A la découverte de quelques sites majeurs pour les libellules en Poitou-Charentes

Comme décrit dans les chapitres précédents, le Poitou-Charentes accueille 68 espèces de libellules sur les 87 que compte la France métropolitaine. Ce chapitre évoque quelques sites remarquables de notre région, par les milieux qui les caractérisent et par la variété des cortèges qu’ils hébergent. Ils constituent tous une bonne destination de sortie nature ; n’hésitez pas à découvrir et admirer leur richesse odonatologique.

Les Landes du Pinail (86) et les Leucorrhines

Note naturaliste

En ce début de mois de juin, Pascal (Conservateur de la Réserve du Pinail) est au rendez-vous pour accueillir noire groupe sur la réserve. Guidé par ses soins, nous nous dispersons au sein de ce labyrinthe de lande dans lequel s’intercalent des centaines de mares. Il est tout juste 10 heures et les vols de nos insectes sont encore discrets, quand apparaît celle que tout le monde attendait : la Leuccorrhine à large queue. Malheureusement, cet individu n’aura fait que passer. Le groupe reste cependant optimiste et continue sa recherche sur les mares voisines, quelques minutes plus tard, une voix s’élève, « pecto sur nénuphar », tout le monde accourt et effectivement au milieu de la mare, posé sur une feuille, un mâle. Il restera, là pendant de nombreuses minutes entrecoupées de vol pour chasser les autres libellules de son territoire mais se reposant sur son perchoir !

Miguel GAILLEDRAT

Description générale

Créée en 1980, la Réserve Naturelle du Pinail se trouve au nord de la forêt domaniale de Moulière, sur la commune de Vouneuil-sur-Vienne. C’est une étendue de 135 hectares de landes à Bruyère à balais, criblée par plus de cinq mille mares issues d’anciennes fosses d’extraction de pierres meulières. Depuis 1989, GEREPI (Association de GEstion de la REserve Naturelle du PInail) gère cet espace protégé unique et original (RN Pinail, 2009).

Richesse odonatologique

Cette multitude de mares, pauvres en éléments nutritifs, abrite 48 espèces de libellules dont une trentaine se reproduit annuellement. A partir du mois de mai, on peut observer deux espèces de leucorrhines : la très rare Leucorrhine à large queue Leucorrhinia caudalis, dont le Pinail accueille la plus grosse population française, et la Leucorrhine à gros thorax Leucorrhinia pectoralis, plus abondante et plus répandue. Ces deux libellules bénéficient d’une protection nationale et européenne. Outre ces raretés, le Pinail permet d’observer dans des densités remarquables de nombreuses espèces plus ou moins communes. C’est à croire que ce lieu est dévolu aux libellules tellement celles-ci sont abondantes !

La Vienne (86) et les gomphes

Note naturaliste

Arrivé sur les bords de la Vienne à Availles-Limouzine vers 9h30, j’entame le tour de l’île de la Belletière dans ma petite embarcation. Rapidement, je trouve mes premières exuvies d’Onychogomphus forcipatus, d’Oxygastra curtisii ainsi que de nombreuses autres exuvies de gomphes. Les berges sont très boisées et l’accès aux rives est difficile. J’aperçois à quelques mètres devant moi une exuvie à l’extrémité d’une branche d’un saule tombé dans la rivière. Elle me paraît de taille importante, je m approche et là, quelle surprise une exuvie de Gomphus flavipes, finalement, je récolterai deux autres exuvies de cette espèce. C’est seulement la deuxième fois que cette espèce est observée dans le département de la Vienne, ce qui est le plus surprenant, c’est le lieu puisqu’il est localisé 90 km en amont de la première observation et aux portes du département de la Charente !

Miguel GAILLEDRAT

Description générale

La Vienne coule sur 370 km depuis sa source, sur le plateau des Millevaches (Corrèze) jusqu’à la Loire dans laquelle elle se jette à Candes-Saint-Martin (37). Elle parcourt les terrains granitiques du Limousin (départements : 19, 87, 16) avant de traverser les terres de Brandes dans sa partie viennoise. C’est une rivière de plaine au cours majoritairement lent et pourvu de nombreuses îles.

Richesse odonatologique

La rivière Vienne a la particularité d’accueillir 7 des 8 espèces de gomphidés connues en France. Si les imagos ne sont 219 pas toujours faciles à capturer, la recherche d’exuvies permet de confirmer leur présence. Les espèces les plus communes sont Gomphus vulgatissimus, pulchellus, simillimus et Onycogomphus forcipatus. Gomphus graslinii, moins abondant est toutefois observé régulièrement. Préférant les cours d’eau plus oxygénés, Onygomphus uncatus est plus souvent contacté sur les affluents. Quant à Gomphus flavipes, seuls deux secteurs ont fourni quelques exuvies en dépit de nombreuses recherches. Il ne reste qu’à découvrir désormais Ophiogomphus cecilia, espèce bien implantée sur la Loire proche et qui pourrait trouver sur la Vienne, des habitats particulièrement favorables.

Les tourbières de Gurat (16)

Note naturaliste

La journée s’annonce belle : il est à peine 9 h 30 et la température est douce, le ciel est sans nuage et le vent est tombé. Je commence la prospection au niveau d’une ancienne fosse d’extraction de tourbe à la végétation foisonnante : renoncules aquatiques, potamots et utriculaires se partagent les eaux, tandis que les carex et roseaux forment un linéaire discontinu le long des berges. De nombreuses libellules sont déjà en activité : Cordulia aenea, qui longe inlassablement les berges, Libellula guadrimaculata opérant des va-et-viens depuis son perchoir, une branche morte émergeant des eaux. Libellula depressa séchant au soleil sur une tige de carex à côté de son exuvie… Une Cordulie, que je pense d’abord être C. aenea, attire mon attention : un coup de filet bien ajusté, et après vérification, il s’agit d’un mâle de Somatochlora flavomaculata.. La journée commence plutôt bien !

David SUAREZ

Description générale

Les tourbières de la Lizonne sont situées au sud-est du département de la Charente. Il s’agit de vestiges d’une vaste zone de tourbières alcalines exploitées et utilisées pour fournir du combustible. Après l’abandon de l’extraction de tourbe, dans les années 50, les nombreux bassins qui en résultaient ont été abandonnés, transformés en étangs de pêche ou tout simplement comblés pour permettre la mise en culture. Aujourd’hui, le site est constitué d’une mosaïque de prairies, de zones cultivées en maïs et de boisements humides, au sein desquels subsistent encore quelques anciennes fosses d’extraction. L’ensemble de la zone est parcouru par de nombreux ruisseaux et fossés de drainage, ainsi que par la Lizonne, affluent de la Dronne qui marque ici la frontière entre les départements de la Charente et de la Dordogne.

Richesse odonatologique

La grande diversité des milieux aquatiques qui parsèment le site (étangs et mares de toutes tailles, sources, ruisseaux, fossés et rivière), a permis l’observation de 44 espèces d’odonates, toutes se reproduisant sur place. Au sein de cet important cortège, on notera la présence de Calopteryx haemorroidalis, Erythromma najas, Brachytron pratense, Oxygastra curtisii, Coenagrion mercuriale, Somatochlora flavomaculata, Coenagrion scitulum... avec des populations souvent importantes.

Le fleuve Charente à Jarnac (16)

Note naturaliste

Nous sommes quatre ce matin à mettre à l’eau nos canoës aux pieds de la prairie de Champ Buzin à Jarnac. La journée entière est prévue pour récolter de façon systématique les exuvies d’anisoptères sur une longue portion du cours de la Charente. Il est 11h30 et l’activité des libellules bat son plein. Au milieu des Calopteryx splendens qui papillonnent, nous quittons la rive et glissons doucement vers l’aval. De place en place, le long des berges, nous récoltons plusieurs centaines d’exuvies : Oxygastra curtisii, Boyeria irene, Gomphus ssp, la détermination se fera plus tard sous la loupe binoculaire. Nous sommes accompagnés d’une libellule en tenue « camouflage », Boyeria irene qui inspecte patiemment les racines des aulnes à la recherche d’un lieu de ponte. Nous longeons d’immenses herbiers : il y a foule sur les myriophylles qui affleurent, des tandems de Platycnemis latipes et d’Erythromma lindenii sont en train de pondre en groupes denses. Les mâles dressés semblent se jauger fièrement. En tout cas, ils ne paraissent pas intimider les quelques Erythromma viridulum, petites « brindilles » bleues aux yeux rouges, qui sont posés ça et là. Quelques gomphes isolés survolent rapidement et à faible hauteur la surface calme du fleuve. L’un d’entre eux, attrapé au filet, se révèle être Gomphus graslinii, espèce protégée. Plus en hauteur, un gros anisoptère patrouille assez nonchalamment au-dessus des nénuphars. Pouvant facilement la suivre aux jumelles, nous ne tardons pas à l’identifier : aspect général brun, selle bleue, yeux verts-bleus indiquent Anax parthenope, assez peu observé en Charente. Soudain, un autre anisoptère, plus grand et plus bleu prend en chasse le premier, l’obligeant à quitter la place. Occupant le territoire, il survole à son tour, inlassablement, l’herbier de nénuphar. Cet anax-là mérite
bien son nom d’ »imperator« . En quelques coups discrets de pagaie nous gagnons l’autre rive, la collecte d’exuvies continue. Peut-être aurons-nous la chance de découvrir une de Macromia splendens ; Delamain avait trouvé cette magnifique espèce sur le même site en 1868. Elle n’y a pas été revue depuis.

Eric PRUD’HOMME

Description générale

La Charente est le grand fleuve de la région. Née en Haute-Vienne, elle traverse les deux départements charentais d’est en ouest et se jette dans l’océan à Port-des-Barques. En aval d’Angoulême elle déroule lentement son cours dans les plaines du Cognaçais en décrivant de nombreux méandres. Elle s’élargit peu à peu et sa profondeur augmente. A Jarnac, c’est une rivière large et profonde, riche en végétation aquatique. Le courant ne s’accélère que ponctuellement à l’aval immédiat des digues et des chaussées qui s’échelonnent régulièrement le long de son cours.

Richesse odonatologique

Le fleuve Charente est un cours d’eau accueillant dans son cours moyen une odonatofaune particulièrement riche. Uniquement sur la portion qui traverse la commune de Jarnac, on a pu observer 19 espèces d’anisoptères et 13 espèces de zygoptères. Les secteurs les plus calmes, intérieur des méandres ou bras morts accueillent des libellules d’eaux calmes alors que certaines digues et petits bras (les « noues ») sont occupés par des espèces préférant le courant. Parmi toutes ces espèces, O. curtisii et G. graslinii sont parmi les plus notables. Ces odonates endémiques du sud-ouest de l’Europe comptent ici des populations remarquablement importantes. D’autres libellules comme A. parthenope et P. latipes, localisées sur le territoire régional, trouvent aussi, sur cette portion du fleuve des conditions optimales pour leur développement.

Les Landes de L’Hopiteau (79) et ses 300 mares

Note naturaliste

Dernière année de suivi, l’objectif est d’arriver à comprendre l’écologie de la Leucorrhine à gros thorax : pourquoi préfère t-elle cette mare ? Quel type de végétation aquatique recherche t-elle ? Quelle est la dimension de son territoire ? Y a t-il des interactions avec les autres espèces ? Heureusement, les 300 mares ne sont pas à inventorier et seules quelques-unes, qualifiées d’échantillon, réparties sur chacun des milieux gérés, sont à « visiter ». Dérangés par mes réflexions, les moutons solognots, plutôt sauvages, se réfugient à l’autre extrémité de leur enclos. Je profite de cette tranquillité pour poursuivre mes observations car l’activité est intense quand on se penche sur une de ces mares : Cordulia aenea et Libellula quadrimaculata défendent ardemment leur territoire, les agrions (Ceriagrion tenellum et Coenagrion puella) accaparés à se reproduire sur les herbiers de potamots doivent garder un œil à facettes sur ces « grandes sœurs » d’autant que des grenouilles vertes et des dytiques guettent sous l’eau. Avoir la possibilité de voir 8 espèces ce jour là, dont la rare Leucorrhine à gros thorax, sur un seul site, dans un décor aussi exceptionnel, méritait à lui seul le déplacement !

Nicolas COTREL

Description générale

Situés sur la commune de Boussais, les Communaux de l’Hopiteau constituent un site d’intervention du Conservatoire d’Espaces Naturels de Poitou-Charentes depuis près de 15 ans. L’abandon de la pratique pastorale et un projet de boisement ont failli avoir raison de ce site de 18 ha. Une briqueterie, jusqu’en 2007, exploitait encore l’argile du site. On y recense actuellement pas moins de 300 mares liées à cette activité d’extraction qui a connu son apogée à la fin du XIXe siècle. Cette lande est exceptionnelle pour le département des Deux-Sèvres de par son intérêt écologique, sa superficie et son état de conservation. La brande (Bruyère à balais) y est prépondérante, on trouve également des mares permanentes, des landes sèches à Bruyère cendrée et des landes humides à Bruyère à quatre angles. Cette mosaïque est maintenue grâce à la mise en place d’une gestion conservatoire basée sur des modes d’intervention variés tels que le pâturage extensif par des moutons rustiques ou la coupe de brandes et de pins colonisant la lande, l’agrandissement de quelques mares, ainsi qu’une non-intervention sur la moitié de la lande. Un suivi biologique réalisé entre 2004 et 2007 a permis de mesurer l’impact positif de cette gestion et d’orienter les futurs choix d’intervention. Un sentier ouvert à tous, bientôt agrémenté d’aménagements pédagogiques, permet de découvrir ces richesses.

Richesse odonatologique

La variété et la densité des mares, alliées à la présence d’un étang communal à la périphérie, permettent de rencontrer pas moins de 40 espèces sur le site. Sympetrum flaveolum et Leucorrhinia pectoralis y trouvent leur unique station départementale. Cette dernière espèce, par son statut de protection et sa très forte vulnérabilité, illustre à elle seule tout l’enjeu de conservation de cette lande humide. La gestion mise en place a permis une expansion de celle-ci sur près des deux tiers des mares. Lestes dryas, L. sponsa, L. virens, Cordulia aenaea, Somatochlora metallica et Erythromma najas figurent également parmi les espèces remarquables du site.

Le Marais Poitevin des Deux-Sèvres (79)

Note naturaliste

Fin de journée ensoleillée, après la chaleur au travail, c’est presque la fraîcheur. La voiture stationnée près du champ d’angélique, j’emprunte l’ancien chemin envahi par la mégaphorbiaie. De nombreux Sympetrum sanguineum et S. striolatum sont posés sur les végétaux, trois Aeshna affinis et un mâle de A. cyanea patrouillent en vol. La dernière partie du trajet suit une ente de chevreuil au milieu des broussailles. Cette année le niveau d’eau de l’ancien étang du Marichet est correct malgré la
sécheresse, les restrictions d’usage ont limité la casse. J’avance avec précaution entre les joncs et les carex, l’eau est à hauteur de mes bottes, parfois même un peu plus. A 300 mètreS de la quatre-voies, c’est le monde du silence et le paradis des zygoptères. La plus grande
fosse de tourbage du marais a laissé la place à un marécage d’un peu plus d’un hectare entouré de bois. De nombreuses Ischnura elegans et I. pumilio sont présentes sur le site parmi lesquelles des émergences et des immatures orangés. Une nouvelle génération de Sympecma fusca vient d’apparaître, fragile et encore translucide. Les quatre Leste (L. virens, L. sponsa, L. barbarus et Chalcolestes viridis) sont cette année plutôt nombreux, mais un seul Coenagrion (C. scitulum) a été repéré. Un Anax imperator survole une mare plus profonde et au moins trois Somatochlora flavomaculata occupent le paysage. Le soleil tombe, les moustiques se lèvent, il est temps de regagner le monde des hommes.

Philippe ROUILLER

Description générale

Les 7 000 hectares du marais Poitevin des Deux Sèvres se situent entre Niort et la limite de la Vendée et de la Charente Maritime. Ils sont très connus, dans leur partie Nord, sous l’appellation de « Venise Verte ». Du fait de l’absence de pente, ils forment la zone d’expansion naturelle des crues de la Sèvre Niortaise. Les visiteurs peuvent y découvrir au fil de l’eau, à une altitude de 3 mètres au-dessus du niveau de la mer, des paysages de prairies humides entourées de frênes têtards et de peupliers. Au sud et à l’ouest, les marais tourbeux du Mignon et de la Courance témoignent de l’immense « marais à rouches », impénétrable jusqu’au début du XXe siècle. Les boisements alluviaux, mégaphorbiaies, cariçaies, cladiaies et roselières en constituent les derniers vestiges. Les tourbières neutro-alcalines, autrefois exploitées à proximité de la voie ferrée, complètent cette mosaïque d’habitats à forte valeur patrimoniale.

Richesse odonatologique

Quarante huit espèces d’odonates sont actuellement recensées sur le site. Pour en apprécier la diversité, il faut prendre le temps de découvrir les différents secteurs du marais : Oxygastra curtisii est surtout présente sur la Sèvre niortaise ; les trois Platycnemis dont P. latipes fréquentent les canaux navigables de la Venise verte ; Somatochlora flavomaculata occupe les anciennes tourbières d’extraction, qu’elle partage avec Brachytron pratense, Sympetrum fonscolombii, Somatochlora metallica et divers Lestes ; les espèces d’eau courante sont, quant à elles, localisées aux chutes d’eau, sources et ruisseaux de ce secteur.

Les Ardillasses (17)

Note naturaliste

En cette chaude après-midi, je suis assis sur la berge d’une des nombreuses mares des Ardillasses, dans le sud de la Charente-Maritime, presque en territoire aquitain. A quelques centimètres à ma droite, une grosse grenouille observe le même groupe d’Agrions mignons que moi. Ils sont plusieurs dizaines, en tandems, à pondre dans les tiges de potamots. Il est passionnant d’observer les comportements des mâles qui, accrochés à leur femelle, essaient de se repousser les uns les autres en écartant leurs pattes, l’air agressif. Après plusieurs dizaines de minutes, la grenouille et moi sommes toujours aussi assidus. Je subodore que les pensées de l’amphibien sont moins éthologiques que les miennes. Pas sûr après tout. Je suis peut-être tombé sur une grenouille contemplative. J’imagine tout de même qu’elle envisage plutôt l’Agrion mignon sous une approche gastronomique. Soudain un bruissement d’ailes froissées. Un mâle de Leucorrhine à front blanc vient de saisir une femelle. Le couple forme immédiatement un cœur qui oscille lourdement vers la berge. En un réflexe j’agrippe l’appareil photo mais la grenouille se projette, gobe les deux insectes et plonge dans l’eau transparente son butin dans la gueule.

Philippe JOURDE

Description générale

La région des Brandes et des Ardillasses à Corignac forment un ensemble extraordinaire où se côtoient sables acides, affleurements calcaires, suintements permanents et plusieurs dizaines de mares de conformations variées. Issues de l’extraction de ballast pour la voie ferrée La Rochelle-Bordeaux, beaucoup de ces mares oligotrophes ont été colmatées, souvent par des ordures. Le principal ensemble, réparti de part et d’autre de la voie ferrée, a été relativement bien préservé. Les mares y sont distantes de quelques mètres à peine mais les conditions environnementales qui y règnent sont très différentes d’un point d’eau à l’autre et permettent le maintien d’une odonatafaune très diversifiée.

Richesse odonatologique

Avec 46 espèces recensées, le complexe de mares de Corlgnac est de loin le site odonatologique le plus riche et un des plus originaux de Charente-Maritime. L’espèce phare est bien entendu la Leucorrhine à front blanc Leucorrhinia albifrons, dont il s’agit de l’unique localité régionale. Elle est accompagnée d’importantes populations d’Agrion mignon Coenagrion scitulum, de Libellule à quatre taches Libellula quadrimaculata, de Cordulie bronzée Cordulia aenea et de sympétrums. Les lestes sont abondants. Lestes barbarus, dryas, virens peuvent parfois s’observer par milliers. A l’inverse, l’Aeschne isocèle Aeshna isoceles, les Cordulies métalliques et à taches jaunes Cordulia metallica et flavomaculata ne s’observent que dans quelques mares.

Le Marais de Saint-Pierre d’Oléron (17)

Note naturaliste

Journée d’inventaire. voilà déjà cinq heures que je sillonne l’immense marais de Saint-Pierre d’Oléron, carnet dans une main et jumelles dans l’autre. Les échasses, les vanneaux et les gambettes vocifèrent à la poursuite d’un Busard des roseaux qui passe un peu trop près des colonies. Dans un buisson proche d’une dépression inondée, une gorgebleue s’égosille. Tout à l’heure, j’ai vu une femelle capturer un Lestes dryas pour l’emmener au nid. Je ne suis pas le seul à chercher les libellules ! Deux nouvelles dépressions complètent l’inventaire ; la seconde est pleine d’eau. Je m’y enfonce jusqu’à la taille. Une belle scirpaie s’y développe. C’est la quatorzième de la journée. Un coup de jumelles impatient. Parmi les végétaux, des milliers de demoiselles aux couleurs azurées. Une nouvelle localité de Leste à grands ptérostigmas. Enfin ! C’est une des plus importantes stations que j’ai jamais vues. Pourtant cette espèce est bien rare au plan national et européen. Il va falloir s’activer pour protéger l’endroit…

Philippe JOURDE

Description générale

Dans les anciennes salines oléronnaises se succèdent les milliers de bassins. Leur profondeur, leur taux de salinité, leur composition floristique, varient fortement. Au plan odonatologique, ce sont ceux qui sont déconnectés du réseau salé qui sont les plus intéressants. L’eau de pluie s’y accumule et permet le développement du Scirpe maritime.

Richesse odonatologique

Le cortège des anciennes salines et des lagunes n’est composé que de peu d’espèces, toutes adaptées aux milieux temporaires. Si la diversité spécifique est modérée, les odonates présentent souvent des densités exceptionnelles. C’est notamment le cas dans les scirpaies maritimes. S’y succèdent les lestes Sympecma fusca, Lestes dryas, L. macrostigma, L. barbarus et L. virens. Les sympétrums s’y développent par centaines de milliers : S. meridionale, striolatum mais aussi fonscolombii dans les secteurs les plus doux. Les aeschnes sont aussi abondantes, notamment Aeshna affinis dont on peut parfois trouver jusqu’à 120 exuvies au m2. Dès la fin de l’hiver et jusqu’à l’automne, il faut garder l’œil ouvert pour repérer les quelques Hemianax ephippiger qui fréquentent ce type d’habitat. A ce jour la reproduction locale n’est pas prouvée mais ce n’est probablement qu’une 223 affaire de temps…

Eaux stagnantes

Les cortèges odonatologiques varient selon les milieux et au cours de la saison. Certaines espèces, dites précoces, seront observées dès les premières belles journées printanières d’avril, alors que d’autres n’apparaîtront que fin juin – début juillet. Cette variation des peuplements odonatologiques au cours de la saison suit sensiblement le même schéma sur l’ensemble des milieux stagnants (mares, étangs, marais). Ainsi la Cordulie bronzée Cordulia aenea, l’Aeschne printanière Brachytron pratense, la Libellule déprimée Libellula depressa, la Libellule à quatre tâches Libellula quadrimaculata, la Petite nymphe au corps de feu Pyrrhosoma nymphula et C. puella s’observent dès avril. Courant mai et juin, la plupart des coenagrionidés et sympétrums apparaissent, accompagnés entre autre d’A imperator, de l’Aeschne isocèle Aeshna isoceles ou des leucorrhines sur les milieux qui leurs sont favorables. Les espèces les plus tardives prennent leur envol fin juin – début juillet et plus particulièrement les lestes, la plupart des cordulies ou des aeschnes telles que l’Aeschne affine Aeshna affinis, l’Aeschne bleue Aeshna cyanea et plus tardivement l’Aeschne mixte Aeshna mixta. Le vol de certaines d’entre elles se poursuit jusqu’au début de l’automne comme pour les sympétrums ou les lestes.

Les étangs

Ces milieux stagnants de grande superficie sont les zones humides qui abritent la plupart du temps la plus grande diversité odonatologique en Poitou-Charentes. On peut facilement y observer plus d’une trentaine d’espèces. Cependant, il serait un peu simpliste de parler d’un seul cortège odonatologique lié à ce type de milieu. Cette richesse spécifique découle en effet de la variété des habitats distincts présents dans et autour de l’étang. Les habitats annexes sont souvent nombreux et chacun d’entre eux abrite un cortège particulier. Sources, ruisseaux ou fossés d’alimentation, zone d’assèchement en queue d’étang, zone de marnage, roselières, partie inondée temporairement, émissaires, etc. peuvent offrir des conditions favorables aux exigences écologiques d’un grand nombre de taxons. En règle générale, les étangs les plus riches sont ceux qui sont bien ensoleillés, qui disposent d’une eau mésotrophe à eutrophe, dans laquelle la végétation aquatique et rivulaire est riche et variée (potamots, nénuphars, joncs, laîche, roseaux, saules, etc.). Cette richesse est également favorisée par le regroupement et la proximité géographique d’un grand nombre d’étangs. Le cortège lié au milieu principal de ce type de zone humide est généralement centré sur B. pratense, A. imperator, C. puella, la Libellule écarlate Crocothemis erythraea, I. elegans, L. quadrimaculata, l’Orthétrum réticulé Orthetrum cancellatum, P. pennipes, P. nymphula, le Sympétrum sanguin Sympetrum sanguineum, le Sympétrum strié Sympetrum striolatum, L. depressa. Sur les étangs les plus riches et en fonction des conditions, la liste peut vite s’enrichir : l’Agrion joli Coenagrion pulchellum, l’Agrion porte-coupe Enallagma cyathigerum, E. najas, E. viridulum, G. pulchellus, I. pumilio, le Leste sauvage Lestes barbarus, l’Orthétrum à stylets blancs Orthetrum al-bistylum, et le Leste brun Sympecma fusca.

L’existence d’une ceinture d’atterrissement importante conditionne la présence de nombreuses espèces qui nécessitent des eaux chaudes peu profondes et à forte densité d’hélophytes : le Leste verdoyant Lestes virens, plus rarement le Leste fiancé Lestes sponsa, A. affinis, souvent rejointe plus tard en saison par A. mixta et le Sympétrum meridional Sympetrum meridionale. La présence d’une roselière haute et dense pourvue de petites clairières d’eau libre peut favoriser la reproduction d’A. isoceles. Plusieurs espèces de libellules liées aux cortèges des eaux courantes peuvent se retrouver sur les annexes lotiques des étangs ou sur l’étang lui-même si un cours d’eau est très proche : L. fulva, C. splendens, E. lindenii, par exemple.

Plusieurs facteurs limitants peuvent entraîner la diminution du nombre d’espèces figurant dans les cortèges des étangs. Tout d’abord lorsque les eaux sont très acides, ce qui est peu courant dans la région, les cortèges sont moins diversifiés mais certaines espèces renforcent alors leur présence : l’Agrion délicat Ceriagrion tenellum et les cordulies comme C. aenea ou la Cordulie à taches jaunes Somatochlora flavomaculata. Enfin, l’odonatofaune peut être nettement plus pauvre lorsque les étangs sont insérés dans un vaste environnement forestier. Toutefois, là encore, certaines espèces se montrent mieux adaptées que d’autres à ce type de biotope : S. fusca, C. tenellum, A. cyanea, S. metallica.

Les étangs sont nombreux en Poitou-Charentes et répartis sur l’ensemble du territoire. Parmi les secteurs géographiques les plus riches sur le plan odonatologique, on peut citer le Montmorillonnais (86), les alentours de Pleuville (16) et la région de Montendre, Montlieu-la-Garde et Montguyon (17).

Les mares

Les mares sont des milieux stagnants ayant une superficie inférieure à 1000 m2. Ces petites zones humides continentales sont souvent de vrais îlots de biodiversité et abritent généralement un peuplement odonatologique riche et varié sur de petites surfaces. En Poitou-Charentes, on compte plus de 30 000 mares (Poitou-Charentes Nature, 2002) plus ou moins riches sur le plan odonatologique en fonction de leur environnement proche. De nombreux paramètres font varier la composition des peuplements de libellules. L’ensoleillement est l’un des principaux. En effet, la majorité des mares sont peu profondes et le rayonnement solaire pénètre souvent jusqu’au fond et permet à l’eau de vite se réchauffer. En conséquence, ces pièces d’eau ensoleillées, que l’on trouve le plus souvent en milieu prairial, possèdent une végétation aquatique riche et souvent dense. De nombreux hydrophytes les colonisent et elles sont souvent ceintes d’une large bande d’hélophytes composée de cypéracées et joncacées. Cette végétation sert d’abri et de terrain de chasse aux larves, de support de ponte puis d’émergence à de très nombreuses espèces de libellules. Ces mares en milieu ouvert, hébergent des cortèges souvent dominés par L. depressa, L. quadrimaculata et A. imperator, puis en fin de saison, par A. cyanea. D’autres anisoptères sont parfois présents, notamment B. pratense, C. aenea à la fin du printemps, C. erythraea, S. sanguineum, S. striolatum et ponctuellement A. affinis en été. Les espèces de zygoptères complètent les cortèges et les effectifs sont fréquemment importants relativement à l’étroitesse de l’habitat. Les agrions sont massivement présents au printemps : L’Agrion mignon Coenagrion scitulum, C.puella. A partir d’août, au moment où beaucoup de mares commencent à s’assécher, c’est au tour des lestes, espèces adaptées aux milieux temporaires ou régulièrement exondés, d’occuper la pièce d’eau. Le Leste des bois Lestes dryas, L. sponsa, L. virens trouvent alors, au milieu des touffes de joncs, de carex, parfois d’iris, les conditions propices à leur accouplement puis à la ponte. Pour ces espèces, l’éclosion des œufs et le développement des larves se feront rapidement au printemps suivant lorsque les mares auront retrouvé un niveau d’eau suffisant. Beaucoup d’autres espèces aux exigences moins fortes peuvent être observées sur ces mares de prairies. A contrario, les mares forestières très fermées et pauvres en végétation aquatique, dont le fond est souvent recouvert d’une épaisse couche de feuilles mortes, abritent une faible diversité odonatologique. L’espèce la plus courante est A. cyanea dont l’écologie est très plastique. P. nymphula, S. fusca et C. tenellum sont aussi régulièrement observés dans ces mares à condition que le soleil arrive de temps à autre à traverser le couvert arboré.

Les mares sont parfois très aménagées par l’homme. Localisées au sein des fermes, elles peuvent abriter canards domestiques et poissons, être plus ou moins dépourvues de végétation et avoir une eau à la qualité douteuse. La diversité odonatologique est évidemment faible. On y rencontre L. depressa, O. cancellatum et quelques espèces ubiquistes peu exigeantes comme I. elegans. Quant aux mares d’agréments et de jardin, si l’entretien est léger, elles peuvent servir de milieu de développement pour plusieurs espèces. En quelques années, on peut facilement compter une quinzaine d’espèces, certes souvent parmi les plus communes et répandues, mais qui trouvent dans ces bassins de jardins des milieux de substitution opportuns. Ces habitats de mares sont largement répartis dans la région, mais les zones bocagères comme le Confolentais (16), la Gâtine, le bocage bressuirais (79) ou la moitié est de la Vienne (86) présentent une densité assez remarquable.

Les étangs et les mares aux eaux oligotrophes

Il s’agit de milieux très localisés en Poitou-Charentes caractérisés par des eaux acides ou alcalines pauvres en éléments nutritifs. Ces plans d’eau de tailles très diverses, étangs, mares, petites dépressions, peuvent parfois être insérés dans d’anciennes zones de marais plus ou moins tourbeux. Ces milieux, qui sont de plus en plus rares accueillent une faune odonatologique parfois exceptionnelle comme le sont les trois espèces emblématiques de leucorrhines : la Leucorrhine à gros thorax Leucorrhinia pectoralis, à large queue L. caudalis et à front blanc L. albifrons, dont les premières émergences se déroulent courant mai. On trouve encore ces habitats sur des étangs localisés en tête de bassins et à l’abri des pollutions (étangs du terrain militaire de Montmorillon par exemple) ou sur d’anciennes zones d’extraction de matériaux (pierre meulière, marne, argile …). Sur ces milieux, le cortège odonatologique est riche et diversifié avec parfois plus de 40 espèces dont les plus caractéristiques sont : L. quadrimaculata, S. flavomaculata, C. aenea, C. tenellum, C. scitulum, E. cyathigerum. Ces espèces supportent une certaine acidité de l’eau et s’accommodent plus que d’autres de la pauvreté relative du milieu. Dans certaines conditions, ponctuellement, ces zones humides peuvent aussi se révéler favorables au développement d’espèces moins exigeantes, que l’on peut qualifier d’espèces secondaires, qui s’y succèdent en fonction de leur phénologie. Il s’agit notamment de P. nymphula, C. puella, A. imperator, C. viridis, L. sponsa, L. barbarus, A. affinis, A. isoceles, B. pratense, G. pulchellus, C. erythraea, L. depressa, S. sanguineum, S. striolatum, S. fusca et, uniquement sur des étangs, la rare Epithèque à deux taches Epitheca bimaculata.

En Poitou-Charentes, ces habitats sont essentiellement localisés dans des zones de landes, Réserve Naturelle du Pinail (86), Landes de l’Hôpiteau (79), mares et étangs des Ardillasses (17) et du Montmorillonnais (86).

Les milieux artificiels : sablières, gravières

Ces zones artificielles sont très souvent d’anciennes zones d’extraction de matériaux alluvionnaires, que l’on nomme sablières ou ballastières, mais peuvent aussi, localement, concerner d’autres roches comme l’argile. Après exploitation, ces carrières sont réaménagées et souvent mises en eau créant ainsi de nouvelles zones humides. Dans un premier temps des cortèges pionniers colonisent ces milieux neufs. I. pumilio, la Libellule écarlate C. erythraea, A. imperator, O. cancellatum, L. depressa et parfois L. barbarus sont les premières à apparaître. Ces espèces acceptent la rareté, voire l’absence de plantes aquatiques caractéristiques des premières années d’existence de ces plans d’eau. Si le niveau d’eau est variable, les zones peu profondes régulièrement exondées permettent aux Sympétrums de Fonscolombe Sympetrum fonscolombii de déposer leur ponte sur le substrat émergé puis à leurs larves de se développer dans des eaux rapidement réchauffées. Les larves d’O. albistylum et surtout de G. pulchellum peuvent aussi profiter des berges en pente douce dépourvues de végétation ou l’eau monte vite en température. Dès que la ceinture de végétation et les herbiers aquatiques se développent, certaines espèces pionnières disparaissent et les cortèges s’enrichissent à l’image de ceux que l’on rencontre sur des étangs plus anciens et plus « naturels ». On trouvera couramment C. viridis, C. puella, I. elegans, O. brunneum, O. coerulescens, O. cancellatum, P. pennipes, S. sanguineum, S. striolatum, L. quadrimaculata, P. acutipennis, P. pennipes, E. viridulum. Lorsque ces sablières ou gravières sont proches de cours d’eau, on peut y rencontrer des espèces d’eaux courantes : M. splendens, O. curtisii par exemple.

Malheureusement, il arrive fréquemment que la nouvelle exploitation qui est faite de ces milieux, souvent à des fins récréatives, ne permette pas à une faune odonatologique riche de s’installer. En effet, la multiplication des interventions de l’homme et l’artificialisation, entraîne l’appauvrissement général du milieu.
En outre, ces sablières lorsqu’elles sont à vocation halieutique, hébergent très souvent des espèces animales prédatrices en grande densité comme la Perche soleil Lepomis gibbosus, le Black-bass Micropterus salmoides, diverses espèces d’écrevisses allochtones ou bien des poissons fouisseurs comme les carpes Cyprinus carpio. La présence de ces espèces, qui sont parfois invasives, est incompatible avec l’installation de cortèges de libellules riches et variés.

Les sablières et gravières sont principalement localisées dans les vallées alluviales des grands cours d’eau de la région, le long de la Vienne (86), du Clain (86), de la Charente (16 et 17). Les anciennes exploitations d’argile, quant à elles, sont moins répandues ; les carrières de Touvérac (16) et des environs de Clérac (17) sont de bons exemples.

Les canaux et fossés des marais

Le Poitou-Charentes a la particularité de posséder de vastes marais arrière-littoraux qui sont drainés par des canaux au courant très faible, parfois nul. C’est le cas notamment du Marais poitevin qui s’étend sur plus de 20 000 hectares dans la région. On peut aussi citer les marais de Brouage, de Rochefort et de Gironde. La grande majorité du temps les eaux de ces canaux sont fortement eutrophisées. Le peuplement odonatologique y est limité même si certains secteurs peuvent revêtir un intérêt non négligeable. Les libellules les plus fréquentes sont celles qui sont adaptées à ces conditions, qui supportent des eaux chaudes, envahies par la végétation, pauvres en oxygène dissous. On trouve évidemment des espèces eurytopes aux exigences faibles en termes de qualité du milieu : A. imperator, C. erythraea, I. elegans, O. cancellatum, L. depressa, S. sanguineum, S. striolatum, P. pennipes sont omniprésents et souvent accompagnés de libellules à l’écologie moins plastique mais qui trouvent dans ces conditions particulières les éléments favorables à leur développement, richesse de la végétation flottante et chaleur de l’eau notamment. C’est le cas d’E viridulum, P. latipes, P. acutipennis, A. isoceles. Dans ces marais arrière-littoraux, certaines zones de dépressions sont inondées en hiver puis se retrouvent isolées et déconnectées du réseau des canaux. Elles constituent alors des zones humides temporaires tout à fait originales que l’on nomme des « baisses » ou « jas ». Elles sont exploitées par des espèces caractéristiques des milieux temporaires, lestes, sympétrums et I. pumilio, quelquefois par I. elegans, A. affinis, L. depressa et O. cancellatum.

Les milieux saumâtres

Il s’agit de milieux qui dans la région ne se rencontrent que le long du littoral de Charente-Maritime (de l’anse de l’Aiguillon aux marais de Gironde ainsi que sur les îles). Le taux de salinité y est variable : faible, voire nul en début de saison lorsque les eaux de pluie ont gonflé les niveaux d’eau, il augmente en cours de saison au fur et à mesure que le milieu s’assèche. Il arrive d’ailleurs fréquemment que les bassins s’assèchent totalement au cours de l’été. Ces lagunes sont caractérisées par de vastes massifs de Scirpe maritime Bulboschoenus maritimus qui les colonisent. Le cortège qui exploite ces zones humides particulières sont dominés par des espèces adaptées aux milieux temporaires. C’est le cas des lestes comme L. dryas, L. barbarus, L. virens ou le méditerranéen Leste à grands ptérostigmas Lestes macrostigma dont les œufs sont pondus à l’intérieur des tiges de scirpe et sont ainsi protégés durant la saison sèche. Ces larves qui tombent à l’eau au cours de l’hiver, se développent rapidement permettant une émergence précoce, avant que le taux de salinité ne devienne létal. Cette adaptation à une période courte de mise en eau du milieu leur permet d’éviter une trop forte concurrence car bon nombre d’espèces ne supportent pas de telles conditions. Les sympétrums tels que S. meridionale, S. striolatum et S. fonscolombii qui apprécient aussi les fluctuations de niveau d’eau et pondent régulièrement sur les parties exondées, sont également bien représentés dans ces milieux saumâtres. Si le taux de salinité reste modéré, d’autres espèces peuvent accompagner lestes et sympétrums. A. affinis, I. pumilio, I. elegans, S. fusca peuvent même présenter des densités de peuplement remarquables.

Les tourbières et zones tourbeuses

Les tourbières « vraies » à sphaignes sont des milieux extrêmement rares en Poitou-Charentes, fragmentés et de très petite taille. Quelques micro-tourbières sur les landes de la Borderie (Montrollet) en Charente et la tourbière de l’étang Baron Desqueyroux près de Montendre en Charente-Maritime, sont quasiment les seuls sites régionaux. Les libellules qui colonisent ces milieux sont celles qui apprécient les eaux acides et qui acceptent la pauvreté en nutriments qui les caractérise. C. tenellum et P. nymphula sont les zygoptères les plus fréquents mais on trouve aussi C. scitulum. Les anisoptères typiques sont L. quadrimaculata, O. coerulescens, C. aenea et S. flavomaculata Toutefois, ces zones humides accueillent également la reproduction d’espèces ubiquistes présentes sur beaucoup d’autres mares ou étangs de la région, telles que A. imperator, L. depressa, S. sanguineum, C. puella, P. pennipes et I. elegans.

Eric PRUD’HOMME, Miguel GAILLEDRAT, Laurent PRÉCIGOUT

Observer les libellules

Où trouver les libellules ?

Les libellules sont très liées aux milieux aquatiques dans lesquels les larves vivent. Les adultes s’en éloignent parfois lors de leur période de maturation sexuelle, mais la plupart y reviennent pour s’accoupler et toutes pour pondre. En fonction des espèces, toutes sortes de milieux aquatiques (mares, étangs, marais, ruisseaux, rivières …) peuvent héberger des populations plus ou moins importantes de libellules. C’est près des zones d’eau douce que l’on trouve le plus facilement des odonates. Les cortèges les plus variés sont observés près des mares, étangs, rivières calmes, tout particulièrement là où se développe une végétation aquatique et rivulaire. Certaines espèces sont plus inféodées aux eaux courantes, d’autres aux eaux stagnantes. Si les eaux salées sont impropres au développement des larves, les eaux saumâtres peuvent être tolérées par quelques espèces.

D’une manière générale, c’est donc au bord de l’eau que l’on a le plus de chance de rencontrer des libellules, même si de nombreux individus en chasse ou en phase de maturation peuvent être observés loin de l’eau dans des prairies, clairières et autres milieux riches en plantes.

Mais quel que soit le mode de recherche des libellules, gardez à l’esprit que vos activités doivent se dérouler dans le plus grand respect des propriétés et des habitats, en évitant toute dégradation, les milieux humides étant particulièrement fragiles !

Quand observer les libellules ?

L’observation des libellules dans les zones humides peut se faire pendant une grande partie de l’année (entre mars et novembre) selon les espèces, les conditions météorologiques et les régions.

Cependant, la période la plus favorable pour l’observation des libellules en émergence, en phase de maturation ou bien les adultes, se situe entre avril et octobre. Certaines espèces, comme le Leste brun Sympecma fusca, hivernent à l’état adulte, et peuvent donc être observées dès les beaux jours. D’autres, comme le Sympétrum strié Sympetrum striolatum et l’Aeschne bleue Aechna cyanea, plus tardives, peuvent voler jusqu’à la fin du mois de novembre.

Les libellules sont des insectes très sensibles à la température et aux conditions climatiques, elles sont surtout actives aux heures les plus chaudes de la journée S’il fait froid, qu’il pleut ou que le vent souffle, leur activité est réduite et elles préfèrent rester cachées, souvent posées en hauteur dans les arbres ou au milieu des hautes herbes.

Les prospections doivent être orientées pendant la phase optimale d’activité des libellules, à savoir entre 10h et 18h, par temps ensoleillé, vent faible et températures comprises entre 18 et 30°C. D’une manière générale, prospectez à la mi-journée, par temps calme et ensoleillé. Il est bien évident que ces informations très simplifiées doivent être adaptées à chaque cas particulier en fonction de l’objectif de vos recherches.

Les zygoptères ou demoiselles de petite taille sont, dans la majeure partie des cas, peu mobiles et restent à proximité du couvert végétal. Recherchez-les dans les hautes herbes et les milieux proches des berges.

Les anisoptères (grandes espèces) sont souvent plus difficiles à approcher. Insectes hyperactifs pour la plupart, ils se déplacent beaucoup, et pour les observer il est nécessaire de les repérer en vol, et d’attendre qu’ils se posent avant de pouvoir s’approcher avec précaution.

La recherche d’exuvies se fait en général sur la même période que celle des imagos, elle peut ponctuellement et localement être réalisée en hiver, notamment sous les ponts, où les dépouilles larvaires ne sont pas soumises aux intempéries et peuvent rester accrochées très longtemps.

De mars à octobre selon les espèces, les larves quittent le milieu aquatique pour effectuer leur dernière mue. Elles sortent de l’eau, pendant la nuit ou tôt le matin selon les espèces, et grimpent à faible hauteur sur les plantes aquatiques ou sur les plantes rivulaires pour accomplir l’ultime mue faisant apparaître l’imago. La recherche des émergences et des exuvies est donc à privilégier en matinée, par temps non pluvieux, vent faible.

La recherche de larves peut se faire toute l’année. Les relevés seront réalisés sur les milieux de développement larvaire, soit sur la totalité d’un habitat (mare, suintement…), soit sur un ou plusieurs secteurs dans le cas de milieux linéaires (cours d’eau) ou de grande taille (lacs, plans d’eau …).

Les libellules et la législation française

Attention ! Pour la recherche des libellules, comme pour toutes pratiques naturalistes, il est important de connaître la législation en cours concernant les espèces protégées sur le territoire français.
De nombreuses espèces et populations de libellules souffrent de la destruction ou de la dégradation de leurs habitats. De ce fait, l’État a mis en place un arrêté de protection pour les espèces les plus menacées en France. Parmi les 68 espèces de libellules présentes en Poitou-Charentes, 8 d’entre elles font partie de la liste des espèces protégées en France, et ne peuvent donc pas être capturées (sauf autorisation préfectorale spécifique).

Arrêté du 23 avril 2007 fixant la liste des insectes protégés sur le territoire national

Article 2 – I : Sont interdits, sur tout le territoire métropolitain et en tout temps, la destruction ou l’enlèvement des œufs, des larves et des nymphes, la destruction, la mutilation, la capture ou l’enlèvement, la perturbation intentionnelle des animaux dans le milieu naturel […] Ce nouvel arrêté remplace celui du 22 juillet 1993.

Liste des 8 espèces du Poitou-Charentes figurant parmi les espèces protégées en France

Coenagrion mercuriale (Charpentier, 1840) Agrion de Mercure
Gomphus flavipes (Charpentier, 1825) Gomphe à pattes jaunes
Gomphus graslinii (Rambur, 1842) Gomphe de Graslin
Leucorrhinia albifrons (Burmeister, 1839) Leucorrhine à front blanc
Leucorrhinia caudalis (Charpentier, 1840) Leucorrhine à large queue
Leucorrhinia pectoralis (Charpentier, 1825) Leucorrhine à gros thorax
Macromia splendens (Pictet, 1843) Cordulie splendide
Oxygastra curtisii (Dale, 1834) Cordulie à corps fin

Le matériel utilisé pour l’observation et l’inventaire des libellules

Les libellules sont pour la plupart des insectes farouches. Il convient donc d’adapter sa tenue vestimentaire en évitant les couleurs trop claires ou trop tranchantes vis-à-vis du paysage, car ils rendent trop perceptibles les mouvements de l’observateur. La prospection des zones humides nécessite une paire de bottes, voire des cuissardes ou des wadders dans certains cas. Outre la tenue vestimentaire adaptée, l’observation des libellules requiert un minimum de matériel.

Pour les personnes encore peu familiarisées avec les libellules, l’identification peut être assez délicate et nécessite, dans la grande majorité des cas, de capturer temporairement des individus sur le terrain afin d’examiner les critères spécifiques. En ce qui concerne les exuvies et les larves, le prélèvement s’impose dans de nombreux cas, car leur identification réclame un examen précis à l’aide de matériel optique et de documents scientifiques adéquats.

Le filet entomologique se présentant sous des formes assez variées selon les fournisseurs, se compose souvent d’un manche d’1 à 2 m, fixe, télescopique ou démontable en plusieurs parties, selon les cas. A l’extrémité de ce dernier, se fixe un cercle métallique de 30 à 50 cm de diamètre, pourvu d’une poche plus ou moins longue, le plus souvent en nylon ou en polyester. La partie de la poche s’insérant dans le cercle doit être renforcée afin d’éviter l’usure prématurée de cette dernière, qui est due au fauchage de la partie supérieure de la végétation. De même, la poche doit être translucide afin de permettre la localisation de l’insecte. Enfin, elle doit être suffisamment profonde pour permettre de bloquer l’insecte dans le fond de la poche en tournant d’un quart de tour le manche immédiatement après la capture, évitant ainsi sa fuite.

Le filet troubleau, sert pour l’étude des larves. La capture des larves ne peut correspondre qu’à des études scientifiques particulières telles que la recherche sur le développement ou le comportement larvaire, nécessitant un élevage. Dans ce cas, il faut veiller à ne pas bouleverser ou perturber les habitats aquatiques par des prélèvements importants. Comme son nom l’indique, ce filet est destiné à la récolte des animaux vivant dans l’eau. Il se compose d’un manche et d’un cercle solide, en fer ou en aluminium de 20 à 30 cm de diamètre, pourvu d’une poche nylon à fines mailles. Le filet troubleau est alors passé le long des plantes aquatiques, des racines et sur la vase ou le sable se trouvant sur le fond. Quand il est plein, la récolte est triée sur un bout de bâche par exemple, afin de séparer minutieusement les larves des débris végétaux. Les larves capturées pourront soit être identifiées sur place selon les cas, soit transportées dans un bocal rempli d’eau avec des plantes humides (à l’abri de toute chaleur), puis mis en élevage.

La loupe aplanétique (pliante, achromatique, à superposition…) est utile pour contrôler in situ, et après capture, les critères fins de certains individus d’identification délicate. Ces loupes sont peu encombrantes et se replient dans un étui protecteur. Les grossissements utiles à l’observateur vont de 8 X à 20 X. Ces loupes sont disponibles dans les magasins optiques chez les fournisseurs de matériels entomologiques, etc.

Les jumelles à mise au point rapprochée. Pour les personnes déjà bien familiarisées à l’identification des libellules, des jumelles à mise au point rapprochée peuvent permettre dans certains cas (individus posés, mâles adultes d’espèces d’identification aisées), la reconnaissance de l’individu observé. Elles sont aussi utiles pour observer les mouvements et autres comportements de ces insectes ou bien encore pour détecter leur présence dans un secteur éloigné de l’observateur. Les marques et les modèles de jumelles permettant une vision allant de l’infini jusqu’à moins de 2 m, sont nombreux. Il appartient donc à chacun de faire son choix.

Un appareil photo numérique, adapté à la prise de vue rapprochée, peut être d’une grande aide. Bien sûr pour obtenir des images des habitats aquatiques et de leur environnement, des espèces in situ, mais aussi pour conserver une preuve de la présence de telle ou telle espèce particulière, afin d’en assurer l’éventuelle validation si un doute existe sur son identification. Une multitude d’appareils existe sur le marché, du plus économique à l’équipement professionnel.

Un ou plusieurs guides d’identification de terrain s’avèrent absolument nécessaires, même si, avec l’expérience, on arrive rapidement à reconnaître de plus en plus d’espèces. Il est important de posséder des ouvrages aussi complets que possible englobant un territoire plus vaste que celui étudié. En effet, le changement global en cours, avec des bouleversements climatiques, peut permettre l’apparition de nouvelles espèces, pas forcément prises en compte dans certains ouvrages. Aussi, mieux vaut privilégier des guides d’identification des libellules prenant l’ensemble des espèces françaises, européennes, voire d’Afrique du Nord. Il convient également de privilégier des ouvrages comportant des clés d’identification présentant plusieurs critères pour chaque espèce, ainsi que des schémas et illustrations. Ces guides apportent également des compléments d’information pour chaque espèce (éléments de biologie, habitats utilisés, répartition, période de vol.) sous forme de textes et de carte de répartition.

Un carnet de terrain, une feuille de relevé spécifique ou bien encore un ordinateur de poche PDA permettront d’indiquer toutes les informations relatives à l’observation (noms de l’observateur, lieux précis, date, nom de l’espèce observée, comportement, effectifs, etc.). Ils constitueront l’équipement de base qui pourra être, si nécessaire, complété par d’autres accessoires et matériels. Des modèles de formulaires d’observation des Libellules de France sont disponibles dans chaque association départementale de protection de la nature de la région.

La récolte et l’identification des exuvies

L’exuvie est la dépouille larvaire de la libellule, c’est-à-dire l’enveloppe (cuticule ou peau) que le corps de l’animal a quittée lors de la mue et qui est remplacée par une nouvelle.

La recherche des exuvies apporte de nombreuses informations sur le statut de reproduction des espèces, leur abondance et leur phénologie d’émergence. La récolte de ces exuvies est donc une méthode d’inventaire très intéressante, pouvant rapidement apporter des informations sur les populations d’odonates d’un lieu donné. C’est également le moyen de pouvoir recenser des espèces relativement discrètes ou à faibles effectifs. Une fois récoltés, des spécimens caractéristiques de chaque espèce, permettront la constitution de collections de référence, qui serviront par la suite de comparaison, notamment pour les espèces ressemblantes dont la détermination est délicate.

Elle peut se faire depuis la berge d’un cours d’eau ou d’un étang, d’une mare. Cependant, dans bien des cas, l’utilisation d’un canoë ou d’une petite barque peut grandement faciliter cette tâche, tout en respectant les berges. Une embarcation est notamment nécessaire pour prospecter les piles et les voûtes de ponts des cours d’eau, très utilisés par certaines espèces pour leur métamorphose. Leurs dépouilles larvaires sont ainsi faciles à trouver et à collecter.

Les exuvies sont récoltées à l’aide d’une pince souple (pourvue d’un cordon afin d’éviter de la perdre) puis placées dans une boite en polyéthylène rigide ou semi-rigide. Il est important, pour identifier l’espèce concernée, de mettre sur la boîte une étiquette indiquant le lieu précis, la date de récolte et le nom de l’observateur.

L’identification des exuvies est un travail minutieux qui doit se faire dans un local sans courant d’air. Des pinces fines et des pinceaux permettent de manipuler aisément les dépouilles larvaires qui sont très fragiles. Pour l’observation et l’identification des espèces, il est également nécessaire d’utiliser du matériel optique adapté. Loupe aplanétique (10 X) pour les espèces de détermination aisée, et une loupe binoculaire (10-80 X), pourvue d’un bon dispositif d’éclairage pour les autres. il faut également prévoir un ou plusieurs ouvrages d’identification destinés à la reconnaissance des stades pré-imaginaux (Heideman & Seidenbush, 2002 ; Gerben & Sternberg,1999 ; Cham, 2007).

Photographier des libellules

La photographie est un élément important de la connaissance des libellules. Elle constitue une technique complémentaire indispensable pour accumuler des documents de référence concernant les espèces, les comportements et les habitats, ce qu’une collecte ne permet pas.

En outre, elle permet la validation de l’identification d’une espèce, surtout lorsqu’un spécimen douteux n’a pas été conservé (dans ce dernier cas, il est important que les critères de reconnaissance soient bien visibles sur l’image).

La photographie de ces insectes n’est pas facile, de nature méfiantes et pourvues d’une vue remarquable, les libellules réagissent au moindre mouvement et il est fort difficile de s’en approcher en catimini. Tout geste ou déplacement brusque doivent être évités. Les photographier nécessite donc beaucoup de patience et un minimum de matériel.

Sans rentrer dans les détails techniques, car de nombreux ouvrages existent dans ce domaine, nous donnerons ici quelques conseils de base pour réaliser des clichés de libellules.

Idéalement, un appareil réflex muni d’un objectif macro d’une focale de 100 mm auquel on ajoutera un flash TTL en cas de faible luminosité, constitue l’équipement de base. Dans certains cas, des focales plus importantes (200 mm, 400 mm) peuvent être utiles pour photographier les espèces les plus farouches. Choisir le bon éclairage en évitant les ombres portées, et surtout, n’hésitez pas à réaliser plusieurs clichés.

Quelques conseils pour photographier les libellules en vol

Pour les petites espèces de libellules (les zygoptères) :

Elles ont l’habitude de se poster sur des tiges d’herbe de la végétation rivulaire du milieu aquatique prospecté et, dès qu’on leur fait peur, elles s’envolent pour revenir exactement sur le même brin d’herbe.

Approchez à environ 50 cm de la libellule, faire la mise au point avant que celle-ci ne s’envole. Après l’envol, restez le plus immobile possible, votre appareil toujours orienté sur l’emplacement choisi, et dès qu’elle rentre dans le viseur en revenant se poser, vous aurez quelques dixièmes de seconde pour déclencher.

Pour les grandes libellules (les anisoptères, qui volent presque sans arrêt) :

Pas de chance, c’est encore plus dur ! Il s’agit de se mettre à l’affût près d’un point d’eau et attendre que la dite libellule apprivoise votre présence. Avec un peu de chance (il en faut également), elle va venir vous tutoyer parfois à 40 cm en faisant une seconde ou deux de vol stationnaire. C’est le temps que vous avez pour viser, faire la mise au point et déclencher. Là encore, facile non ?

Laurent PRECIGOUT

Les eaux stagnantes

La région Poitou-Charentes offre une très grande variété de milieux d’eau stagnante, multipliant ainsi les habitats pour les libellules.

Les suintements

Les suintements ressemblent à de minuscules résurgences et se présentent le plus souvent comme de très faibles nappes d’eaux. En règle générale, les suintements issus de nappes souterraines, perchées ou non, entretiennent de façon pérenne un caractère marécageux à la zone dans laquelle ils se trouvent. Ils peuvent alimenter des mares, de petites zones de marais ou des landes humides. Ces milieux sont plutôt rares dans la région. On peut les trouver aussi bien sur sols acides que sur des terrains calcaires. Les suintements constituent des habitats de développement larvaire attractifs pour certaines espèces de libellules qui sont adaptées au réchauffement rapide de leurs eaux.

Suintement sur socle granitique du Montbronnais (16).

Les milieux temporaires

Par définition, il s’agit de pièces d’eau saisonnières qui s’assèchent en cours d’été. La plupart du temps l’eau est collectée naturellement lors des fortes pluies d’hiver et de printemps par le ruissellement ou par les crues des cours d’eau. On peut classer dans cette catégorie plusieurs types de milieux. Mais le fait qu’ils ne soient pas pérennes et qu’il faut en conséquence aux espèces qui les colonisent des stratégies de ponte et un développement larvaire adaptés, pousse cependant à les traiter ensemble. Toute flaque peut être considérée comme milieu temporaire. Dans les zones très boisées de la région, les ornières disséminées sur les chemins forestiers peuvent constituer un habitat pour des espèces très spécialisées (des lestes notamment). Les tronçons aval des fleuves et grandes rivières, comme la Sèvre niortaise, la Charente, la Seugne sont, à peu près tous les ans, soumis à des crues qui laissent, si la topographie le permet, des zones humides temporaires qui attirent selon les années de très nombreuses libellules. Parmi les plus remarquables de ces zones en Poitou-Charentes, on peut citer les zones d’expansion de crues des grands cours d’eau de Charente-Maritime. Ce sont des dépressions inondables qui présentent une grande richesse odonatologique et parfois des densités de peuplement conséquentes (Jourde, 2004).

Dépression inondable en marais arrière-littoral (17).

Les mares

Les mares sont des pièces d’eau dormante fermées, de petite taille et peu profondes. Cette définition assez précise cache cependant de grandes différences et le Poitou-Charentes offre avec ses mares une grande variété d’habitats aux odonates. Le peuplement en libellules varie d’abord en fonction du caractère pérenne ou non de la pièce d’eau, toutes les espèces n’ayant pas un cycle de reproduction adapté à l’assèchement estival, mais c’est surtout l’ensoleillement, et donc la végétalisation du plan d’eau, qui conditionne la richesse spécifique de l’odonatofaune.

Mare du Pinail (86).

Les mares qui se trouvent en milieu forestier, où l’ombre continuelle ne permet pas le développement de la végétation, sont pauvres en oxygène dissous : feuilles et bois mort s’y accumulent car la dégradation de la matière organique y est très lente. On trouve ce type de mares essentiellement dans les grandes zones boisées de la région : forêts de la Braconne et de Montrollet en Charente, forêt de Moulière en Vienne, Double saintongeaise en Charente-Maritime et Gâtine boisée en Deux-Sèvres. Les espèces d’odonates qui s’y reproduisent sont très peu nombreuses.

La situation est totalement inversée et la diversité spécifique est grande dans les mares situées en milieu ouvert et qui bénéficient de ce fait d’un ensoleillement régulier et important favorisant le développement des différentes ceintures de végétation. Ces mares sont encore nombreuses dans les espaces de bocage dédiés à l’élevage à l’est de la région et dans une grande partie des Deux-Sèvres. Entourées de prairies, proches de haies et de bosquets, souvent en réseau, ces petites zones humides abritent alors une richesse spécifique remarquable. Par contre, dans les grandes zones céréalières de l’ouest de la Charente et en Charente-Maritime, les mares sont rares et quand elles existent, possèdent toutes des eaux à l’eutrophisation marquée en raison des trop grandes quantités d’intrants agricoles. La prolifération des algues étouffe le milieu, la diversité spécifique est largement amoindrie car seules quelques espèces supportent une telle dégradation de l’habitat.

Un autre type particulier de mares se rencontre en Poitou-Charentes. Dans les quelques zones de brandes et de landes de la région qui subsistent, on trouve des mares aux eaux oligotropes abritant des cortèges odonatologiques originaux. C’est le cas sur les landes de Corignac en Charente-Maritime, sur le Pinail en Vienne et sur les brandes de l’Hôpiteau en Deux-Sèvres.

Les marais littoraux et arrière-littoraux

La richesse de la région Poitou-Charentes en zones de marais est exceptionnelle. Les plus remarquables sont les marais arrière-littoraux de Charente-Maritime : le Marais Poitevin, les marais de Brouage et celui de Rochefort notamment. Ces zones humides très vastes sont drainées par un réseau de canaux et de fossés. Ces milieux présentent une eau très faiblement courante et se réchauffant vite l’été. La végétation est souvent importante : dans l’eau comme sur les berges, certains canaux, les conches de la « Venise verte » notamment, sont envahis par les lentilles d’eau. Ce réseau de canaux constitue un habitat remarquable pour les libellules. Malheureusement, la richesse odonatologique y est devenue très variable car les activités humaines, notamment l’agriculture intensive, entraînent une eutrophisation importante des eaux déjà naturellement riches en nutriments dissous et peu oxygénées en profondeur. Sur le littoral charentais, en particulier sur les îles de Ré et d’Oléron, on trouve aussi des zones de marais plus ou moins saumâtres qui peuvent présenter un intérêt certain pour les odonates. Ce sont très souvent d’anciens marais salants. Ces habitats présentent des eaux dont la salinité varie au cours de l’année, au gré des apports d’eaux de pluie qui l’adoucit et des fortes évaporations l’été qui l’amènent à des taux de sel rédhibitoires pour la survie des larves de libellules. Celles qui y vivent sont donc les espèces qui ont développé des stratégies de développement très spécialisées.

Les marais continentaux

Par rapport aux zones humides arrière-littorales, les marais continentaux sont beaucoup moins vastes et très disséminés sur le territoire régional. Pour beaucoup drainés depuis plusieurs décennies voire plus d’un siècle, ils se réduisent aujourd’hui à de petites enclaves relictuelles, fragiles et ayant perdu un grand nombre des caractéristiques physionomiques des marais. On peut distinguer les marais situés en milieu acide de ceux placés sur terrain calcaire. Ces bas-marais alcalins sont souvent des tourbières de fond de vallée qui se sont développées dans les zones régulièrement inondées et où la nappe d’eau souterraine demeure toujours très proche de la surface du sol. C’est le cas des tourbières de Vendoire dans la vallée de la Lizonne, du marais de Gensac-la-Pallue (dont le nom même du latin palus évoque les marais), des tourbières très dégradées de Mouthiers-sur-Boëme en Charente mais aussi d’une partie de la vallée du Rivau sur le site du Pinail en Vienne. Quant aux milieux acides, ils sont extrêmement rares dans la région. Les vraies tourbières à sphaignes n’existent plus qu’à l’état de micro-tourbières reliques sur le Pinail et sur les landes de la Borderie à l’extrême est de la Charente. D’autre part quelques petites zones tourbeuses acides dans la Double saintongeaise, dans le Montmorillonnais et dans le Confolentais peuvent encore fournir des habitats de marais favorables à des cortèges odonatologiques rares et inféodés aux eaux très pauvres en nutriments.

La petite zone marécageuse du Châtelaines à Puyréaux en Charente.

Les étangs et les lacs

Les étangs sont répartis sur l’ensemble du territoire du Poitou-Charentes même si le sud, l’est et le nord-ouest de la région sont beaucoup mieux pourvus. Leur intérêt pour les libellules est très inégal et dépend de multiples paramètres. La plupart de ces étangs sont situés en milieu ouvert et bénéficient d’un ensoleillement important. Souvent très végétalisés aussi bien sur leurs rives que dans l’eau, ils offrent par leur superficie et grâce à leurs nombreuses annexes une large variété de micro-habitats, ce qui permet une très grande biodiversité. Les libellules occupent l’ensemble du plan d’eau mais peuvent aussi n’utiliser qu’une petite partie de l’étang : les herbiers flottants, l’arrivée du ruisseau d’alimentation, ou le départ du trop-plein, les suintements de la digue, la saulaie inondée de la queue de l’étang… Dans la région de Montrollet en Charente et en Haute-Saintonge, on peut aussi trouver des étangs entièrement forestiers aux eaux plutôt oligotrophes. La plupart des étangs de la région ont été créés par l’homme et beaucoup sont aujourd’hui encore utilisés et aménagés par lui à diverses fins : retenue d’eau, pêche, loisirs, etc. Les modes de gestion alors mis en œuvre peuvent éliminer bon nombre d’espèces d’odonates. Le Poitou-Charentes ne compte que quelques lacs et étangs de très grande superficie : l’étang de Saint-Maigrin près de Jonzac et les quatre lacs de barrage en Deux-Sèvres et en Charente.

Etang du Confolentais aux berges bien végétalisées et avec une saulaie en queue d’étang : site de reproduction de l’Epithèque bimaculée {Epitheca bimaculata}.

Milieux récents et « artificiels »

De nombreux milieux humides nouvellement créés apparaissent un peu partout dans la région. Directement liés aux activités humaines, ils ont une vocation très spécialisée : ce sont les bassins de décantation des effluents routiers, les stations de lagunage, les retenues de substitution, les bassins d’agrément, les gravières et sablières juste mises en eau. Ces milieux n’offrent que rarement un réel intérêt odonatologique, cependant ils peuvent ponctuellement offrir un habitat de substitution. Leur attractivité pour les libellules dépend évidemment de la qualité de leurs eaux, de leur degré de végétalisation et de la pression des activités humaines.

Occasionnellement, avec le temps et si la « remise en nature » du site a été réalisée correctement, les anciennes gravières, sablières ou argilières peuvent s’avérer des zones humides remarquables accueillant une odonatofaune riche et variée. C’est par exemple le cas des étangs de Saint-Même-les-Carrières et des carrières de Touvérac en Charente.

Les anciennes carrières d’argile de Touvérac (16), remises en eau dans les années 80, hébergent aujourd’hui plus de 30 espèces de libellules.

Enfin, il ne faut pas oublier les bassins d’agrément et mares de jardin qui peuvent offrir des conditions fort acceptables pour de nombreuses espèces. L’eau doit être de qualité et la présence de végétation aquatique est indispensable. Les libellules qui s’y installent sont les plus répandues mais année après année, si l’intervention humaine n’est pas trop violente, la diversité peut s’accroître de façon remarquable comparativement à la taille du point d’eau. Malheureusement ces mares sont très souvent trop entretenues et abritent canards et poissons en trop grand nombre.

 

Eric PRUD’HOMME

 

Bibliographie

Jourde P., 2004 – Densités remarquables d’odonates en val de Seugne (département de Charente-Maritime). Martinia 20 (1) : 7-12.

Marais et plans d’eau

Riche en eaux courantes, la région compte aussi une grande variété d’eaux stagnantes continentales ou littorales. Plusieurs zones de marais constituent des sites tout à fait exceptionnels à l’échelle européenne. A l’exception du Marais poitevin en partie sur le territoire des Deux-Sèvres et de la Vendée, ces marais se trouvent tous en Charente-Maritime, seul département de la région à bénéficier d’un littoral. Ils totalisent une superficie d’environ 85 000 ha. Les eaux y sont douces ou saumâtres. Plusieurs de ces zones humides sont d’anciens marais salants aujourd’hui reconvertis pour la plupart en espaces à vocation conchylicole, notamment en claires ostréicoles. C’est le cas des marais de la Seudre, de ceux de l’Ile de Ré et de quelques-uns sur Oléron. Les marais les plus intéressants pour les libellules sont cependant les marais arrière-littoraux possédant un réseau complexe de fossés et de canaux, et parfois riches de dépressions inondables (les jas) non connectées à ce réseau. Le Marais poitevin qui occupe une superficie de 20 000 ha en Poitou-Charentes, les marais de Brouage et ceux de Rochefort, le delta de la Seugne, sont les plus importantes de ces zones humides particulièrement propices au développement des libellules. Les marais continentaux sont plus rares et de superficie bien plus réduite. Ils sont tous de plus en plus drainés et fortement dégradés par l’agriculture intensive. On peut citer le marais de Gensac-la-Pallue, le delta de la Seugne, les tourbières alcalines de Vendoire dans la vallée de la Nizonne et celles des Régeasses dans le Montmorillonnais.

Vue aérienne du marais de Voutron (17)

De nombreux plans d’eau parsèment la région. Les plus vastes sont les quatre lacs de barrage : Touche-Poupard et Cébron-Puy Terrier en Deux-Sèvres et Mas-Chaban et Lavaud en Charente. Toutefois, la plupart de ces plans d’eau sont des étangs de taille moyenne ou petite, artificiels et très aménagés. Leur densité est inégale sur le territoire : le Confolentais, le Montmorillonais et la Gâtine sont les zones qui en comptent le plus. Beaucoup servent pour les loisirs, notamment pour la pêche et la chasse, ou sont des réserves d’eau pour l’irrigation. Certains sont aussi nés de l’extraction de sable ou d’argile. Dans certains cas, propres et bien végétalisés, ils peuvent présenter un réel intérêt pour les odonates. Par exemple, les étangs de Combourg et de Pleuville, à l’est, accueillent une odonatofaune particulièrement riche.

Enfin, on estime à 30 000 le nombre de mares dans la région. Leur répartition dépend beaucoup des sols et des paysages. Les zones bocagères traditionnellement vouées à l’élevage, avec des sous-sols plutôt imperméables, sont particulièrement riches en mares. C’est le cas des environs de Bressuire et de Parthenay en Deux-Sèvres et du Sud-est de la Vienne. On trouve aussi beaucoup de ces pièces d’eau sur des sols argilo-sableux, sur les terres de brandes de la Vienne mais aussi en Haute-Saintonge à l’extrême sud de la région. Les mares à la biodiversité la plus riche et donc les plus intéressantes pour les odonates sont très souvent celles en réseau.

Les 3 000 mares permanentes de la réserve du Pinail en Vienne sont ainsi particulièrement remarquables. Les mares, à l’instar d’autres zones humides, sont très menacées et leur nombre diminue rapidement sur tout le territoire.

Pour finir, il faut noter la multiplication actuelle, liée à l’évolution législative récente, de nouveaux milieux humides stagnants d’origine directement anthropique : les bassins de stockage des effluents routiers et les stations de lagunage pour l’épuration des eaux usées. La qualité de l’eau dans ces milieux est par définition médiocre mais il est intéressant d’en voir certains bien colonisés par plusieurs espèces de libellules, en particulier les plus pionnières.

Mare en zone d’élevage ovin dans la région de Confolens (16).

 

Eric PRUD’HOMME

 

L’accouplement

La recherche d’un partenaire prend plusieurs formes chez les libellules. Certaines espèces sillonnent inlassablement un territoire qu’elles défendent avec agressivité. Les mâles recherchent activement des partenaires et fondent à la poursuite des femelles traversant leur domaine. Chez d’autres espèces, les mâles se postent le long des cours d’eau et attendent que les femelles s’approchent. D’autres encore fréquentent des lieux de rendez-vous, à l’écart des cours d’eau, où mâles et femelles matures se regroupent.

Le phénomène de la parthénogenèse

La parthénogenèse est la capacité qu’ont les femelles de certaines espèces à se reproduire sans l’intervention de mâles. Ce phénomène, rare chez les libellules, n’a été constaté dans la nature que chez l’Ischnure citrine Ischnura hastata. Cette espèce américaine se reproduit de façon normale sur ses terres d’origine. Aux Açores, où l’espèce s’est probablement installée après l’arrivée de quelques individus américains emportés par des tempêtes, la population est uniquement composée de femelles. Toutes les pontes ne donnent naissance qu’à de nouvelles femelles.

Chez de nombreuses espèces, l’accouplement se fait immédiatement après la capture d’une femelle par un mâle. Chez les caloptéryx cependant, des parades nuptiales élaborées permettent aux mâles de séduire les femelles. Le mâle papillonne sur place devant sa dulcinée, exhibant ses atours colorés, puis tombe à l’eau et se laisse dériver sur quelques centimètres avant de reprendre son vol. Il semble que ce comportement puisse permettre à la femelle d’estimer la vitesse du courant et d’évaluer la qualité du territoire de son partenaire potentiel en tant que site de ponte.

Pour s’accoupler, les mâles de libellules doivent saisir les femelles grâce à leurs appendices anaux, au niveau de la tête ou du thorax selon les espèces. Chaque libellule a développé son propre système d’accroche, qui évite le plus souvent les tentatives d’accouplement entre espèces différentes. Les deux insectes forment alors un tandem.

Les pièces copulatrices du mâle sont situées sur le deuxième segment abdominal mais ses organes génitaux sous le neuvième. Avant toute copulation, le mâle doit donc effectuer en vol un transfert de sa semence tout en maintenant sa compagne. La femelle qui accepte l’accouplement replie son abdomen vers l’avant et, avec l’aide du mâle qui la ramène sous lui, les deux partenaires mettent en contact leurs pièces copulatrices.

L’accouplement peut se faire entièrement en vol, notamment chez les libellulidés, mais la plupart des espèces préfèrent se poser. Les partenaires accouplés forment le cœur copulatoire. L’accouplement peut être très bref (quelques secondes), quand il n’y a que transfert de sperme. Il peut être long et prendre plusieurs heures quand le mâle nettoie la cavité spermatique de la femelle avant d’y introduire sa semence. A l’aide de sorte de petits plumeaux, il élimine le sperme d’éventuels prédécesseurs et accroît ainsi ses propres chances de paternité. Mâles et femelles s’accouplent avec de nombreux partenaires différents, parfois à quelques minutes d’intervalle seulement.

 

Philippe Jourde

 

Biologie et écologie

 

Philippe Jourde

 

Bibliographie

Brooks S., Lewington R., 2004 – Field guide to the dragonflies and Damselflies of Great Britain and Ireland. 4ème édition. British Wildlife Publishing, Hook, 142 p.

Busse R., Jödicke R., 1996 – Langstrecken-marsch bei der Emergenz von Sympetrum fonscolombei (Sélys) in der marokkanischen Sahara (Anisoptera : Libellulidea). Libellula, 15 : 89-92.

Coppa G., 1991 – Notes sur l’émergence d’ (Charpentier) (Odonata : Cordudliidae). Martinia, 7 (1) : 7-16.

Corbet P.S., 2004 – Dragonflies : Behaviour and Ecology of Odonata. 2nd – edition. Harley Books, 830 p.

Jödicke R., 1994 – Marcha de larga distancia para la emergencia en Sympetrum fonscolombei (Sélys) y Orthetrum cancellatum (L.). Navasia, 3 : 5-6.

Jourde P., 2000 – Nouvelles données de captures d’odonates par un végétal non carnivore. Martinia, 16 (1) 3-7.

Jourde P., Hussey R., 2007 – Quelques cas d’émergences distantes de l’eau chez Ladona fulva (Müller, 1764) et Orthetrum albistylum (Selys, 1848) (Odonata, Anisoptera, Libellulidae). Martinia, 23 (2) : 67-69.

Martens A., Suhling F., 2003 – The barbed inflorescences of the grass Setaria verticilliata (L.) Palisot de Beauvois (Poaceae) as a lethal trap for dragonflies (Odonata). Cimbebasia, 18 : 243-246.

Papazian R., 1998 – Les odonates et les plantes épizoochores. L’Entomologiste, 54 (5) : 193-196.

Pickess B.P., 1987 – How far will larvae of Orthetrum cancellatum (L.) travel for their emergence ? JBDS, 3 : 15-16.

Proctor H., Pritchard G., 1989 – Neglected predators : water mites (Acari : Parasitengona : Hydrachnella) in freshwater communities. Journal of the North American Benthological Society, 8 : 100-111.

Dispersions, invasions et migrations

Si certaines espèces ne se dispersent guère autour de leur lieu de naissance (l’Agrion de Mercure Coenagrion mercuriale ne s’éloigne généralement pas à plus de quelques centaines de mètres de son site d’émergence), d’autres peuvent entreprendre de grands déplacements pour coloniser de nouveaux sites de reproduction. Les aeschnes, la Libellule déprimée Libelulla depressa et même de petites espèces comme les caloptéryx s’observent parfois à des dizaines de kilomètres de tout point d’eau.

L’Anax porte-selle Hemianax ephippiger entreprend des déplacements intercontinentaux pouvant le mener de l’Afrique à l’Europe et même de l’Afrique à l’Amérique !

Les déplacements de certaines espèces peuvent parfois être massifs. Ainsi des milliers de Sympétrum jaune Sympetrum flaveolum peuvent apparaître et même se reproduire ponctuellement dans des régions qu’ils ne fréquentent pas classiquement.

Les mouvements coordonnés du Sympétrum strié Sympetrum striolatum sont souvent qualifiés de migration. Ces déplacements, qui n’impliquent pas de retour à un point d’origine, concernent chaque automne des millions d’individus qui se déplacent face au vent le long des côtes du Centre-Ouest.

Les odonates, et tout particulièrement les anisoptères, sont de robustes insectes. Plusieurs espèces américaines, emportées par les tempêtes automnales, ont réussi à atteindre les côtes européennes. L’Anax de juin Anax junius, l’Ischnure citrine Ischnura hastata et la Sympétrule à front blanc Pachydiplax longipennis devraient être recherchées sur les côtes charentaises après le passage de fortes dépressions atlantiques.

 

Philippe Jourde

 

Etangs et mares de moins en moins favorables

Les étangs et les mares constituent des habitats privilégiés pour de très nombreuses espèces de libellules. Plus de 50 des 68 espèces de libellules picto-charentaises utilisent en effet ces pièces d’eau comme habitat de reproduction. Essentiellement d’origine humaine, ces milieux présentent, par leur hétérogénéité de formes, par leurs modes de gestion et par leur densité, des biotopes très intéressants. Cependant, ces habitats ont évolué de façon négative. Les étangs ont vu leur nombre fortement augmenter au cours de ces 40 dernières années. Mais, qu’ils soient à vocation agricole ou qu’ils aient été créés pour les loisirs, leur configuration est souvent défavorable à la biodiversité, avec des berges droites abruptes et une absence de hauts fonds. Ils souffrent en outre d’une gestion inadaptée des ceintures de végétation et, pour beaucoup, subissent une pression piscicole intensive (chaulage, empoissonnement …). La gestion « jardinée » de ces étangs est en outre à l’origine de bon nombre d’invasions biologiques : écrevisses, jussies, Myriophylle du Brésil… néfastes aux libellules. Parfois également, leur mauvaise exploitation, en particulier des vidanges réalisées par le haut et en mauvaise saison, entraîne des colmatages excessifs, une pollution organique et un réchauffement important de l’eau en aval.

La création d’étangs sur les sources et les ruisseaux, au niveau des têtes de bassin, sur les zones d’expansion de crues ainsi que dans le lit mineur, a fortement impacté la qualité, voire la pérennité des cours d’eau concernés. De nombreuses espèces animales au statut patrimonial important sont mises en danger par cette évolution. C’est le cas par exemple du Chabot Cottus gobio et de l’Écrevisse à pattes blanches Austropotamobius pallipes. Évidemment, plusieurs espèces d’odonates inféodés aux suintements et aux petits ruisseaux permanents sont également touchés : on peut citer l’Agrion de Mercure Coenagrion mercuriale, espèce protégée, mais aussi la Libellule fauve Libellula fulva ou encore le Caloptéryx hémorrhoïdal Calopteryx haemorrhoidalis.

Ainsi, seul un faible pourcentage des milliers d’étangs présents en Poitou-Charentes constitue des habitats favorables à des cortèges odonatologiques diversifiés.

Quant aux mares, avec la régression de l’élevage au profit de la céréaliculture et les nouvelles contraintes sanitaires, leur nombre a fortement diminué : à l’échelle du territoire national 90% de celles présentes au début du XXe siècle ont aujourd’hui disparu (Monot, 2003). En Poitou-Charentes, un inventaire a montré, en se basant sur une réactualisation des cartes IGN, que 26% des mares de la région avaient disparu de 1981 à 1990. Plus récemment, une estimation faite dans le bocage armoricain deux-sévrien, en Gâtine, fait état de 4% de disparition contre 1% de création entre 2002 et 2008 sur un échantillon de 757 mares (Boissinot, 2009). Actuellement, les estimations régionales en recense encore de 30 000 (PCN, 2001) à 42 857 (Scher, 2008). Au-delà de l’aspect quantitatif, l’état de conservation des mares du Poitou-Charentes se dégrade notamment en raison de l’apport d’espèces exogènes (poissons principalement), de l’expansion d’espèces invasives (ragondin, écrevisses…), de la pollution des eaux, de leur isolement et de pratiques de gestion inadaptées (sur-piétinement, abandon du curage, embroussaillement…). La disparition des mares constitue une réelle menace pour les espèces qui leur sont le plus associées. Les sympétrums, les lestes et certaines aeschnes (comme Aeshna mixta) sont ici les plus concernés.

Nicolas Cotrel

Bibliographie

Scher O., 2008 – The French pondscape, state of the art. 3nd European pond conservation workshop, Valancia. Spain. 14-16 th may 2008.

Richesse spécifique

Nombre d’espèces par département

Il s’agit d’un marqueur de la pression d’observation, notamment au niveau de la recherche des exuvies. Malgré une grande diversité des habitats entre le littoral et les zones continentales, le nombre d’espèces est relativement proche entre départements, même si des différences existent au niveau de la composition de l’odonatofaune.

En Poitou-Charentes, 68 espèces ont été inventoriées durant la période d’inventaire, dont 63 en Charente-Maritime, 60 en Vienne et en Charente, et 58 en Deux-Sèvres (figure 18). Parmi ces espèces, toutes ne se reproduisent pas dans les quatre départements, ainsi 46 espèces sur 58 (79%) inventoriées se reproduisent en Deux-Sèvres, 55 sur 60 (92%) en Charente, 56 sur 60 (93%) en Vienne et 59 sur 63 (94%) en Charente-Maritime. Le nombre total d’espèces de libellule se reproduisant en Poitou-Charentes est de 63 sur les 68 actuellement connues (93%).

Nombre d’espèces par commune

Ce critère est également un bon marqueur de la pression d’observation de terrain, mais également de la richesse en espèces, qui découlent de la diversité des habitats dans une même commune.

Cinquante deux espèces ont été inventoriées sur la commune de Vouneuil-sur-Vienne (comprenant la Réserve Naturelle du Pinail), dans le département de la Vienne. Cette dernière apparaît comme étant la commune la plus riche de la région. Elle est talonnée de près par la commune de Corignac en Charente-Maritime, avec 50 espèces. Au total 15 communes de la région accueillent plus de 40 espèces (figure 19).

Nombre d’espèces par localité

Ce critère démontre la richesse d’un site donné en espèces, et traduit l’importance odonatologique des localités.

Le site régional le plus riche en nombre d’espèces, est la réserve naturelle du Pinail en Vienne, avec 47 espèces, puis les Landes de Corignac en Charente-Maritime, avec 44 espèces. 19 autres localités, essentiellement réparties le long des principales vallées de la région, accueillent plus de 30 espèces (figures 20 et 21).



Laurent PRECIGOUT, Philippe JOURDE, Eric PRUD’HOMME