Végétation annuelle des laisses de mer

Rédacteur : Guy Chezeau

Physionomie – écologie

Il s’agit d’habitats linéaires, ponctuels et discontinus, situés en haut de plage sur substrat de sables ou de galets et sur la partie sommitale de l’estran sur substrat vaseux. D’une manière générale ils se situent immédiatement au-dessus des HMVE (hautes mers de vive eau). Ils apparaissent de plus en plus fréquemment sous l’aspect de structures fragmentaires et en régression, ce qu’il faut mettre en relation avec un recul quasi général du trait de côte en même temps qu’à des interventions humaines.
Le dépôt des laisses de mer riches en matière organiques azotées détermine l’existence d’une végétation halonitrophile. L’existence de ces habitats est donc liée à des conditions stationnelles que l’on rencontre sur la plus grande partie du linéaire côtier ; la nature du substrat permet par contre de caractériser deux grands types d’habitats élémentaires :

  • les laisses de mer sur substrat sableux à vaseux : la végétation est constituée d’annuelles et de bisannuelles halonitrophiles. Il s’agit de thérophytes au comportement pionnier assurant un recouvrement limité du substrat (inférieur à 20%) dont le développement optimal est atteint en été pour disparaître en hiver. Plusieurs espèces sont crassulescentes (Roquette de mer, soudes…).
    On observe une variabilité d’ordre écologique ; sur sable, les espèces dominantes sont le Cakilier maritime Cakile maritima, l’Arroche des sables Atriplex laciniata, la Bette maritime Beta maritima alors que sur les milieux vaseux dominent avec la Bette maritime, l’Arroche hastée Atriplex hastata et les soudes Salsola kali, Salsola soda, Suaeda maritima.
    Les algues en décomposition maintiennent une humidité permanente abritant une masse de crustacés amphipodes du genre Talitrus. Ces puces de mer en se nourrissant des algues en décomposition assurent le recyclage de la matière organique. Les talitres, sauteurs, très actifs la nuit, fuient la marée montante et accompagnent la laisse de mer. D’autres Amphipodes, un cloporte Tylos europaeus, la Forficule des sables Labidura riparia, accompagnent les talitres. À noter également la présence de larves de Diptères (Cercyon littoralis, Fucellia maritima, Fucellia tergina dont les adultes (mouches) sont souvent le prétexte de demandes d’intervention de la part des vacanciers pour l’enlèvement des laisses.
  • les laisses de mer sur cordon de galets : la végétation basse herbacée à faible recouvrement est constituée de thérophytes au comportement pionnier ; parmi les espèces dominantes, on note l’Arroche hastée et la Bette maritime. Ici encore la faune associée est constituée essentiellement de Crustacés détritivores. Ces organismes sont largement exploités à marée haute par de nombreuses espèces d’oiseaux (chevaliers, bécasseaux…).

Phytosociologie et correspondances typologiques

PVF 2004
Cakiletea maritimae Tüxen & Preising ex Br.-Bl. & Tüxen 1952
Cakiletalia integrifolia Tüxen ex Oberdorfer 1950 corr. Rivas-Martinez,Costa & Loidi 1992 : communautés européo-atlantiques
Atriplicion littoralis Nordhagen 1940
BETO MARITIMAE-ATRIPLICETUM LITTORALIS
ATRIPLICI HASTATAE-BETETUM MARITIMAE
Atriplici laciniatae-Salsolion kali Nordhagen 1940
BETO MARITIMAE-ATRIPLICETUM LACINIATAE

Euphorbietalia peplis Tûxen 1950 : communautés méditerranéennes et thermo-atlantiques
Euphorbion peplis Tüxen 1950
MATRICARIO MARITIMAE-EUPHORBIETUM PEPLIS

COR 1991
15.36 Laisses de mer des prés salés atlantiques
16.12 Groupements annuels des plages de sable
17.2 Plages de galets avec végétation sur laisses de mer

Directive Habitats 1992
1210 Végétation annuelle des laisses de mer

  • CH Laisses de mer sur substrat sableux à vaseux des côtes Manche-Atlantique et mer du Nord
  • CH Laisses de mer sur cordons de galets et de graviers des côtes Manche-Atlantique et mer du Nord

Confusions possibles

Ces habitats pionniers temporaires ne peuvent prêter à confusion avec aucun autre habitat sauf contacts supérieurs avec la dune embryonnaire. Dans ces cas, le Chiendent à feuilles de jonc devient l’espèce dominante, le micro-relief est plus marqué et l’habitat persiste même durant la mauvaise saison (habitat structuré par des hémicryptophytes vivaces et non des thérophytes).

Dynamique

Il s’agit d’un habitat éphémère présent de la fin du printemps jusqu’au début de l’hiver. La mobilité du substrat le prive de toute dynamique interne propre. Dans les secteurs de côte sableuse en accrétion, il précède et prépare l’apparition du cordon dunaire embryonnaire à Chiendent à feuilles de jonc. En hauts de prés salés, il peut être colonisé par la prairie glauque à Chiendent piquant.

Espèces indicatrices

[plante2] Atriplex hastata, Atriplex laciniata, Atriplex littoralis, Cakile maritima, Beta maritima, *Euphorbia peplis, Glaucium flavum, Honckenya peploides, Salsola soda, Salsola kali, Suaeda maritima
[plante1] Elymus farctus, Elytrigia atherica, Matricaria inodora ssp.maritima
[oiseaux] Anthus petrosus, Arenaria interpres, Calidris alba, Charadrius hiaticula
[coleopteres] Callicnemis latreilli, Eugrapha trisygnata, Eurynebria complanata, Labidura riparia, Phaleria cadaverina, Psylliodes marcida
[lepidopteres] Agrotis ripae
[crustaces] Talitrus saltator, Tylos europaeus, Tylos latreilli

Valeur biologique

Ces habitats, zones de transition entre milieu aquatique et milieu terrestre, zone de recyclage du matériel organique en épaves, zone de gagnage pour de nombreux oiseaux du littoral, participent à l’équilibre dynamique des littoraux sédimentaires.
Une espèce végétale, considérée comme disparue de la quasi-totalité du littoral atlantique, alors qu’elle était donnée comme commune encore au début du XXéme siècle, vient d’être redécouverte sur le littoral de Charente-Maritime (Euphorbia peplis). Cette euphorbe est protégée au niveau national. Le perce-oreille (Labidura riparia) est en très forte régression sur l’ensemble du littoral. Les autres espèces végétales et animales ne présentent pas de caractère de rareté.
La forte productivité du milieu en fait une zone de nourrissage pour de nombreux oiseaux : Gravelots (Charadrius hiaticula, C. alexandrinus), Bécasseau variable (Calidris alpina), Pipit maritime (Anthus petrosus), Tournepierre à collier (Arenaria interpres)
Les transferts d’énergie de ces types d’habitats « d’interface » mériteraient des évaluations scientifiques approfondies.

Menaces

Ces hauts de plage sont fortement affectés par les rejets anthropiques et les dépôts de toutes natures : déchets des navires et des plaisanciers, hydrocarbures, matériel ostréicole ou mytilicole abandonné, engins de pêche…. l’ensemble étant désigné sous le terme de « macrodéchets ». Cette zone fait l’objet de nettoyages mécaniques totalement destructeurs pour les habitats, la cribleuse étant incapable de faire la part entre laisse de mer et macrodéchets. Le ramassage manuel est parfois réalisé par des brigades départementales qu’il serait nécessaire de former.
Ces habitats sont particulièrement sensibles aux marées noires.

Statut régional

Habitat strictement limité au littoral de la Charente Maritime où il est assez répandu mais partout ponctuel et en régression. Sa valeur patrimoniale est élevée.

Sites remarquables

17 : côtes abritées (est) des îles de Ré et d’Oléron ; anse des Boucholeurs, anse de Fouras