Tourbières bombées à sphaignes

Rédacteur : Guy Chezeau

Physionomie – écologie

Par définition, une tourbière est un milieu humide au sein duquel se développe une végétation constituée de sphaignes, c’est-à-dire de mousses dont la partie aérienne supérieure poursuit son développement tandis que la partie inférieure dans l’eau se décompose incomplètement par anaérobiose pour donner la tourbe.
Le milieu aquatique est acide avec un pH compris entre 3,5 et 5, il est oligotrophe, uniquement alimenté par les eaux très faiblement minéralisées de la nappe superficielle affleurante ou par les pluies et la tourbière est alors dite ombrotrophe.

Si on se réfère aux cartes des Cahiers d’habitats édités par le ministère de l’écologie, la région Poitou-Charentes est vierge de tourbières bombées actives. L’ouvrage très complet édité chez
Delachaux et Niestlé en 2006 intitulé « Le monde des tourbières et des marais de France… » recense de manière très précise l’ensemble des tourbières connues sur le territoire national. On constate que le Poitou-Charentes ne retient que deux sites : la tourbière alcaline du Bourdet (79) et une microtourbière acide sur la RNN du Pinail (86). Il est donc permis de s’interroger sur le bien fondé qu’il y a à retenir ce type d’habitat pour la région.
Dans le sud de la Charente-Maritime, le substrat acide, imperméable est constitué par les sables et argiles appartenant au sidérolithique. Il s’agit de dépôts détritiques ferrugineux du début de l’ère tertiaire (Eocène) résultant du démantèlement par l’érosion des massifs et reliefs formés au cours de l’orogenèse pyrénéenne. On les rencontre en placages plus ou moins épais sur les calcaires karstifiés du secondaire où ils donnent « la Double saintongeaise ». S’y développent des landes sèches et des landes tourbeuses, les tourbières « vraies » y sont par contre rarissimes. En Charente limousine, il est également possible de retrouver le même milieu.
Une pluviosité assez mal répartie sur l’année avec une période estivale nettement déficitaire, associée à des températures soumises à des écarts faibles, y ont cependant permis l’installation de communautés dites des hauts-marais atlantiques abritant un certain nombre d’espèces caractéristiques des régions occidentales comme le Narthécie ossifrage, la Bruyère à quatre angles, le Rhynchospore brun ou le Rossolis à feuilles rondes. On les considèrera comme des tourbières relictuelles.

Phytosociologie et correspondances typologiques

PVF 2004

Alliance Oxycocco palustris-Ericion tetralicis Nordhagen ex Tüxen 1937
Tourbières hautes atlantiques

COR 1991

51.1 Tourbières hautes à peu près naturelles
51.2 Tourbières à Molinie bleue

Directive Habitats 1992 et Cahiers d’habitats

7110* Végétation des tourbières hautes actives
7120 Tourbières hautes dégradées encore susceptibles de régénération naturelle

Confusions possibles

Cet habitat est très complexe car il présente plusieurs « sous-habitats » généralement étroitement imbriqués en mosaïque. Ainsi, s’’il est possible sans grande difficulté de distinguer la végétation des buttes de sphaignes, les sous-habitats constitués par les chenaux, les mares ou encore les prés-bois tourbeux sont plus délicats à définir d’autant qu’ils apparaissent dans la nomenclature du code CORINE sous des appellations différentes de celles des tourbières.
Les confusions sont alors possibles avec :

  • les landes tourbeuses, particulièrement bien représentées dans la Double Saintongeaise ;
    – les tourbières hautes dégradées.
    Bien entendu, on évitera également les confusions avec les tourbières alcalines au sein desquelles les sphaignes sont toujours absentes.

Dynamique

La végétation des tourbières hautes actives se caractérise en premier lieu par la présence de buttes de Sphaignes ombrothrophes. C’est l’élément typique de ces milieux que l’on peut considérer comme le stade optimum de la dynamique de la végétation des hauts-marais. Le déficit pluviométrique estival que l’on rencontre dans le Poitou-Charentes freine de toute évidence le développement de ces buttes de sphaignes en les asséchant. Ces buttes dérivent généralement de l’évolution dynamique progressive de stades de végétation antérieurs, aquatiques ou hygrophiles, et évoluent généralement elles-mêmes vers des stades moins hygrophiles selon une dynamique d’assèchement et de minéralisation pouvant conduire, à terme, à ce que cessent les processus d’élaboration et d’accumulation de la tourbe (turfigènèse). Peuvent apparaitre alors des chaméphytes entrainant le développement de landes puis de pré-bois.

Espèces indicatrices

[plante2] *Carex echinata, *Carex rostrata, *Drosera intermedia, *Drosera rotundifolia, Erica tetralix, *Eriophorum angustifolium, *Menyanthes trifoliata, *Myrica gale, *Narthecium ossifragum, *Potentilla palustris, *Rhynchospora alba, *Rhynchospora fusca, *Sparganium minimum, *Trichophorum cespitosum
[plante1] Calluna vulgaris, Erica ciliaris, Frangula alnus, Molinia caerulea, Ulex minor, *Utricularia intermedia, *Utricularia minor, *Wahlenbergia hederacea
[briophytes] Aulacomnium palustre, Cephalozia connivens, Dicranum bonjeani, Kurzia pauciflora, Odontoschisma sphagni, Polytrichum commune, Sphagnum capillifolium, Sphagnum palustre, Sphagnum subnitens
[champignons] Cortinarius palustris, Hypholoma udum
[lepidopteres] Coenonympha oedippus, Heteropterus morpheus
[odonates] Ceriagrion tenellum, Orthetrum caerulescens, Somatochlora flavomaculata, Somatochlora metallica

Valeur biologique

Cet habitat possède une très grande valeur patrimoniale, notamment lorsqu’il se trouve dans ses formes typiques au sein des hauts-marais ombrotrophes. Les tourbières hautes actives constituent de véritables reliques postglaciaires qui ne se trouvent cantonnées sous nos latitudes qu’en de rarissimes secteurs où elles trouvent leurs derniers refuges. Des espèces végétales comme les Rossolis (ou Drosera), les 2 rhynchospores (Rhynchospora) ou le rare papillon Fadet des laiches Coenonympha oedippus – espèce de l’annexe II de la Directive habitats – bénéficient de protections réglementaires. Les tourbières accueillent un certain nombre d’autres espèces d’invertébrés ou de vertébrés dont la dépendance vis-à-vis de ces milieux est plus ou moins forte.

Menaces

L’intensification de l’agriculture et le développement de la sylviculture constituent les premières menaces qui pèsent sur les tourbières. En effet dans les deux cas, on pratique d’abord un drainage ayant pour effet d’abaisser la nappe superficielle. Le creusement et l’aménagement d’un plan d’eau avec des objectifs aussi divers que celui de la réalisation d’une réserve DFCI (défense contre l’incendie) ou celui d’un lac à vocation touristique ont les mêmes effets entrainant à plus ou moins brève échéance la disparition de la tourbière. Il en est de même lorsqu’on modifie la qualité des eaux en amont (apports de pesticides, minéralisation, modification du pH…..). La principale tourbière de Charente-Maritime, à côté de Montendre, a ainsi beaucoup souffert des aménagements touristiques réalisés en bordure de l’étang où elle se trouve. Une petite tourbière, située sur la commune de Cercoux (17), a échappé de peu, il y a quelques années, à sa disparition, à la suite d’un aménagement d’une retenue DFCI.
L’exploitation de la tourbe ne semble plus être d’actualité, mais il reste nécessaire de se montrer vigilant.

Statut régional

Habitat rarissime et toujours fragmentaire en région Poitou-Charentes.

16 : micro-tourbières des landes de la Borderie en Charente limousine (commune de Montrollet)
17 : tourbière de l’étang Baron Desqueyroux (Montendre)
86 : micro-tourbière au sein de la RN du Pinail.

Les rhynchospores sont des Cypéracées très rares en région Poitou-Charentes, en général liés aux complexes de tourbières acides et de landes tourbeuses