LGV Tours-Angoulême : pour un projet exemplaire

Ligne à Grande Vitesse Sud Europe Atlantique (LGV-SEA)

FNE a parallèlement fait paraître un communiqué de presse ce même jour.

RESUME d’UNE HISTOIRE COMMENCEE EN 1992 : 17 ans de DÉNI DE DÉMOCRATIE.
Tronçonnage arbitraire des procédures entre Sud et Nord mais stratégie unique :

  • propositions jamais prises en compte par RFF ;
  • opérations dites de « concertation » réduites à un dispositif purement formel. Commissions d’Enquête Publique des tronçons Sud et Nord sourdes aux problèmes d’environnement ;
  • recommandations de bon sens mais incantatoires et, pour le Nord, une exigence techniquement indéfendable en guise de concession sur les nuisances sonores.

OU EN SOMMES- NOUS ? Course au financement avec oubli de la question essentielle : quel projet va-t-on financer ?

Certes le Conseil Général de la Vienne rappelle à chaque occasion les demandes non satisfaites des communes et des associations, rappel plus ou moins relayé par la CAP, la Région… Mais Dominique Bussereau n’a qu’un souci : boucler le financement d’ici fin Janvier.

C’est dans ce cadre qu’il vient de missionner les Préfets des régions concernées pour lever les blocages. En Poitou-Charentes, cette ultime concertation se met en place (déjà sur six communes en Vienne). Nous n’en nions pas l’intérêt, et demandons que nos associations y soient invitées.

Mais nous affirmons que la solution ne réside pas dans une addition de concessions ponctuelles : il faut une révision du projet en fonction des engagements du Grenelle pour en faire un projet exemplaire en matière de protection de la biodiversité et du cadre de vie et un signal fort pour le développement du ferroutage. Ce que nous espérions qu’il serait lorsque, dès le début, nous l’avons soutenu.

BIODIVERSITE et BRUIT  : RFF n’ a consenti aucun effort de réduction d’impact par des modifications de tracé. Pourquoi cette rigidité ?

Par l’obsession d’une offre marketing à 320 ou 350 km/h : pas question de perdre 30 secondes à cause d’une courbe non conforme aux impératifs de la très grande vitesse, et ceci quels que soient les enjeux, habitat humain ou zones naturelles sensibles. Nous prenons acte de ce choix et attendons des décideurs qu’ils en assument les conséquences, maître d’ouvrage et/ou Etat.

En effet, cette priorité absolue -si elle est confirmée par l’Etat- implique des mesures sans précédent de protection anti-bruit et de compensation de la biodiversité détruite. Elles sont trop coûteuses nous dit RFF, qui prétend encaisser à la fois le beurre et l’argent du beurre : foncer bien droit sans éviter les dégâts, et ne pas payer pour les limiter et les compenser.

BRUIT

La traversée –évitable– de secteurs sub-urbains habités impose des protections anti-bruit continues par tranchées couvertes et murs anti-bruit à hauteur des caténaires.

Deux exemples :

  • les protections acoustiques sur les 2 viaducs sur l’Auxance à Preuilly (Chasseneuil-du-Poitou) sont garanties par engagement ministériel, mais RFF les limite à une hauteur qui permette au voyageur d’apprécier la ripisylve… Sans écran à hauteur de caténaires, le bruit envahira la vallée karstique.
  • la tranchée couverte de 600 m dans la traversée du quartier de Chardonchamp (Migné-Auxances) est reconnue par RFF (étude de variante) comme efficace du point de vue acoustique mais récusée pour son coût (APS). Il était interdit à la Commission d’Enquête de l’exiger puisque le Préfet Coordonnateur avait écrit dans son Avis sur l’APS que rien ne devrait être accordé au tronçon Nord de ce qui avait été refusé au Sud. Elle est demandée unanimement par élus et associations…

Trois raisons majeures mettent hors jeu l’ensemble des prévisions de bruit et donc les protections annoncées par RFF :

  • le refus de prendre en compte les valeurs-guide définis par l’OMS, malgré la demande express des DRASS concernées, aggravé par l’acharnement à maintenir une mesure moyennante du bruit qui efface les pics de bruit (usage du Laeq). Tous ces refus au nom d’un respect minimaliste d’une réglementation vouée à évolution rapide, et que DRASS et DIREN invitent, comme nous, à dépasser. Le formalisme cache ici mal une méconnaissance des enjeux de santé environnementale.
  • le refus de reconnaître la part du bruit d’origine aérodynamique dans une exploitation à plus de 300 km/h (la vitesse moyenne d’exploitation que postule RFF dans les uments de l’Enquête publique serait de 320, donc avec des pointes supérieures). Cette part croit avec la vitesse : elle dévalue une modélisation principalement fondée sur le bruit de roulement et invalide les protections basses traditionnelles (merlons).
  • la forte probabilité d’une exploitation à plus de 350 km/h : défendue dans plusieurs communiqués par RFF au nom de la prouesse technique et de la rentabilité commerciale. Certes, elle est contestée à la SNCF et même à RFF, et le cabinet du secrétaire d’État annonce un maintien dans la DUP du 320, mais notre inquiétude demeure car le potentiel de la ligne sera bien « à plus de 350 » et la note à destination des candidats à la concession annonçait déjà « une vitesse normative de 350 ».

Et comment se persuader que ni la SNCF ni les autres sociétés européennes utilisatrices n’achèteront de rames AGV d’Alstom ou qu’elles les exploiteront en sous-capacité ?

Nous ne voulons pas du gâchis financier et des impasses techniques où conduirait, après mise en service, une remise aux normes (par le concessionnaire ?), à l’issue d’une nouvelle enquête d’Utilité Publique. Il faut adapter tout de suite les aménagements anti-bruit au potentiel de la LGV.

BIODIVERSITE

Le choix délibéré et précoce –avant l’étude d’incidence– de traverser QUATRE ZPS-Natura 2000, sans démontrer l’impossibilité de les éviter, témoigne d’une ignorance manifeste de l’enjeu, confirmée par le refus du principe de mesures compensatoires par acquisition et /ou gestion.

Il est pour le moins étrange que le constat d’un déclin des populations d’avifaune dû aux pratiques culturales serve d’alibi pour que RFF s’exonère de toute responsabilité alors que son projet met en cause la survie de l’outarde canepetière à l’échelle régionale (étude d’incidence), et perturbe gravement tout un cortège d’oiseaux de plaine (oedicnème criard, busards divers, pie-grièche écorcheur…), et d’oiseaux inféodés aux prairies humides tels les râles des genêts.

La traversée de zones naturelles sensibles riches en espèces protégées, en sites de nidification, etc… implique l’achat d’au moins deux hectares pour chaque ha détruit ou isolé afin de donner de sérieuses chances à la reconstitution des milieux. De même pour les mares à amphibiens (un réseau pour une mare détruite), les boisements (trois arbres replantés pour un arraché), les linéaires de haies…

Un exemple : les 70 ha de bocage de Chaunay en Sud Vienne, voués d’après le dossier d’Enquête à une destruction intégrale : évitable, ce bocage mérite une compensation exemplaire de 140 ha à renaturer en prairies humides de fauches. RFF en propose 25 !

Franchissement des cours d’eau et des zones humides associées : nos contre-propositions ont trouvé confirmation dans les préconisations du MEDDADT jointes aux dossiers d’Enquête. Nous attendons de l’État qu’il maintienne ses demandes et exige de RFF qu’il repense la plupart des franchissements, en conformité à la loi sur l’Eau :

  • pas de piles en pleine colonie de Grande Mulette [15] (Vienne) ;
  • allongement des viaducs de l’Auxance (pas de remblai en zone inondable), du viaduc de la Boivre (intégration paysagère), du viaduc sur la Charente en amont d’Angoulême, en Zone Natura 2000 (râle des genêts). Concernés aussi une vingtaine de cours d’eaux mineurs…

Nous maintenons que la biodiversité doit sortir non pas amputée mais renforcée de la réalisation de ce projet post Grenelle. Ce n’est pas un vœu pieux et nos propositions le permettent. Les maigres concessions de RFF (achat de 248 ha, gestion de mares, en convention avec le Conservatoire Régional d’Espaces Naturels) ne procèdent pas d’un tel choix et continuent à considérer les dégâts à la nature comme si celle ci n’avait pas de prix…

Notre demande porte sur 1700 hectares : elle est modeste en regard de l’impact d’une telle barrière sur les continuités écologiques (trames verte et bleue).

FERROUTAGE

L’intérêt public majeur du projet réside selon RFF dans le programme d’autoroute ferroviaire dont le développement est prévu sur la ligne historique. Ce serait à nos yeux la justification principale du projet, si ce programme tenait la route…

L’analyse des uments fournis montre qu’il n’est malheureusement pas crédible car les conditions de sa réalisation ne sont pas remplies. Elles ne sont même pas définies dans les dossiers d’Enquête Publique. Il faut les chercher dans une Étude fournie par RFF en 2006 au Comité Technique, puis disparue.

RFF constate qu’il ne pourra pas faire passer en gare de Poitiers à la fois le trafic TGV desservant la ville, un trafic accru de TER, le fret classique et les convois de ferroutage. D’où deux solutions : le « détournement » du ferroutage et du fret sur une voie de contournement dédiée ou bien la desserte de Poitiers par une gare nouvelle sur la ligne principale. Pour des raisons de coût et d’environnement, RFF exclut les divers tracés de contournement fret étudiés et comparés et se prononce pour la gare nouvelle, choisie le plus près possible de l’ancienne (3 km). Mais il ne s’agit que d’une étude technique.

Quelle solution RFF choisit-il dans le dossier d’Enquête ? Aucune. Ou plutôt les deux !

En effet, l’enquête retient à la fois la bretelle de raccordement qui permettrait de détourner par la gare de centre-ville les LGV desservant Poitiers et la gare nouvelle qui permettrait de ne pas les détourner.

Plus étonnant encore : les maires et associations demandant l’abandon de la bretelle se sont vus opposer par RFF son absolue nécessité : c’est donc que les TGV vont desservir la gare-centre et qu’un contournement fret est programmé. Mais il n’ est question nulle part d’une ligne fret dédiée, ni d’un tronçon de LGV mixte !

En revanche, un investissement de 100 millions d’Euros est prévu pour une solution de désaturation NON précisée et les plans situent l’emplacement réservé pour la gare nouvelle exactement à l’endroit proposé par RFF dans son étude de 2006. Mais cette gare n’est jamais prise en compte dans les nombreux « investissements d’accompagnement » que RFF attend des collectivités territoriales : pas de liaison avec la gare-centre ! Elle ne serait donc pas vraiment programmée ?

NOS CONCLUSIONS

Le projet est incohérent sur un point décisif tant pour la faisabilité du ferroutage que pour l’accroissement du trafic TER : faute de choix d’une solution de désaturation, ni le fret ni le surplus de TER ne passeront et le facteur déterminant d’utilité publique tombe.

Cette lourde hypothèque sur le projet fret s’ajoute aux divergences selon les uments dans les prévisions de trafic faites par RFF et confirme que ce projet de report modal n’est pas crédible.

Il est encore plus décrédibilisé par son absence totale de financement : tous les investissements nécessaires pour rendre la ligne historique apte au ferroutage sont renvoyés aux collectivités, déjà incapables de répondre aux exigences de financement de la LGV proprement dite.

Nous n’avons pas à choisir entre gare bis et contournement fret.

Dans l’état d’impréparation d’une ou l’autre des « solutions », nous ne pouvons que réclamer une remise à plat : aucune « solution » n’est viable si elle n’est pas intégrée en amont dans la conception du projet.

Nous refusons d’envisager une bretelle très coûteuse et techniquement scabreuse qui se révèlerait inutile au bout de quelques années et n’aurait pour fonction que de faire avaler la pilule de la gare nouvelle aux élus de Poitiers… ! De même qu’une ligne de contournement venant ajouter une barrière et venant cisailler la bretelle !

Le projet en l’état ne garantit même pas le respect des prévisions de RFF alors même que ces prévisions de report modal ne sont pas, loin s’en faut, à la hauteur des engagements du Grenelle et n’entraîneraient qu’une légère décélération de l’accroissement du trafic de fret routier sur l’A10 et la RN10 pourtant saturées. Les approximations relevées témoignent malheureusement du peu d’importance que le Maître d’ouvrage du projet de LGV-SEA accorde au report modal route-rail.

Le projet semble n’avoir qu’un intérêt d’affichage afin de justifier les sacrifices exigés en matière de cadre de vie et de biodiversité. C’est inacceptable.

Les trois domaines sont abordés dans un ordre aléatoire : santé des riverains, biodiversité, ferroutage sont prioritaires au même titre que les gains de vitesse dont l’intérêt commercial est contestable et en aucun cas d’intérêt public majeur.

Jean-Louis JOLLIVET
Responsable du dossier LGV à Poitou-Charentes Nature