La protection des libellules

Statut juridique de protection

Face à la dramatique érosion de la biodiversité qu’ont connu l’Europe et la France depuis près d’un siècle et sous la pression des protecteurs de la nature, les législateurs ont intégré le fait que certaines espèces animales et végétales, parmi les plus menacées, devaient bénéficier d’un statut juridique de protection.

Au plan international, plusieurs textes ont été adoptés pour protéger la faune et la flore. La Convention de Berne du 19 septembre 1979, relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, dresse dans son annexe 2 la liste des espèces de faune strictement protégées. On y trouve 16 espèces d’odonates dont 10 espèces sont présentes en France : huit anisoptères et deux zygoptères.

La directive européenne n°92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la protection des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite directive Habitats-Faune-Flore (DHFF), marque une étape décisive dans la protection de la nature en définissant des règles supranationales, dont l’objectif est de garantir le maintien de la biodiversité européenne dans un état de conservation favorable. Dans son annexe 2, elle définit notamment la liste des espèces animales d’intérêt communautaire dont la conservation nécessite la désignation de Zones Spéciales de Conservation. Ces ZSC constituent, avec les Zones de Protection Spéciales désignées pour les oiseaux, un réseau de sites naturels d’importance européenne : le réseau Natura 2000. Dans son annexe 4, la directive Habitats-Faune-Flore dresse l’inventaire des espèces animales d’intérêt communautaire qui nécessitent une protection stricte. Seize espèces de libellules sont intégrées aux annexes de la DHFF. Les 10 espèces présentes en France sont les mêmes que celles considérées par la Convention de Berne. Six sont inscrites à l’annexe 2 et huit à l’annexe 4, mais les raisons justifiant cette répartition apparaissent assez floues.

Au plan national, la promulgation de la loi relative à la protection de la nature (loi 76-629 du 10 juillet 1976) traduit une prise de conscience collective sur la nécessité de préserver la nature et toutes ses composantes. Complétée par une série de textes d’application, elle définit le régime de protection des espèces mais interdit aussi la destruction, l’altération ou la dégradation de leurs habitats.

Il faut attendre 1979, et plus précisément l’arrêté du 3 août, pour que paraisse la première liste des insectes protégés de France. Malheureusement, aucun odonate ne figure dans ce texte inabouti, qui ne recense que quelques papillons, cinq coléoptères et deux orthoptères.

  • L’arrêté du 22 juillet 1993 actualise la liste des insectes protégés sur le territoire national. Il intègre désormais dix odonates de France métropolitaine, pour lesquelles la destruction, la collecte, le transport, l’utilisation, la vente et l’achat sont interdits. Ce travail n’est malheureusement qu’une simple transcription en droit français de l’obligation de protection induite par la directive Habitats-Faune-Flore. Seules y figurent les dix espèces d’intérêt communautaire.
  • L’arrêté du 23 avril 2007 révise le texte précédent. Le législateur ne prend pas en compte l’avancée des connaissances relatives au statut de conservation des espèces et reprend une fois encore la liste établie par la convention de Berne, près de 30 ans auparavant. Plusieurs espèces menacées de disparition à l’échelle nationale ne sont toujours pas protégées en France !

Dans son article 2, ce texte définit en trois points le régime de protection des espèces :

  • « Sont interdits, sur tout le territoire métropolitain et en tout temps, la destruction ou l’enlèvement des œufs, des larves et des nymphes, la destruction, la mutilation, la capture ou l’enlèvement, la perturbation intentionnelle des animaux dans le milieu naturel. »
  • « Sont interdites, sur les parties du territoire métropolitain où l’espèce est présente ainsi que dans l’aire de déplacement naturel des noyaux de populations existants la destruction, l’altération ou la dégradation des sites de reproduction et des aires de repos des animaux. Ces interdictions s’appliquent aux éléments physiques ou biologiques réputés nécessaires à la reproduction ou au repos de l’espèce considérée, aussi longtemps qu’ils sont effectivement utilisés ou utilisables au cours des cycles successifs de reproduction ou de repos de cette espèce et pour autant que la destruction, l’altération ou la dégradation remette en cause le bon accomplissement de ces cycles biologiques. »
  • « Sont interdits, sur tout le territoire national et en tout temps, la détention, le transport, la naturalisation, le colportage, la mise en vente, la vente ou l’achat, l’utilisation commerciale ou non, des spécimens prélevés dans le milieu naturel du territoire métropolitain de la France après le 24 septembre 1993 ; dans le milieu naturel du territoire européen des autres états membres de l’Union européenne, après la date d’entrée en vigueur de la directive du 21 mai 1992 », à savoir la directive Habitats-Faune-Flore.

L’Agrion de Mercure ne bénéficie pas de la protection accordée à son habitat tel que stipulé dans le deuxième point de l’arrêté. Il est par contre pleinement protégé en tant qu’espèce au même titre que les neuf autres espèces.

 

Philippe JOURDE

 

Bibliographie

Dommanget J.-L., 1987 – Liste rouge des espèces menacées (première liste : décembre 1986) in Etude Faunistique et bibliographique des odonates de France. Inventaires de Faune et de Flore, MNHN/SFF, 36 : 113-120.

Dommanget J.-L., Prioul B., Gadjdos A., Boudot J.-P., 2008. ument préparatoire à une Liste Rouge des Odonates de France métropolitaine complétée par la liste des espèces à suivi prioritaire. Société française d’odonatologie (Sfonat). Rapport non publié, 47 p.

Maurin H., 1994 – Le livre rouge. Inventaire de la faune menacée en France. WWF/MNHN/Nathan, 176 p.

Poitou-Charentes Nature (PCN), 2007 – Liste rouge des Libellules menacées du Poitou-Charentes. Statut de conservation des odonates et priorités d’actions. Poitou-Charentes Nature, Poitiers, 48 p.

Prévost O., Durepaire P., 1996 – Les odonates du Pinail (département de la Vienne). Martinia, 12 (2) : 31-46.

IUCN 2009. IUCN Red List of Threatened Species. Version 2009.1. www.iucnredlist.org. Téléchargement du 05/08/2009.