Les eaux courantes

Même si la région Poitou-Charentes n’offre pas de grandes disparités de relief et de climat, la physionomie des rivières petites à grandes varie beaucoup au gré de leur cours et offre un panel important d’habitats pour les odonates. Plusieurs facteurs, souvent interdépendants, conditionnent la présence des différentes espèces. Ces facteurs peuvent changer sur une même rivière en quelques mètres.

Les sources, fontaines et résurgences

Zones de passage des eaux souterraines à superficielles, les sources sont alimentées par les nappes phréatiques de faible profondeur. Très souvent, elles ont été aménagées par l’homme qui a ajouté fontaines, bassins ou lavoirs et a ainsi profondément transformé la physionomie naturelle de la résurgence, qui pouvait varier en fonction des situations géologiques locales de la source jaillissante au suintement ou à la mare. On distingue deux grands types de sources en Poitou-Charentes, celles d’eau douce dans les zones non-calcaires et celles d’eau dure, très riches en carbonate de calcium dans les plaines sédimentaires. Certaines résurgences issues d’un transit de l’eau dans un long dédale de cavités karstiques présentent des dimensions exceptionnelles, comme par exemple celles qui donnent naissance à la touvre en Charente ; toutefois, dans la région la plupart des sources sont de petite taille. Les sources constituent des micro-habitats dans lesquels l’eau présente des caractères particuliers : constance thermique, stabilité relative de la composition chimique et du débit. Pour les odonates, ces habitats ont l’avantage de souvent bénéficier d’une eau de qualité supérieure mais ils présentent aussi un certain nombre de facteurs limitants. La pauvreté organique des eaux, la fraicheur relative de celles-ci en période estivale, la rareté de la végétation, au moins dans la partie la plus amont, et la situation souvent ombragée des lieux ne conviennent qu’à un petit nombre d’espèces. La liste de celles-ci peut s’allonger en fonction de la végétalisation et de l’ensoleillement, surtout si l’eau s’accumule dans un bassin ou un fossé. Évidemment, les sources en forêt sont moins favorables que celles émergeant en milieu prairial. Certaines sources très fermées n’abritent même aucun odonate.

Les rus, ruisselets et ruisseaux

A la suite des zones de source, on trouve de très petits cours d’eau de un à quelques mètres de large. Ces petits ruisseaux sont particulièrement nombreux en Gâtine deux-sèvrienne, dans l’est de la Charente et dans la Double. Les ruisseaux sont généralement peu profonds et bénéficient d’eaux relativement fraiches et bien oxygénées. La vitesse du courant est toutefois très variable, ce qui entraîne une grande diversité de situations et donc des conditions d’habitat très différentes pour les odonates. On peut en effet trouver des ruisseaux aux eaux rapides qui courent sur des pentes à la déclivité prononcée, souvent en milieu très ombragé. C’est le cas d’une partie du chevelu des têtes de bassin situées sur les terrains primaires. La végétation est rare et le nombre d’espèces de libellules est restreint à celles que l’on peut rencontrer en zone de source. Ailleurs, en zone de bocage ou dans les plaines sédimentaires, les ruisseaux ont un courant moins vif ou offrent une succession de parties vives de parties plus lentes ainsi que des portions bien ensoleillées. La végétation est beaucoup plus fournie dans les zones calmes. Les libellules trouvent alors des conditions beaucoup plus favorables : lieux de vie et de chasse grâce aux petits hélophytes, supports d’émergence et zone de chasse et de reproduction dans la végétation rivulaire. La richesse spécifique s’accroît alors de façon importante.

Les rivières

Ce type de cours d’eau est bien représenté dans la région. Les affluents des fleuves et des grandes rivières sont nombreux. Ils offrent des physionomies extrêmement diverses. Certaines rivières de l’est de la région ou du nord-ouest des Deux-Sèvres peuvent présenter un cours presque torrentueux, souvent en milieu boisé. C’est le cas du Salleron en Vienne ou de l’Issoire en Charente. Le courant est rapide, les eaux sont généralement fraîches, les fonds sont peu profonds, constitués de gros graviers et de rochers, la végétation n’est présente que sur quelques placettes. Les conditions de développement alors offertes aux libellules sont bien évidemment très différentes de celles que peuvent présenter des rivières aux eaux beaucoup plus calmes des régions très plates du Poitou-Charentes. Le cours y est plus lent, plus sinueux. Les fonds sont plus sableux, plus vaseux et les débris s’y accumulent. La végétation dans le cours d’eau lui-même est riche en hydrophytes, parfois en hélophytes, et les berges possèdent généralement une ripisylve fournie. L’eau y est moins oxygénée et la température peut augmenter de façon significative même si la profondeur est souvent plus importante. La Seugne en Charente-Maritime est un bon exemple de ce type de rivières.

 

La plupart du temps, toutefois, les rivières du Poitou-Charentes offrent une grande variété dans leur structure. Leurs cours présentent souvent une succession de parties calmes et de zones d’accélération. On note sur toutes un grand nombre de micro-milieux variant au gré de la vitesse du courant, de la profondeur, de l’ensoleillement. Un bras mort, un bief de moulin, même la présence d’un embâcle imposant, peuvent proposer des conditions tout à fait acceptables pour des espèces de libellules de milieux lentiques.

Ailleurs, un radier, l’aval d’une digue ou l’affluence d’un ruisseau sont des zones d’accélération du courant et d’oxygénation de l’eau auxquelles les larves d’autres espèces sont mieux adaptées. Evidemment, cette variété de milieux favorise la richesse odonatologique générale des rivières. On peut citer le Né en Charente pour illustrer ces rivières riches en milieux divers.

Quelques cours d’eau de la région ont un régime original et offrent donc des conditions d’accueil particulières aux odonates. La période estivale voit en effet certaines rivières s’assécher fortement. C’est le cas de la Boutonne par exemple. D’autres comme le Bandiat et la Tardoire connaissent sur leur partie aval un arrêt annuel de leur cours superficiel, leurs eaux se « perdant » dans le karst. Evidemment, le nombre d’espèces dont le développement larvaire supporte ces périodes d’assecs plus ou moins prolongés est limité.

Les fleuves et grandes rivières

La Charente à Mouton dans sa partie amont (à gauche) et en aval de Saintes (à droite) : des habitats très variés sur le même fleuve.

Les grandes rivières et les fleuves sont peu nombreux en Poitou-Charentes. La Charente, la Vienne, la Sèvre niortaise, la Dronne présentent, surtout dans leur portion aval, les principales caractéristiques de ce type de milieu. Ils connaissent une structure de cours d’eau de plaine au courant lent et au méandrage important. Les rives sont le plus souvent boisées et la végétation dans le cours d’eau est riche, les hydrophytes trouvant le courant modéré et le substrat, souvent vaseux et riche en débris, favorables à leur développement. La profondeur peut être importante et s’élève régulièrement au-delà de plusieurs mètres. Grâce à la largeur du cours, l’ensoleillement permet un réchauffement significatif de l’eau l’été. Ces zones sont particulièrement riches en vie animale en général et en odonates en particulier. Beaucoup de ces fleuves et rivières offrent, parfois plus en amont de leur cours, une succession de faciès différents, lotiques et lentiques. Tous présentent au moins jf quelques portions où le courant s’accélère. Cela peut être l’aval immédiat d’un gros embâcle, d’un aménagement humain comme un barrage ou une digue par exemple, ou une portion sur laquelle la déclivité augmente ou bien des gués et radiers où la profondeur diminue fortement alors que le lit s’élargit. Ces secteurs où l’eau est mieux oxygénée, où des bancs de sable ou de graviers peuvent affleurer en période d’étiage, offrent des conditions optimales à certains gomphidés. Quelques grandes rivières de la région sont même globalement rapides. Sans évidemment pouvoir comparer avec des rivières de montagnes, on peut toutefois les distinguer des autres cours d’eau du Poitou-Charentes. La portion amont de la Vienne, le cours moyen de la Dronne, ou encore la Gartempe sont des exemples de taille différente. L’eau, bien oxygénée, court souvent entre les rocs sur un substrat de rochers, de sable ou de gros graviers sur lequel peu de végétation a prise. Ces conditions particulières permettent la présence de plusieurs espèces de libellules d’un grand intérêt. En règle générale les fleuves et grandes rivières de Poitou-Charentes offrent de nombreux habitats aux odonates, surtout si l’on considère l’ensemble de l’hydro-système en prenant en compte notamment les bras morts, les annexes hydrauliques, les fossés inondés une partie de l’année, etc.

Eric PRUD’HOMME