisch 1928
    • Carpinion betuli Issler 1931 : Communautés acidiclines à calcicoles sur sols ressuyés mais sans déficit hydrique marqué.
    • Melico uniflorae-Fagetum sylvaticae Lohmeyer in Seibert 1954
    • Rubio-Fagetum sylvaticae Roisin 1967

COR 1991

  • 41.13 Hêtraies neutrophiles
    • 41.131 Hêtraies à Aspérule et Mélique (et à Garance voyageuse)
      • 41.1311 Hêtraie calcicline à Mélique
      • 41.1312 Hêtraie neutrocline à Mélique

Directive Habitats 1992 et Cahiers d’habitats

  • 9130 Hêtraies de l’Asperulo-Fagetum
    • 9130-1 Hêtraies-chênaies à Mélique, If et Houx

Confusions possibles

Du fait qu’elles soient inscrites dans la même succession végétale, les hêtraies neutroclines peuvent être confondues avec les chênaies-charmaies lorsque l’essence dominante ou co-dominante est le Hêtre. Il sera toujours intéressant de noter pour les chênaies-charmaies transitoires le recouvrement du Hêtre pour prédire un éventuel passage à la hêtraie climacique. La présence de nombreuses plantes neutroclines et de quelques calcaricoles permettra de la distinguer de la chênaie-hêtraie acidiphile.

En ce qui concerne la hêtraie à Garance, une confusion peut être faite avec la chênaie pubescente transitoire et surtout avec les hêtraies calcicoles sèches du CEPHALANTHERO-FAGION (mais les hêtraies appartenant à ce groupe se trouvent en climat plus continental).

Dynamique

La hêtraie neutrocline dérive des chênaies-charmaies dans les zones où les conditions climatiques sont propices au développement du hêtre (pluviométrie suffisante). Ceci explique la présence de nombreuses plantes en commun entre ces deux formations. Le hêtre étant incapable de rejeter sur souche, seules les chênaies-charmaie en régime de futaie sont susceptibles d’évoluer vers une hêtraie climacique. Néanmoins les chênes et les charmes subsistent longtemps au sein de cet habitat.

La hêtraie thermophile sur calcaire est une forêt climacique. Elle est l’aboutissement du long processus de colonisation des pelouses sèches calcicoles par les ligneux. Elle est susceptible de succéder à un groupement calcicole boisé soumis au régime de futaie.

En conditions défavorables dans notre région à climat relativement sec, le Hêtre éprouve des difficultés de développement ce qui limite fortement l’extension de l’habitat, même en régime de futaie.
Comme mesure de gestion sylvicole, la coupe à blanc est fortement traumatisante et ne permet jamais de prédire le retour à la hêtraie calcicole climacique. Seul un régime de futaie avec coupe d’ensemencement est susceptible de régénérer ce type de boisement. Le régime en futaie jardinée serait idéal pour conserver et exprimer le potentiel floristique du groupement.

Espèces indicatrices

[plante2] Euonymus europaeus, Fagus sylvatica, Galium odoratum, *Hordelymus europaeus, Melica uniflora, Neottia nidus-avis
[plante1] Acer monspessulanum, Adoxa moschatellina, Anemone nemorosa, Brachypodium pinnatum, Cornus sanguinea, Hyacinthoides non-scripta, Geranium sanguineum, Lamium galeobdolon, Limodorum abortivum, *Limodorum trabutianum, Polygonatum odoratum, Quercus pubescens, *Rosa pimpinellifolia, *Rosa sempervirens, Rubia peregrina, Ruscus aculeatus, Sorbus torminalis
[briophytes] Ctenidium molluscum
[mammiferes] Barbastella barbastellus, Capreolus capreolus, Meles meles, Myotis bechsteinii
[oiseaux] Dendrocopos medius, Dryocopus martius, Phylloscopus sibilatrix
[lepidopteres] Cryptococcus fagi, Limenitis camilla, Limenitis reducta, Thecla quercus
[coleopteres] Meloe proscarabaeus

Valeur biologique

Toutes les hêtraies en Poitou-Charentes présentent une grande valeur biologique du fait de leur faible surface et de leur situation en limite méridionale (hêtraies de plaines). La flore des hêtraies neutroclines, aux cortèges herbacés proches des chênaies-charmaies, formations plus courantes dans la région, est donc relativement banale mais toutefois très diversifiée. Les hêtraies à Garance ont quant à elles une flore très originale avec la présence de plantes calcaricoles et thermophiles dont quelques raretés comme le Limodore de Trabut Limodorum trabutianum et l’Orge d’Europe Hordelymus europaeus. Ces forêts sont également le lieu de vie de nombreuses espèces animales comme le Chevreuil, le Sanglier et les chauves-souris arboricoles. Des insectes fréquentent également régulièrement cet habitat.

Menaces

D’une part, de nombreux boisements de feuillus sont arasés au profit de plantations de résineux. D’autre part, certaines pratiques sylvicoles sont néfastes pour la flore et la faune des hêtraies. La conduite du boisement en taillis est très fréquente et exclut les potentialités du Hêtre, incapable de rejeter sur souche. En condition de sols bien drainés, cette essence noble, ici hors de son optimum écologique et donc moins productif, est éliminé au profit d’autres essences plus rentables telles que les Chênes. De plus, la régénération des hêtraies est rendue difficile du fait de sa position climatique en Poitou-Charentes.

Enfin, les puissantes tempêtes de ces deux dernières décennies ont anéanti de grandes surfaces de futaies de hêtres. Autre facteur climatique, les sècheresses successives et, semble-t-il, en recrudescence, limitent la propagation de ces peuplements climaciques. La forte exigence en humidité atmosphérique du hêtre fait de cette essence un bon indicateur du réchauffement climatique global.

Statut régional

En tant qu’habitat, la hêtraie est très localisée en région Poitou-Charentes où elle n’occupe que de petites surfaces au sein de plus vastes boisements, bien que le Hêtre offre une répartition plus étendue mais le plus souvent sous forme d’individus isolés ne formant pas de véritables peuplements.

16 : Forêt de la Braconne

17 : Massif forestier de Chizé-Aulnay

79 : Massif forestier de Chizé-Aulnay ; forêts de Secondigny, du Fouilloux, de l’Absie, de Chantemerle

86 : Forêt de Moulière