Observer les libellules

Où trouver les libellules ?

Les libellules sont très liées aux milieux aquatiques dans lesquels les larves vivent. Les adultes s’en éloignent parfois lors de leur période de maturation sexuelle, mais la plupart y reviennent pour s’accoupler et toutes pour pondre. En fonction des espèces, toutes sortes de milieux aquatiques (mares, étangs, marais, ruisseaux, rivières …) peuvent héberger des populations plus ou moins importantes de libellules. C’est près des zones d’eau douce que l’on trouve le plus facilement des odonates. Les cortèges les plus variés sont observés près des mares, étangs, rivières calmes, tout particulièrement là où se développe une végétation aquatique et rivulaire. Certaines espèces sont plus inféodées aux eaux courantes, d’autres aux eaux stagnantes. Si les eaux salées sont impropres au développement des larves, les eaux saumâtres peuvent être tolérées par quelques espèces.

D’une manière générale, c’est donc au bord de l’eau que l’on a le plus de chance de rencontrer des libellules, même si de nombreux individus en chasse ou en phase de maturation peuvent être observés loin de l’eau dans des prairies, clairières et autres milieux riches en plantes.

Mais quel que soit le mode de recherche des libellules, gardez à l’esprit que vos activités doivent se dérouler dans le plus grand respect des propriétés et des habitats, en évitant toute dégradation, les milieux humides étant particulièrement fragiles !

Quand observer les libellules ?

L’observation des libellules dans les zones humides peut se faire pendant une grande partie de l’année (entre mars et novembre) selon les espèces, les conditions météorologiques et les régions.

Cependant, la période la plus favorable pour l’observation des libellules en émergence, en phase de maturation ou bien les adultes, se situe entre avril et octobre. Certaines espèces, comme le Leste brun Sympecma fusca, hivernent à l’état adulte, et peuvent donc être observées dès les beaux jours. D’autres, comme le Sympétrum strié Sympetrum striolatum et l’Aeschne bleue Aechna cyanea, plus tardives, peuvent voler jusqu’à la fin du mois de novembre.

Les libellules sont des insectes très sensibles à la température et aux conditions climatiques, elles sont surtout actives aux heures les plus chaudes de la journée S’il fait froid, qu’il pleut ou que le vent souffle, leur activité est réduite et elles préfèrent rester cachées, souvent posées en hauteur dans les arbres ou au milieu des hautes herbes.

Les prospections doivent être orientées pendant la phase optimale d’activité des libellules, à savoir entre 10h et 18h, par temps ensoleillé, vent faible et températures comprises entre 18 et 30°C. D’une manière générale, prospectez à la mi-journée, par temps calme et ensoleillé. Il est bien évident que ces informations très simplifiées doivent être adaptées à chaque cas particulier en fonction de l’objectif de vos recherches.

Les zygoptères ou demoiselles de petite taille sont, dans la majeure partie des cas, peu mobiles et restent à proximité du couvert végétal. Recherchez-les dans les hautes herbes et les milieux proches des berges.

Les anisoptères (grandes espèces) sont souvent plus difficiles à approcher. Insectes hyperactifs pour la plupart, ils se déplacent beaucoup, et pour les observer il est nécessaire de les repérer en vol, et d’attendre qu’ils se posent avant de pouvoir s’approcher avec précaution.

La recherche d’exuvies se fait en général sur la même période que celle des imagos, elle peut ponctuellement et localement être réalisée en hiver, notamment sous les ponts, où les dépouilles larvaires ne sont pas soumises aux intempéries et peuvent rester accrochées très longtemps.

De mars à octobre selon les espèces, les larves quittent le milieu aquatique pour effectuer leur dernière mue. Elles sortent de l’eau, pendant la nuit ou tôt le matin selon les espèces, et grimpent à faible hauteur sur les plantes aquatiques ou sur les plantes rivulaires pour accomplir l’ultime mue faisant apparaître l’imago. La recherche des émergences et des exuvies est donc à privilégier en matinée, par temps non pluvieux, vent faible.

La recherche de larves peut se faire toute l’année. Les relevés seront réalisés sur les milieux de développement larvaire, soit sur la totalité d’un habitat (mare, suintement…), soit sur un ou plusieurs secteurs dans le cas de milieux linéaires (cours d’eau) ou de grande taille (lacs, plans d’eau …).

Les libellules et la législation française

Attention ! Pour la recherche des libellules, comme pour toutes pratiques naturalistes, il est important de connaître la législation en cours concernant les espèces protégées sur le territoire français.
De nombreuses espèces et populations de libellules souffrent de la destruction ou de la dégradation de leurs habitats. De ce fait, l’État a mis en place un arrêté de protection pour les espèces les plus menacées en France. Parmi les 68 espèces de libellules présentes en Poitou-Charentes, 8 d’entre elles font partie de la liste des espèces protégées en France, et ne peuvent donc pas être capturées (sauf autorisation préfectorale spécifique).

Arrêté du 23 avril 2007 fixant la liste des insectes protégés sur le territoire national

Article 2 – I : Sont interdits, sur tout le territoire métropolitain et en tout temps, la destruction ou l’enlèvement des œufs, des larves et des nymphes, la destruction, la mutilation, la capture ou l’enlèvement, la perturbation intentionnelle des animaux dans le milieu naturel […] Ce nouvel arrêté remplace celui du 22 juillet 1993.

Liste des 8 espèces du Poitou-Charentes figurant parmi les espèces protégées en France

Coenagrion mercuriale (Charpentier, 1840) Agrion de Mercure
Gomphus flavipes (Charpentier, 1825) Gomphe à pattes jaunes
Gomphus graslinii (Rambur, 1842) Gomphe de Graslin
Leucorrhinia albifrons (Burmeister, 1839) Leucorrhine à front blanc
Leucorrhinia caudalis (Charpentier, 1840) Leucorrhine à large queue
Leucorrhinia pectoralis (Charpentier, 1825) Leucorrhine à gros thorax
Macromia splendens (Pictet, 1843) Cordulie splendide
Oxygastra curtisii (Dale, 1834) Cordulie à corps fin

Le matériel utilisé pour l’observation et l’inventaire des libellules

Les libellules sont pour la plupart des insectes farouches. Il convient donc d’adapter sa tenue vestimentaire en évitant les couleurs trop claires ou trop tranchantes vis-à-vis du paysage, car ils rendent trop perceptibles les mouvements de l’observateur. La prospection des zones humides nécessite une paire de bottes, voire des cuissardes ou des wadders dans certains cas. Outre la tenue vestimentaire adaptée, l’observation des libellules requiert un minimum de matériel.

Pour les personnes encore peu familiarisées avec les libellules, l’identification peut être assez délicate et nécessite, dans la grande majorité des cas, de capturer temporairement des individus sur le terrain afin d’examiner les critères spécifiques. En ce qui concerne les exuvies et les larves, le prélèvement s’impose dans de nombreux cas, car leur identification réclame un examen précis à l’aide de matériel optique et de documents scientifiques adéquats.

Le filet entomologique se présentant sous des formes assez variées selon les fournisseurs, se compose souvent d’un manche d’1 à 2 m, fixe, télescopique ou démontable en plusieurs parties, selon les cas. A l’extrémité de ce dernier, se fixe un cercle métallique de 30 à 50 cm de diamètre, pourvu d’une poche plus ou moins longue, le plus souvent en nylon ou en polyester. La partie de la poche s’insérant dans le cercle doit être renforcée afin d’éviter l’usure prématurée de cette dernière, qui est due au fauchage de la partie supérieure de la végétation. De même, la poche doit être translucide afin de permettre la localisation de l’insecte. Enfin, elle doit être suffisamment profonde pour permettre de bloquer l’insecte dans le fond de la poche en tournant d’un quart de tour le manche immédiatement après la capture, évitant ainsi sa fuite.

Le filet troubleau, sert pour l’étude des larves. La capture des larves ne peut correspondre qu’à des études scientifiques particulières telles que la recherche sur le développement ou le comportement larvaire, nécessitant un élevage. Dans ce cas, il faut veiller à ne pas bouleverser ou perturber les habitats aquatiques par des prélèvements importants. Comme son nom l’indique, ce filet est destiné à la récolte des animaux vivant dans l’eau. Il se compose d’un manche et d’un cercle solide, en fer ou en aluminium de 20 à 30 cm de diamètre, pourvu d’une poche nylon à fines mailles. Le filet troubleau est alors passé le long des plantes aquatiques, des racines et sur la vase ou le sable se trouvant sur le fond. Quand il est plein, la récolte est triée sur un bout de bâche par exemple, afin de séparer minutieusement les larves des débris végétaux. Les larves capturées pourront soit être identifiées sur place selon les cas, soit transportées dans un bocal rempli d’eau avec des plantes humides (à l’abri de toute chaleur), puis mis en élevage.

La loupe aplanétique (pliante, achromatique, à superposition…) est utile pour contrôler in situ, et après capture, les critères fins de certains individus d’identification délicate. Ces loupes sont peu encombrantes et se replient dans un étui protecteur. Les grossissements utiles à l’observateur vont de 8 X à 20 X. Ces loupes sont disponibles dans les magasins optiques chez les fournisseurs de matériels entomologiques, etc.

Les jumelles à mise au point rapprochée. Pour les personnes déjà bien familiarisées à l’identification des libellules, des jumelles à mise au point rapprochée peuvent permettre dans certains cas (individus posés, mâles adultes d’espèces d’identification aisées), la reconnaissance de l’individu observé. Elles sont aussi utiles pour observer les mouvements et autres comportements de ces insectes ou bien encore pour détecter leur présence dans un secteur éloigné de l’observateur. Les marques et les modèles de jumelles permettant une vision allant de l’infini jusqu’à moins de 2 m, sont nombreux. Il appartient donc à chacun de faire son choix.

Un appareil photo numérique, adapté à la prise de vue rapprochée, peut être d’une grande aide. Bien sûr pour obtenir des images des habitats aquatiques et de leur environnement, des espèces in situ, mais aussi pour conserver une preuve de la présence de telle ou telle espèce particulière, afin d’en assurer l’éventuelle validation si un doute existe sur son identification. Une multitude d’appareils existe sur le marché, du plus économique à l’équipement professionnel.

Un ou plusieurs guides d’identification de terrain s’avèrent absolument nécessaires, même si, avec l’expérience, on arrive rapidement à reconnaître de plus en plus d’espèces. Il est important de posséder des ouvrages aussi complets que possible englobant un territoire plus vaste que celui étudié. En effet, le changement global en cours, avec des bouleversements climatiques, peut permettre l’apparition de nouvelles espèces, pas forcément prises en compte dans certains ouvrages. Aussi, mieux vaut privilégier des guides d’identification des libellules prenant l’ensemble des espèces françaises, européennes, voire d’Afrique du Nord. Il convient également de privilégier des ouvrages comportant des clés d’identification présentant plusieurs critères pour chaque espèce, ainsi que des schémas et illustrations. Ces guides apportent également des compléments d’information pour chaque espèce (éléments de biologie, habitats utilisés, répartition, période de vol.) sous forme de textes et de carte de répartition.

Un carnet de terrain, une feuille de relevé spécifique ou bien encore un ordinateur de poche PDA permettront d’indiquer toutes les informations relatives à l’observation (noms de l’observateur, lieux précis, date, nom de l’espèce observée, comportement, effectifs, etc.). Ils constitueront l’équipement de base qui pourra être, si nécessaire, complété par d’autres accessoires et matériels. Des modèles de formulaires d’observation des Libellules de France sont disponibles dans chaque association départementale de protection de la nature de la région.

La récolte et l’identification des exuvies

L’exuvie est la dépouille larvaire de la libellule, c’est-à-dire l’enveloppe (cuticule ou peau) que le corps de l’animal a quittée lors de la mue et qui est remplacée par une nouvelle.

La recherche des exuvies apporte de nombreuses informations sur le statut de reproduction des espèces, leur abondance et leur phénologie d’émergence. La récolte de ces exuvies est donc une méthode d’inventaire très intéressante, pouvant rapidement apporter des informations sur les populations d’odonates d’un lieu donné. C’est également le moyen de pouvoir recenser des espèces relativement discrètes ou à faibles effectifs. Une fois récoltés, des spécimens caractéristiques de chaque espèce, permettront la constitution de collections de référence, qui serviront par la suite de comparaison, notamment pour les espèces ressemblantes dont la détermination est délicate.

Elle peut se faire depuis la berge d’un cours d’eau ou d’un étang, d’une mare. Cependant, dans bien des cas, l’utilisation d’un canoë ou d’une petite barque peut grandement faciliter cette tâche, tout en respectant les berges. Une embarcation est notamment nécessaire pour prospecter les piles et les voûtes de ponts des cours d’eau, très utilisés par certaines espèces pour leur métamorphose. Leurs dépouilles larvaires sont ainsi faciles à trouver et à collecter.

Les exuvies sont récoltées à l’aide d’une pince souple (pourvue d’un cordon afin d’éviter de la perdre) puis placées dans une boite en polyéthylène rigide ou semi-rigide. Il est important, pour identifier l’espèce concernée, de mettre sur la boîte une étiquette indiquant le lieu précis, la date de récolte et le nom de l’observateur.

L’identification des exuvies est un travail minutieux qui doit se faire dans un local sans courant d’air. Des pinces fines et des pinceaux permettent de manipuler aisément les dépouilles larvaires qui sont très fragiles. Pour l’observation et l’identification des espèces, il est également nécessaire d’utiliser du matériel optique adapté. Loupe aplanétique (10 X) pour les espèces de détermination aisée, et une loupe binoculaire (10-80 X), pourvue d’un bon dispositif d’éclairage pour les autres. il faut également prévoir un ou plusieurs ouvrages d’identification destinés à la reconnaissance des stades pré-imaginaux (Heideman & Seidenbush, 2002 ; Gerben & Sternberg,1999 ; Cham, 2007).

Photographier des libellules

La photographie est un élément important de la connaissance des libellules. Elle constitue une technique complémentaire indispensable pour accumuler des documents de référence concernant les espèces, les comportements et les habitats, ce qu’une collecte ne permet pas.

En outre, elle permet la validation de l’identification d’une espèce, surtout lorsqu’un spécimen douteux n’a pas été conservé (dans ce dernier cas, il est important que les critères de reconnaissance soient bien visibles sur l’image).

La photographie de ces insectes n’est pas facile, de nature méfiantes et pourvues d’une vue remarquable, les libellules réagissent au moindre mouvement et il est fort difficile de s’en approcher en catimini. Tout geste ou déplacement brusque doivent être évités. Les photographier nécessite donc beaucoup de patience et un minimum de matériel.

Sans rentrer dans les détails techniques, car de nombreux ouvrages existent dans ce domaine, nous donnerons ici quelques conseils de base pour réaliser des clichés de libellules.

Idéalement, un appareil réflex muni d’un objectif macro d’une focale de 100 mm auquel on ajoutera un flash TTL en cas de faible luminosité, constitue l’équipement de base. Dans certains cas, des focales plus importantes (200 mm, 400 mm) peuvent être utiles pour photographier les espèces les plus farouches. Choisir le bon éclairage en évitant les ombres portées, et surtout, n’hésitez pas à réaliser plusieurs clichés.

Quelques conseils pour photographier les libellules en vol

Pour les petites espèces de libellules (les zygoptères) :

Elles ont l’habitude de se poster sur des tiges d’herbe de la végétation rivulaire du milieu aquatique prospecté et, dès qu’on leur fait peur, elles s’envolent pour revenir exactement sur le même brin d’herbe.

Approchez à environ 50 cm de la libellule, faire la mise au point avant que celle-ci ne s’envole. Après l’envol, restez le plus immobile possible, votre appareil toujours orienté sur l’emplacement choisi, et dès qu’elle rentre dans le viseur en revenant se poser, vous aurez quelques dixièmes de seconde pour déclencher.

Pour les grandes libellules (les anisoptères, qui volent presque sans arrêt) :

Pas de chance, c’est encore plus dur ! Il s’agit de se mettre à l’affût près d’un point d’eau et attendre que la dite libellule apprivoise votre présence. Avec un peu de chance (il en faut également), elle va venir vous tutoyer parfois à 40 cm en faisant une seconde ou deux de vol stationnaire. C’est le temps que vous avez pour viser, faire la mise au point et déclencher. Là encore, facile non ?

Laurent PRECIGOUT