La prise en compte des odonates menacés dans les sites protégés et les zonages de protection

Odonates et réserves naturelles

Mis à part la réserve géologique du Thouarsais, toutes les autres réserves naturelles nationales du Poitou-Charentes sont des zones humides. Leur importance pour la préservation des libellules n’est cependant pas égale.

  • La réserve naturelle du Pinail est de loin la plus riche sur ce plan. Cette lande, couverte de mares issues de l’exploitation de la pierre meulière, abrite les principales populations régionales de deux des sept espèces considérées comme en danger critique d’extinction en Poitou-Charentes (Leucorrhinia caudalis et L. pectoralis). La réserve héberge aussi plusieurs espèces menacées ou en danger comme Aeshna isoceles, Somatochlora flavomaculata ou Lestes sponsa et Lestes dryas. Au total 48 espèces de libellules ont été observées sur le site et 33 s’y reproduisent (Prévost & Durepaire, 1996).
  • Les réserves naturelles de Moëze-Oléron et du Marais d’Yves présentaient jusqu’en 1999 un intérêt majeur pour le Leste à grands stigmas Lestes macrostigma, au bord de l’extinction en Poitou-Charentes. Cette espèce littorale trouvait dans des grandes scirpaies de ces espaces lagunaires des habitats idéaux. La submersion par l’eau de mer intervenue durant la tempête de décembre 1999 a fait disparaître l’espèce de ces deux principaux sites continentaux. En 2009 toutefois, le Leste à grands ptérostigmas Lestes macrostigma est réapparu à la réserve d’Yves. Cette espèce y fera l’objet d’une attention toute particulière. D’autres espèces ont pu recoloniser la zone à partir des marais arrière-littoraux. Les deux réserves accueillent d’importantes populations de Lestes dryas (en danger), de Lestes virens et de Sympetrum fonscolombii (vulnérables). Chaque année, des centaines de milliers de Sympetrum méridionale et S. striolatum émergent des scirpaies saumâtres.

Trente et une espèces ont été inventoriées dans la réserve d’Yves et 22 dans la réserve de Moëze.

  • Les réserves de Lilleau-des-Niges et de la Baie de l’Aiguillon présentent un moindre intérêt en matière de libellules du fait de la forte teneur en sel de leurs zones humides. A notre connaissance, le Leste à grands stigmas n’est plus présent dans les prés salés et les dépressions arrière-littorales de la partie charentaise de l’Anse de l’Aiguillon. Les deux réserves abritent toutefois d’importantes populations de lestes et de sympétrums.

Le réseau des réserves régionales est en cours de constitution. Dans l’attente d’un réel statut de protection pour ces espaces, il est difficile d’évaluer leur intérêt odonatologique.

Odonates et sites gérés CREN, CEL et LPO

Au plan régional, plusieurs associations de protection de la nature ont acquis et/ou gèrent des espèces à haute valeur biologique. Le Conservatoire du Littoral et le Conservatoire Régional d’Espaces Naturels de Poitou-Charentes (CREN) ont pour vocation d’acquérir et/ou de gérer des espaces naturels pour assurer leur préservation.

Le CREN est propriétaire ou gestionnaire de plusieurs espaces remarquables pour les odonates, telles que les landes de Corignac dans le sud de la Charente-Maritime, les landes de l’Hôpiteau en Deux-Sèvres ou les Landes de Lussac-les-Châteaux en Vienne, permettant notamment le maintien des populations relictuelles de Leucorrhines à front blanc, à gros thorax et à large queue.

La LPO, en investissant dans l’acquisition de zones humides, a favorisé le maintien d’écosystèmes remarquables dans le marais de Rochefort notamment. Plusieurs espèces menacées y trouvent désormais refuge, dont une importante population de centaines de milliers de Leste dryade Lestes dryas.

Odonates et ZSC

Le réseau Natura 2000 couvre environ 12 % de la superficie du Poitou-Charentes ; 40 000 ha sont désignés en tant que Zones Spéciales de Conservation (ZSC) au titre de la directive Habitats-Faune-Flore (DHFF). L’objectif de ce réseau est de maintenir les espèces d’intérêt communautaire dans un état de conservation favorable.

Le réseau actuel de ZSC recouvre l’essentiel des grandes rivières et des grands fleuves et intègre la quasi-totalité des localités de Cordulie splendide Macromia spendens et de Gomphe de Graslin Gomphus graslinii. La majorité des sites à leucorrhines sont aussi intégrés au réseau Natura 2000, notamment les landes de Montendre, du Pinail, de Lussac-les-Châteaux…

Par contre, le périmètre des ZSC ne recouvre que partiellement la répartition d’espèces à population plus dispersées comme la Cordulie à corps fin Oxygastra curtisii ou, de façon plus évidente, l’Agrion de Mercure Coenagrion mercuriale. La prise en compte de cette espèce doit donc être considérée comme prioritaire dans la mise en place d’outils d’aménagement complémentaire comme les trames bleues par exemple. Plusieurs documents d’objectifs Natura 2000 proposent toutefois des mesures de gestion favorables à ces deux espèces. C’est par exemple le cas en Charente, dans la vallée de la Tardoire, où la ripisylve fait l’objet d’une gestion différenciée et où des mesures de restauration du fonctionnement naturel des cours d’eau sont mises en œuvre.

Nature 2000, le grand flop ?

La mise en œuvre de Natura 2000 en France a fait couler beaucoup d’encre. Pourtant basée sur la concertation et la contractualisation volontaire, cette démarche continue de soulever des oppositions farouches et généralement totalement irrationnelles. Après plus de 10 ans de transposition de la directive Habitats-Faune-Flore dans la loi française, les mesures concrètes sont rares sur le terrain en Poitou-Charentes.

 

Philippe JOURDE

 

Bibliographie

Prévost O., Durepaire P., 1996 – Les odonates du Pinail (département de la Vienne). Martinia, 12 (2) : 31-46.