L’impact croissant des espèces exogènes

Les espèces exotiques envahissantes constituent actuellement la troisième cause de déclin de la biodiversité à l’échelle mondiale, après la destruction, la régression et le morcellement des habitats naturels et le changement climatique (UICN). Ce terme englobe des populations animales ou végétales introduites par l’Homme dans un domaine géographique nouveau. Elles s’y installent et causent des perturbations sur le fonctionnement de l’écosystème d’accueil, nuisant ainsi à la biodiversité autochtone. La règle empirique des 10 % explique le phénomène (Williamson, 1996). Seuls 10 % des introductions ne se soldent pas par un échec et 10 % de ces dernières auront un impact négatif majeur, soit 1% de toutes les espèces introduites.

Parmi les espèces introduites qui se sont révélées invasives, 4 ont un impact particulièrement significatif sur les habitats utilisés par les libellules en Poitou-Charentes de par leur dynamique de population, leur capacité d’adaptation et leur effet de remplacement de la biodiversité en place :

  • Ecrevisse de Louisiane Procambarus clarkii : parmi les écrevisses exotiques implantées dans la région, celle-ci est de loin la plus invasive. Arrivée en 1976 en France et depuis une dizaine d’années dans la région, cette écrevisse a connu une progression très rapide. Par sa dynamique de population et sa voracité (elle peut s’attaquer à des Tritons marbrés adultes), elle a entraîné des changements radicaux des habitats colonisés, notamment par la destruction de la végétation et de la micro-faune aquatique mais surtout par le fait du fouissement. Les particules de vases sont alors mises en suspension, l’eau devient turbide, la lumière disparaît, une chute de l’oxygénation se produit ce qui entraîne l’asphyxie des herbiers et la disparition des larves et alevins qui s’y abritaient. L’impact de sa présence est particulièrement visible en Charente-Maritime et depuis 2006 dans la partie deux-sèvrienne du Marais poitevin où les milieux se stérilisent progressivement. Sa progression rapide sur les bassins de la Sèvre niortaise et de la Boutonne est donc inquiétante.
  • Ragondin Myocastor coypus : par sa consommation importante de plantes aquatiques, rivulaires ou en herbiers, ce mammifère a fortement contribué à limiter les conditions d’accueil favorable aux libellules sur les rivières et les eaux stagnantes en limitant la surface et la diversité des plantes supports de ponte et en réduisant la ressource trophique. La population a atteint un tel niveau en Poitou-Charentes que pas moins de 74 800 individus ont été éliminés (piégeage, tir) en 2008 (source : FREDON).

  • Jussies Ludwigia peploïdes, L. uruguayensis : ces deux espèces exogènes originaires d’Amérique du Sud constituent la principale menace végétale en Poitou-Charentes, par leur capacité à se disperser par simples boutures et à composer rapidement d’importants tapis en surface à partir des berges. Aux premiers stades de colonisation, l’espèce semblerait plutôt favorable aux libellules en fournissant un support de ponte supplémentaire pour de nombreuses espèces recherchant des tiges affleurantes (Anax empereur, Agrion à longs cercoïdes, Agrion orangé…). Cependant, lorsque le tapis est installé depuis plusieurs années, la surface de l’eau n’étant plus accessible et les autres espèces végétales ayant disparu, celui-ci devient rapidement très néfaste et plus aucune espèce ne peut s’y reproduire. Des plans de lutte généralisés sont mis en place sur la plupart des cours d’eau pourvus de syndicats de rivière, les premiers ayant commencé il y a 15 ans. Sur les 10 % des introductions qui se traduisent par une implantation, seul 10 % ont un impact négatif majeur, soit 1 % de toutes les espèces introduites. Cela dit, il s’avère qu’en de nombreux endroits, la Jussie demeure le seul végétal qui résiste au ragondin. Elle constitue donc le dernier site de ponte potentiel pour les libellules. Grande épuratrice, elle améliore la qualité d’eau dans les zones les plus dégradées et permet le retour de plantes oligotrophes comme les utriculaires. Aujourd’hui, il apparait nettement que la lutte chimique contre la Jussie est bien plus nocive pour l’environnement que pour la Jussie elle-même.

  • Myriophylle du Brésil Myriophyllum aquaticum : comme les jussies, cette plante a tendance à former rapidement des tapis denses et mono-spécifiques, évinçant ainsi les espèces locales. Ces herbiers présentent souvent une diversité spécifique d’invertébrés aquatiques moindre (Chauvel. G, Lebouc. A. 2004) et peuvent entraîner la mort des poissons par asphyxie. Cette plante a cependant une répartition plus limitée que les jussies, ce qui peut être à l’origine de l’absence de plans de lutte organisés.

A contrario, des espèces invasives telles que les Elodées (Egeria nutalli, E. densa) ne semblent pas poser de problèmes aux libellules qui les utilisent également comme supports de pontes, de développement larvaire et de zones de chasse, en remplacement des herbiers originaux de Myriophylle, de Callitriche . De nombreuses autres espèces exogènes devenues envahissantes présentent certainement des impacts sur l’odonatofaune (Xénope lisse Xenopus laevis, Grenouille taureau Rana catesbeina, poissons introduits…) mais faute d’études spécifiques, ceux-ci n’ont pu être ni démontrés, ni mesurés.

Pour toutes ces espèces, l’objectif reste donc de limiter l’émergence de nouvelles invasions biologiques, d’évaluer l’impact environnemental des espèces installées et de mettre en place des plans de lutte respectueux de l’environnement.

Nicolas COTREL

Bibliographie

Chauvel G., Lebouc A., 2004 – Désherbage des zones aquatiques et semi-aquatiques : Bilan, préconisation d’encadrement et restrictions d’usages. SPV.

Williamson M., 1996 – Biological invasions. Chapman & Hall, Londres. 244 p. Sites internet du Réseau Partenariral des Données sur l’Eau (www.eau-poitou-charentes.org) et de la Coordination pour la défense du Marais Poitevin (http://www.marais-poitevin.org/).