Chênaies-charmaies, chênaies-frênaies

Rédacteur : Jean-Pierre Sardin

Physionomie-écologie

Ces habitats génériques correspondent à un ensemble d’associations qui déterminent ici la forêt mésophile ouest européenne atlantique. D’une façon générale, ces boisements – appelés aussi chênaies mixtes à charme – sont caractérisés par des essences de lumière, de dimension variable, qui favorisent des strates arbustives et herbacées assez denses et riches en espèces. Ils se développent sur des sols fertiles, au substrat frais, parfois temporairement humide, mais jamais engorgé. Selon les sols, mais aussi la latitude, on distinguera d’une part le groupe des chênaies-charmaies subcontinentales, limité dans notre région à la chênaie-charmaie calcicole, localisée essentiellement dans le nord et l’est, et d’autre part le groupe des chênaies-frênaies atlantiques neutroclines, beaucoup plus varié, avec des chênaies-frênaies plutôt liées à des sols bruns assez profonds, souvent en terrain plat ou à faible pente, sur lesquels elles remplacent la chênaie thermophile, et des chênaies-charmaies sur des sols à acidité plus ou moins modérée, comme des sables argileux, ou en bas de pente.

En raison de leur productivité assez importante, ces boisements sont très exploités, en taillis sous futaie ou en futaie. Ainsi, dans notre région, ces habitats sont en général des forêts secondaires, résultant du traitement forestier, et non des forêts climaciques. Ces traitements forestiers raccourcissent le cycle de régénération et imposent parfois la dominance de certaines espèces.

Selon les substrats et le relief, la latitude également, la diversité de
la strate arborée varie. Au nord, Chêne pédonculé Quercus robur et Chêne sessile Quercus petraea cohabitent souvent, le sessile étant plus rare vers le sud et le sud-ouest. Le Charme Carpinus betulus est parfois presque monospécifique, le Frêne commun Fraxinus excelsior étant le plus souvent accompagnant, même dans la chênaie-frênaie.

Les autres ligneux les plus fréquents sont le Noisetier Corylus avellana, l’Erable champêtre Acer campestre, l’Orme champêtre Ulmus minor, le Tilleul à petites feuilles Tilia cordata, le Merisier Prunus avium.

A l’étage en dessous, on observe notamment l’Aubépine monogyne Crataegus monogyna, le Troëne Ligustrum vulgare, le Fusain Evonymus europaeus, parfois le Fragon Ruscus aculeatus et le Camerisier Lonicera xylosteum.

L’une des caractéristiques physionomiques de ces habitats est la présence de nombreuses géophytes à floraison spectaculaire, abondante, prévernale et vernale, comme la Jonquille Narcissus pseudonarcissus, la Jacinthe des bois Hyacinthoides non-scripta, l’Ail des ours Allium ursinum

La strate herbacée est assez fournie, avec localement une grande diversité. Elle est dominée localement par l’Anémone des bois Anemone nemorosa, l’Hellébore fétide Helleborus foetidus, la Mélique uniflore Melica uniflora, la Pulmonaire à feuilles longues Pulmonaria longifolia, la Primevère élevée Primula elatior ou l’Arum d’Italie Arum italicum.

Phytosociologie et correspondances typologiques

PVF 2004

  • Carpinion betuli Issler 1931 : sols ressuyés mais sans déficit hydrique.
  • Fraxino-Quercion roboris Rameau 1996 : sols à bonne réserve hydrique

COR 1991

  • 41.21 et 41.35 Chênaies et chênaies-frênaies atlantiques mixtes à Jacinthe (Endymio-Carpinetum, Corylo-Fraxinetum)
  • 41.22 et 41.36 Frênaies-chênaies et chênaies-charmaies aquitaniennes (Rusco-Carpinetum, Saniculo-Carpinetum)
  • 41.23 et 41.37 Frênaies-chênaies sub-atlantiques à Primula elatior méso-eutrophes
    • 41.231 Frênaie-chênaie à Arum
    • 41.232 Frênaie-chênaie à Corydalis solida
    • 41.233 Frênaie-chênaie à Allium ursinum
  • 41.27 Chênaies-charmaies et frênaies-charmaies calciphiles
    • 41.273 Chênaie-charmaie calciphile du sud du Bassin parisien avec Lilium martagon, Arum italicum, Daphne laureola
  • 41.39 Bois de frênes post-culturaux

Directive Habitats 1992 et Cahiers d’habitats

NC

Confusions possibles

Les nombreux faciès associés à ces groupements expliquent la difficulté d’identification et les risques importants de confusion avec
d’autres habitats forestiers. Certaines chênaies présentent des faciès plus frais à frêne, alors que sur les pentes exposées au nord, on peut interpréter à tort une tiliaie-acéraie. Il y a d’autre part des convergences possibles avec la hêtraie calcicole dans certains massifs (Braconne, Chizé…) et les limites ne sont pas toujours très nettes. Aussi les relevés précis de la flore, arbustive et herbacée, sont-ils indispensables pour caractériser le plus sûrement ces habitats. Lorsque le sol est enrichi artificiellement en azote, ou lors de recolonisation forestière après culture, des groupements proches peuvent apparaître : les bois de frênes post-culturaux restent pour certains auteurs rattachés à l’ensemble ici décrit, alors que l’ormaie rudérale est considérée comme une variante anthropique du Carpinion. Ces boisements d’origine anthropique sont souvent colonisés par des plantes allochtones échappées de jardins environnants.

Dynamique

Ces forêts sont très souvent exploitées, conduites en futaie ou en taillis sous futaie, ce qui renforce parfois la fraîcheur du sous-bois et favorise l’implantation de ces habitats. Néanmoins, l’exploitation à courte révolution peut freiner ou empêcher l’apparition du climax. Ainsi ne peut-on parler de boisements stables, seules les parcelles situées sur un relief accentué, limitant l’exploitation, peuvent véritablement vieillir. C’est d’ailleurs au niveau de ces boisements préservés que l’on observe généralement les cortèges végétaux les plus intéressants d’un point de vue patrimonial.

Espèces indicatrices

[plante2] *Aconitum vulparia, Adoxa moschatellina, Allium ursinum, Arum italicum, Arum maculatum, *Cardamine bulbifera, Carpinus betulus, *Corydalis solida, Corylus avellana, *Daphne laureola, *Doronicum pardalianches, Fraxinus excelsior, *Helleborus viridis, Hyacinthoides non-scripta, *Hypericum androsaemum, Lamium galeobdolon, *Lilium martagon, Lonicera xylosteum, *Luzula sylvatica, *Lysimachia nemorum, Milium effusum, Moehringia trinervia, *Narcissus pseudonarcissus, *Nectaroscordum siculum, *Oxalis acetosella, *Primula elatior, Prunus avium, Quercus robur, Ranunculus auricomus, *Scilla bifolia, Symphytum tuberosum, *Thalictrella thalictroides , *Veronica montana
[plante1] Anemone nemorosa, Anthriscus sylvestris, Aquilegia vulgaris, Astragalus glycyphyllos, Athyrium filix-femina, Campanula trachelium, Cardamine flexuosa, Cardamine pratensis, *Carex digitata, Carex sylvatica, Circaea lutetiana, Conopodium majus, Cornus mas, Crataegus laevigata, Dryopteris carthusiana, Dryopteris filix-mas, Euphorbia amygdaloides, *Galium odoratum, Hedera helix, Helleborus foetidus, Iris foetidissima, *Lathraea squamaria, Melica uniflora, Mercurialis perennis, Mycelis muralis, *Myosotis sylvatica, Orchis mascula, Ornithogalum pyrenaicum, Polygonatum multiflorum, *Polystichum aculeatum, Polystichum setiferum, Primula acaulis, Pulmonaria longifolia, Ranunculus ficaria, Ruscus aculeatus, *Stachys alpina, Stachys sylvatica, Stellaria holostea, Veronica chamaedrys, Vicia sepium, Vinca minor, Viola riviniana
[champignons] Amanita lividopallescens, Boletus depilatus, B. dupainii, B. fechtneri, B. luteocupreus, B. queletii, B. rhodopurpureus, B. rhodoxanthus, Cortinarius cristallinus, Cortinarius galeobdolon, Gyroporus castaneus, Hygrophorus carpini, Lactarius circellatus, Leccinum carpini, Morchella vulgaris, Xerocomus armeniacus
[mammiferes] Meles meles
[amphibiens] Bufo bufo, Rana dalmatina, Salamandra salamandra

Valeur biologique

Cet ensemble est bien répandu en Poitou-Charentes, sur la plupart des terrains sédimentaires des bassins aquitain et parisien. Les variations sont nombreuses du nord au sud, souvent liées aux conditions de sol qui déterminent la présence ou l’absence d’espèces herbacées déterminantes, le cortège arboré et la physionomie restant le plus souvent similaire. Le cortège floristique patrimonial y est important, même s’il est peu fréquent de rencontrer de nombreuses espèces rares sur un même site : Aconitum vulparia, Cardamine bulbifera, Doronicum pardalianches, Lilium martagon, Nectaroscordum siculum en Vienne… Toutes ces espèces bénéficient d’un statut de protection au moins régional, et de nombreuses autres plantes peuplant cet habitat sont inscrites sur la liste rouge régionale.

Menaces

En raison de l’exploitation régulière et souvent assez intense des parcelles, les habitats sont instables et assez appauvris. Néanmoins, le large spectre des conditions d’installation, tant édaphiques que climatiques, permet à ces forêts mésophiles une large distribution. Les ensembles types sont cependant peu nombreux et de faible surface.

C’est le débourrage tardif des essences dominantes de la chênaie-charmaie Carpinus betulus et Quercus robur qui explique le développement d’une strate herbacée richement colorée dès le tout début du printemps (mars-avril).

Statut régional

Habitat répandu surtout dans la moitié orientale et le nord de la région, se raréfiant vers le sud et le sud-ouest. De nombreuses chênaies-charmaies ont été intégrées dans le réseau des ZNIEFF, notamment toutes celles abritant des stations de Lis martagon, de Scille à 2 feuilles, d’Ail de Sicile ou de Dentaire bulbifère.

16 : forêts de La Braconne et de Bois-Blanc, forêt de Ruffec

17 : vallées du Bourrut et du Coran

79 : bois des Grais, bois de Glassac, forêt de Secondigny

86 : coteau de la Touche, bois de la Héronnière, bois de Maviaux, vallée de Teil