Rédacteur : David Ollivier
Physionomie – écologie
Les roselières hautes sont des habitats denses, généralement assez pauvres en espèces végétales car dominés par une espèce pouvant parfois constituer des peuplements presque purs. La végétation est structurée essentiellement par des hélophytes de grande taille et peut atteindre une hauteur de 3 mètres. Elle se développe sur un sol hydromorphe inondé (entre 0,2m et 1,8m de profondeur), souvent vaseux dans des eaux méso-eutrophes non ou légèrement acides. La richesse du sol en nutriments, l’importante disponibilité en eau et un éclairement intense sont les composantes nécessaires à l’expression et à la croissance rapide de végétaux de grande taille pourvus de puissants rhizomes. Ces hélophytes émettent chaque année une tige verte qui va mourir et sécher l’hiver suivant. Les restes secs subsistent jusqu’à leur remplacement par de nouvelles tiges vertes l’année suivante. Les roselières peuvent former des colonies très étendues au bord des eaux dormantes ou courantes. Elles participent au phénomène d’atterrissement en freinant et fixant les sédiments, mais aussi par la décomposition de la matière organique liée à leur importante production de biomasse favorisant l’envasement des rives. La richesse floristique dépend des conditions du milieu – sels nutritifs, lumière, inondabilité -, de facteurs biotiques – faucardage, brulis, curage – mais aussi de la connexion entre les différentes roselières. En effet, les roselières des mares isolées ou des lieux récemment inondés semblent présenter une richesse floristique moindre par rapport aux grandes roselières de marais ou des grandes vallées alluviales qui communiquent largement entre elles.
En Poitou-Charentes, cet habitat est représenté par trois formations végétales distinctes :
La phragmitaie Scirpo-Phragmitetum composée de peuplements denses de Roseau commun Phragmites australis. Cette espèce subcosmopolite est tolérante aux sols inondés à secs et à des eaux douces à saumâtres. Ainsi, ce type de roselière présente une forme régulièrement inondée ou une forme plus sèche sur des zones longuement asséchées l’été. Ces dernières sont parfois introgressées par des espèces d’autres habitats humides voisins tels que les mégaphorbiaies ou les prairies humides.
La scirpaie lacustre Scirpetum lacustris est dominée par le Jonc des Chaisiers Scirpus lacustris. Ce dernier ne tolère pas un assèchement trop prononcé ni trop prolongé et supporte une circulation assez vive de l’eau. Elle constitue souvent la ceinture la plus externe de la roselière.
Les typhaies individualisent deux faciès selon l’espèce de massette dominante : la typhaie à Masette à feuilles larges Typhaetum latifoliae est formée de peuplements plus pauvres, parfois purs de Massette à larges feuilles Typha latifolia. Cette espèce peut germer en absence d’oxygène et s’installe généralement dans des pièces d’eau artificielle (mares, étangs, fond de carrières inondées, gravières…). Elle tolère un assèchement important en été et est relativement insensible aux pollutions. La typhaie à Massette à feuilles étroites Typhaetum angustifoliae , moins liée à des biotopes perturbés que la précédente, occupe en général les bords d’eau stagnantes eutrophes, parfois saumâtres, notamment les fossés plus ou moins profonds à matrice vaseuse des grands marais arrière-littoraux.
Phytosociologie et correspondances typologiques
PVF2004
PHRAGMITI AUSTRALIS-MAGNOCARICETEA ELATAE Klika in Klika & V.Novak 1941
PHRAGMITETALIA AUSTRALIS Koch 1926
Phragmition communis Koch 1926
CORINE 1991
53.11 Phragmitaies (SCIRPO-PHRAGMITETUM)
53.12 Scirpaies lacustres (SCHOENOPLECTETUM LACUSTRIS)
53.13 Typhaies
Confusions possibles
Les roselières hautes ne posent généralement pas de problème d’identification. Certaines roselières basses à moyennes peuvent toutefois présenter dans certaines conditions favorables de trophie ou d’hydromorphie une structure très voisine de celle des roselières hautes : c’est le cas notamment de la glycéraie à Glyceria maxima et, surtout, de la phalaridaie à Baldingère Phalaris arundinacea (CB : 53.16), formation végétale à physionomie proche de la roselière à Phragmites australis, avec laquelle elle forme souvent une communauté mixte, notamment dans les systèmes dégradés ou perturbés (fort rabattement de nappe). Dans la dynamique d’aterrissement naturel d’une roselière, la phalaridaie succède souvent à la phragmitaie, moins tolérante aux fortes variations du plan d’eau.
Dynamique
Les roselières des bords d’étangs progressent de façon centripète, c’est-à-dire vers le milieu de la pièce d’eau. C’est le phénomène d’atterrissement qui conduit, si rien n’est fait, à la fermeture des mares et des petits étangs peu profonds. On observe habituellement une succession de différentes ceintures de végétation en allant du plus profond (côté milieu de la pièce d’eau ou du cours d’eau) vers le moins profond (la rive). La ceinture externe (côté eau libre) est formée par la scirpaie lacustre qui supporte les eaux vives et/ou profondes, vient ensuite la phragmitaie tolérante à la submersion prolongée, parfois en mélange avec une roselière basse à moyenne (CB : 53.14 à 53.17) en sous étage à laquelle la phragmitaie a succédé. Côté terrestre, les roselières hautes se mélangent parfois avec les massettes et peuvent être flanquées d’un peuplement dense de Baldingère Phalaris arundinacea (phalaridaie). Dans les systèmes fluviaux, les roselières, en freinant le courant et favorisant ainsi les dépôts alluviaux, conduisent à un rétrécissement du lit mineur, puis à la constitution d’un bras mort. L’atterrissement devient alors de plus en plus rapide.
L’accumulation de matières organiques peut conduire à l’installation de cladiaies-phragmitaies sur sols tourbeux (CB : 53.33).
La plantation de Peupliers au sein des roselières associée au drainage permet le boisement et peut conduire à une forêt de type aulnaie-peupleraie à grandes herbes (CB : 44.33) avec la persistance du Roseau commun Phragmites australis et de la Baldingère Phalaris arundinacea qui résistent longtemps à l’assèchement.
Espèces indicatrices
[plante2] | Phragmites australis, Scirpus lacustris, Typha angustifolia, Typha latifolia |
[plante1] | *Euphorbia palustris, Rumex hydrolapathum, Scrofularia aquatica, Stachys palustris, Thalictrum flavum |
[oiseaux] | Acrocephalus arundinaceus, Acrocephalus scirpaceus, Ardea purpurea, Botaurus stellaris, Circus aeruginosus, Ixobrychus minutus, Locustella luscinioides, Panurus biarmicus, Porzana porzana, Rallus aquaticus |
[amphibiens] | Hyla arborea, Hyla meridionalis |
[lepidopteres] | Archanara sparganii, Laelia coenosa, Nonagria typhae, Phragmataecia castaneae, Rhizedra lutosa, Senta flammea |
[mollusques] | Succinea putris |
[coleopteres] | Lipara lucens |
Valeur biologique
Les roselières hautes – surtout la phragmitaie – constituent un habitat privilégié, voire exclusif, de reproduction, d’hivernage ou d’alimentation pour de nombreux oiseaux dont plusieurs espèces présentent un statut de conservation défavorable en Europe : Butor étoilé, Blongios nain, Héron pourpré… Quelques espèces végétales rares telles que la Grande douve Ranunculus lingua (espèce végétale protégée au niveau national) sont également inféodées à cet habitat. D’autre part les roselières en tant qu’interfaces entre le milieu aquatique et le milieu terrestre, permettent aux insectes dont les larves sont aquatiques tels que les Odonates et les Ephémères d’accomplir leur cycle annuel de développement. Elles constituent des supports de pontes pour certaines espèces d’amphibiens et sont parfois des habitats d’alimentation et de reproduction pour la faune piscicole. Enfin, par leur résistance à la pollution, les roselières jouent un rôle écologique général de premier plan d’épuration et de dénitrification des eaux surchargées en nutriments ou en polluants par les activités humaines.
Menaces
La simplification et les modifications (recalibrage, enrochements, bétonnage …) apportées aux cours d’eau portent gravement atteinte au maintien de ces habitats et ainsi au fonctionnement écologique global du cours d’eau et plus généralement des zones humides auxquelles ils appartiennent.
Le recreusement des berges d’étangs et de mares entraîne souvent la transformation de rives à pente douce en berges abruptes qui ne permettront plus la colonisation de ces dernières par les roselières.
Bien que le phragmite soit résistant à la pollution, l’eutrophisation importante de l’eau perturbe sa croissance et fragilise ses tiges, conduisant souvent à l’altération de la structure verticale de la roselière.
L’entretien par faucardage régulier est parfois nécessaire pour l’entretien des roselières. Lorsque celui-ci nécessite l’intervention d’engins motorisés lourd, il doit être réalisé à l‘aide de matériel spécialisé muni de pneus basse pression afin d’éviter un tassement du sol trop important.
Statut régional
Dans la région Poitou-Charentes, l’habitat est assez fréquent sous ses différents faciès mais généralement dans un état altéré ou relictuel : faible surface (les grandes roselières à Phragmites d’une surface supérieure à 1 ha sont devenues exceptionnelles), structure simplifiée, composition floristique tronquée, cortège faunistique appauvri. La plupart des grands ensembles subsistant correspondent à des roselières très évoluées sur des substrats tourbeux et sont souvent en voie de boisement actif.
Les sites les plus remarquables :
17 : phragmitaies de l’estuaire de la Charente, de la Gironde
86 : roselières de Brion, St-Maurice-la-Clouère, Montreuil-Bonnin