Prés à spartines

Rédacteur : Jean Terrisse

Physionomie-écologie

L’habitat regroupe des végétations graminéennes pionnières vivaces occupant la partie inférieure des prés salés correspondant à la haute slikke, plus rarement les dépressions du schorre. Le substrat est constitué de sédiments fins – vases ou sables -, plus ou moins consolidés et saturés régulièrement d’eau salée (en moyenne 2 fois par cycle de 24H, lors des hautes marées). La végétation forme une prairie dense, monostrate, haute de 30-130cm, dominée par 1 ou 2 Poacées du genre Spartina : la Spartine maritime Spartina maritima et la Spartine d’Angleterre Spartina anglica, cette dernière espèce étant un hybride fertile naturel issu du croisement entre la Spartine maritime et une spartine américaine Spartina alterniflora dans le sud de l’Angleterre au cours du XIXème siècle. Les spartines sont des géophytes développant un réseau dense de stolons qui ancrent les plantes dans les vases molles de la slikke tout en assurant leur propagation centrifuge à partir d’îlots pionniers de forme souvent concentrique. La floraison est tardive, en fin d’été et début d’automne, la pollinisation étant assurée par le vent (anémogamie) et la dispersion des semences par le flot.

Le cortège végétal de la spartinaie est d’une grande pauvreté en raison des contraintes écologiques. On y rencontre surtout des algues des genres Fucus, Bostrychia, Pelvetia, Ulva, Enteromorpha et des phanérogames halophiles transgressives des végétations situées en contact : Zostère naine Zostera noltii ou salicornes annuelles du groupe Salicornia fragilis/dolichostachya pour les contacts inférieurs, Salicorne rampante Sarcocornia perennis ou Aster maritime Aster tripolium pour les végétations du bas schorre en contact supérieur.

La variabilité régionale de l’habitat tient à la dominance de l’une ou l’autre des 2 spartines qui ont amené à la description de 2 associations végétales distinctes :

  • le SPARTINETUM MARITIMAE  : c’est la spartinaie européenne d’origine, aujourd’hui en nette régression du fait de la concurrence de la suivante ;
  • le SPARTINETUM ANGLICAE  : spartinaie néophyte, apparue au XIXème siècle et en pleine expansion. Plus haute et plus dense que la précédente, elle possède un pouvoir dynamique et des aptitudes colonisatrices très élevés, tendant à supplanter la spartinaie maritime dans les localités où les 2 phytocénoses coexistent.

Phytosociologie et correspondances typologiques

PVF 2004

SPARTINETEA GLABRAE Tüxen in Beeftink 1962

Végétation pionnière vivace des vases molles salées et saumâtres, longuement inondables

Spartinion anglicae Conard 1935 : communautés européennes

COR 1991

15.2 Prairies à spartine

15.21 Prairies à Spartine à feuilles plates

Directive Habitats 1992 et Cahiers d’habitats

1320 Prés à Spartina

Confusions possibles

La spartinaie maritime indigène peut facilement être confondue avec la spartinaie anglaise dominée par une néophyte invasive. La distinction des 2 espèces structurantes de spartines est alors indispensable : chez Spartina maritima, l’angle formé par les feuilles avec la tige est très aigu, les limbes sont enroulés presque sur toute leur longueur et ils sont rapidement caducs (il suffit de tirer légèrement sur une feuille pour la détacher) ; chez Spartina anglica, l’angle feuilles/tige est beaucoup plus ouvert, le limbe est plan et très persistant (il faut tirer fort pour le détacher de la tige).

Dynamique

Dans les sites à bilan sédimentaire positif, la spartinaie maritime tend à coloniser l’espace au détriment d’autres habitats (cette évolution est observable en plusieurs point du Fier d’Ars sur l’île de Ré, notamment au débouché du Chenal des Villages où les surfaces occupées par Spartina maritima ont été multipliées par 3 au cours des dernière décennies). Dans divers sites côtiers autrefois endigués mais aujourd’hui abandonnés, la spartinaie maritime tend à conquérir du terrain (Fiers d’Ars, estuaire de la Seudre) témoignant de ses aptitudes pionnières dans la végétalisation des prés salés.

Espèces indicatrices

[plante2] Spartina anglica, Spartina maritima
[plante1] Aster tripolium, Limonium vulgare, Salicornia fragilis, Sarcocornia perennis, Suaeda maritima
[oiseaux] Anser anser, Anthus pratensis, Carduelis cannabina, Emberiza schoeniclus,Motacilla flava
[mollusques] Hydrobia ventrosa, Leucophysia (Auriculinella) bidentata, Myosotella myosotis, Peringia ulvae

Valeur biologique

La spartinaie maritime figure au Livre Rouge des Phytocénoses terrestres du Littoral français (GEHU, 1991) : « seule spartinaie européenne, cette phytocénose est en très forte régression, voire disparition, dans bien des sites sous la pression de la phytocénose néophyte Spartinetum townsendii (=spartinaie anglaise) qui la concurrence rapidement ». C’est à ce titre également qu’elle figure à l’Annexe I de la Directive Habitats. Sa richesse floristique est toutefois très faible et elle n’abrite aucune espèce végétale rare ou menacée. Sur le plan de la faune, elle joue le rôle de nourricerie et de refuge pour les juvéniles de diverses espèces de poissons.

Menaces

En dehors des pressions classiques pesant sur les prés salés – remblaiements, endiguements pour la réalisation d’ensembles conchylicoles, modification des bilans sédimentaires par la réalisation d’ouvrages littoraux – la principale menace concernant les spartinaies maritimes du littoral charentais est leur invasion/ remplacement par la spartinaie anglaise : jusqu’en 1970, Spartina anglica était cantonnée de l’estuaire de la Gironde à la Seudre (limite extrême à la pointe méridionale de l’île d’Oléron) pour se retrouver ensuite plus au nord en Baie de l’Aiguillon, le hiatus entre les deux étant occupé par la seule Spartina maritima. Depuis cette date, la spartine anglaise n’a pas cessé sa progression vers le nord : la côte est d’Oléron est maintenant largement conquise et quelques pieds ont même été observés en baie de Moëze, laissant seule intacte la zone comprise entre l’estuaire de la Charente et l’île de Ré.

Cette espèce, d’un pouvoir dynamique très élevé, possède une aptitude exceptionnelle à la fixation des particules amenées par le courant et à l’accélération de la sédimentation, favorisant par là même l’accroissement de la surface des schorres. La colonisation peut être très rapide (de quelques touffes à un millier d’hectares en baie des Veys en Normandie entre 1906 et 1920 !) et se fait en général au détriment des autres habitats situés en contact. La forte biomasse produite entraîne en retour une eutrophisation qui modifie les conditions de milieu des habitats contigus.

Du fait de cette vitesse redoutable de colonisation, la spartinaie anglaise ne s’insère pas réellement dans la dynamique des écosystèmes littoraux mais tend plutôt à prendre la place des habitats occupant son niveau bionomique.

Statut régional

L’habitat est assez répandu sur la façade littorale de Charente-Maritime, notamment dans les principaux sites de prés salés :

17 : prés salés du Fier d’Ars (île de Ré), prés salés de la côte est de l’île d’Oléron, de la baie de Moëze, des estuaires de la Seudre et de la Gironde, de la Baie de Bonne-Anse