Rédacteur : David Suarez
Physionomie-écologie
Les pelouses calcifuges dominées par des vivaces sont des formations herbacées plus ou moins denses, dominées par des graminées sociables parfois hautes (Pseudarrhenatherum longifolium notamment) entre lesquelles se développent des espèces vivaces plus petites, lorsque l’espace laissé disponible est suffisant. On observe aussi parfois un cortège d’Orchidées assez intéressant au sein de certaines pelouses ouvertes et bien orientées.
Elles colonisent les sols acides tels que les grès, granites, schistes (nord des Deux-Sèvres, sud-est de la Vienne, nord-est de la Charente) ou sables décalcifiés (sud de la Charente et de la Charente-Maritime) maintenus ouverts par divers facteurs comme le pâturage, la fauche, le piétinement, l’érosion naturelle, l’exploitation de la roche-mère… de préférence sur des sols peu profonds et bien ensoleillés. Ce sont des habitats secondaires, dont la dynamique évolutive naturelle doit être bloquée par des pratiques de gestion pour le maintien d’un cortège floristique caractéristique. En effet, en l’absence d’entretien régulier, ces pelouses évoluent assez rapidement vers la lande sèche, puis vers le boisement acidiphile. En Poitou-Charentes, région à dominante calcaire, cet habitat est peu représenté et occupe généralement des surfaces restreintes, limitées au bordures des falaises granitiques, prairies pentues généralement pâturées, chemins et layons au sein de complexes de landes, clairières de boisements silicicoles…
Néanmoins, les secteurs à sols acides de la région correspondent à 3 entités distinctes : sud du Socle armoricain dans le nord des Deux-Sèvres avec des formations végétales plutôt atlantiques, bordure ouest du Massif Central dans l’est de la Vienne et de la Charente présentant des formations subatlantiques du GALIO SAXATILIS-FESTUCION FILIFORMIS avec Galium saxatile, Festuca filiformis, Nardus stricta…, et sables tertiaires de la Double dans le sud de la Charente et de la Charente-Maritime, avec des affinités thermo-atlantiques, caractérisées par la présence de Agrostis curtisii, Pseudarrhenatherum longifolium, Simethis mattiazzii, Viola lactea, et appartenant à l’AGROSTION CURTISII. On observe également dans les boisements silicicoles un habitat pionnier souvent fugace qui se développe à la faveur de trouées dues à des chablis ou en bordure de layons forestiers, avec Calamagrostis epigejos, Hypericum pulchrum, Veronica officinalis…
Phytosociologie et correspondances typologiques
PVF 2004
- Nardetea strictae Rivas Goday in Rivas Goday & Rivas-Martinez 1963
- Nardetalia strictae Oberdorfer ex Preising 1949
- Agrostion curtisii de Foucault 1986 : communautés thermo- à eu-atlantiques
- Galio saxatilis-Festucion filiformis de Foucault 1994 : communautés sub- à nord-atlantiques
- Nardetalia strictae Oberdorfer ex Preising 1949
COR 1991
- 35.11 Gazons à Nardus stricta
- 35.12 Pelouses mésophiles fermées à Agrostis ssp et Festuca ssp
- 35.13 Pelouses à Deschampsia flexuosa
- 35.14 Pelouses intra-forestières à Calamagrostis epigejos
- 35.22 Pelouses siliceuses ouvertes pérennes à Agrostis capillaris, Agrostis vinealis
Directive Habitats 1992 et Cahiers d’habitats
- 6230* Formations herbeuses à Nardus, riches en espèces, sur substrat siliceux des zones montagnardes et submontagnardes de l’Europe continentale
- 6230*- 5 Pelouses acidiphiles thermo-atlantiques
- 6230*- 8 Pelouses acidiphiles subatlantiques à nord-atlantiques
Confusions possibles
Cet habitat peut être confondu avec d’autres formations herbacées des sols acides, notamment les pelouses calcifuges du Thero-Airion ou du Tuberarion guttatae, à dominante d’annuelles, ou les pelouses des dalles siliceuses colonisant les rochers, qui forment souvent avec les pelouses à vivaces une mosaïque complexe. La lande sèche de l’Ulicion minoris, qui se développe en contact direct, est également très proche des pelouses à qui elle succède naturellement : on observe alors une phase de transition marquée par la colonisation des Ericacées. Cette complexité, liée à la présence de plusieurs habitats imbriqués constituant les premiers stades d’évolution de la végétation sur les terrains acides, s’observe également sur sol calcaire, avec une morphologie similaire (Brometalia erecti) ; néanmoins le cortège végétal y est nettement différent et permet de les identifier facilement, ainsi que la nature de la roche.
Dynamique
Les pelouses calcifuges sont des formations secondaires issues de déforestations historiques anciennes et de régimes agri-pastoraux (pacage), parfois aussi d’une reconstitution séculaire du tapis végétal après abandon des cultures. Habitat transitoire, elles évoluent naturellement vers la lande sèche de l’Ulicenion minoris ou l’ourlet silicicole du Trifolion medii, suivant la nature et la profondeur du sol, puis vers la forêt acidiphile (Quercion robori-petraeae ou Quercion robori-pyrenaicae). Cette évolution peut être plus ou moins lente, en fonction de la nature du terrain ; certaines pelouses calcifuges peuvent même être considérées comme stables à l’échelle humaine, notamment en bordure des corniches rocheuses et sur les fortes pentes, où l’érosion empêche l’accumulation d’humus et la densification du tapis végétal. L’action de pacage, et dans certains cas la présence de populations importantes de lapins, permet de maintenir un couvert végétal bas et empêche l’apparition d’espèces ligneuses, bloquant ainsi la dynamique évolutive naturelle des pelouses. Par contre, un pâturage trop intensif peut être néfaste à cet habitat car les espèces qui le composent sont très sensibles à l’enrichissement du sol dû aux déjections animales : les pelouses évoluent alors vers des prairies du Cynosurion cristati d’un moindre intérêt biologique.
Espèces indicatrices
[plante2] | Agrostis curtisii, *Avenula lodunensis, Carex pilulifera, Centaurea nigra, Danthonia decumbens, Hieracium gr. pilosella, Festuca filiformis, Festuca rubra, *Galium saxatile, *Gladiolus illyricus, Luzula campestris, Luzula multiflora, *Nardus stricta, Polygala serpyllifolia, Pseudarrhenatherum longifolium, *Scilla verna, Simethis mattiazzii, Viola lactea |
[plante1] | Achillea millefolium, Agrimonia eupatoria, Agrostis capillaris, Agrostis vinealis, Anacamptis morio, Anthemis nobilis, Anthoxanthum odoratum, Arenaria montana, *Arnoseris minima, Calamagrostis epigejos, *Carex binervis, Carex caryophyllea, Dactylorhiza fuschii, Deschampsia flexuosa, Dianthus armeria, Erica cinerea, *Halimium lasianthum alyssoides, *Halimium umbellatum, Hypericum pulchrum, *Hypochaeris maculata, Hypochaeris radicata, Jasione montana, Lathyrus linifolius, Linum trigynum, Molinia caerulea, Neottinea ustulata, *Ophrys funerea, Orchis mascula, Pedicularis sylvatica, Potentilla argentea, Potentilla erecta, Pteridium aquilinum, Saxifraga granulata, Scorzonera humilis, Serapia lingua, Spiranthes spiralis, Stachys officinalis, Succisa pratensis, Veronica officinalis, Vicia sativa ssp. nigra |
[briophytes] | Brachythecium albicans, Bryum gemmiferum, Bryum subapiculatum, Ceratodon purpureus, Pleuridium acuminatum |
[champignons] | Hygrocybe splendidissima |
[orthopteres] | Aiolopus thalassinus, Chorthippus brunneus, Euchorthippus declivus, Platycleis tessellata, Gryllus campestris |
Valeur biologique
Cet habitat rare en Poitou-Charentes, inscrit à l’annexe 1 de la Directive « Habitats » et considéré comme prioritaire, présente paradoxalement un intérêt floristique relativement faible, en terme d’espèces patrimoniales. En effet, même si elles peuvent accueillir un cortège végétal très diversifié, ces pelouses n’abritent qu’une seule espèce protégée (le Glaïeul d’Illyrie Gladiolus illyricus), contrairement à leurs homologues calcicoles. Néanmoins, quelques plantes sont inscrites sur la liste rouge régionale : Galium saxatile, Halimium umbellatum, Nardus stricta, Scilla verna, Simethis mattiazzii… On y observe aussi des orchidées – Anacamptis morio, Dactylorhiza fuschii, Neottinea ustulata, Ophrys funerea, Orchis mascula, Serapia lingua, Spiranthes spiralis – dont beaucoup sont aujourd’hui en forte régression. De plus, de nombreuses espèces animales, plus particulièrement des invertébrés et des reptiles, profitent de la diversité floristique et de l’ensoleillement important de cet habitat, mais aussi souvent de son contact avec la lande, qui crée un effet de « lisière » très favorable à la faune d’une manière générale.
Menaces
Cet habitat transitoire est principalement menacé par sa dynamique naturelle, qui tend à le faire rapidement évoluer vers la lande ou le boisement acidophile en cas d’abandon d’entretien régulier par pacage ou fauche. Ces pelouses sont aussi très sensibles à la fertilisation des sols, notamment par les déjections animales en cas de pression de pâturage trop importante. Par contre, les effets indirects de la tempête de 1999, à savoir le décapage complet de parcelles de pins sinistrées, lui ont été favorables (surtout au sud de la région, dans le secteur de la Double Saintongeaise). Ce phénomène n’est toutefois que temporaire, puisque ces parcelles ont été rapidement replantées et que ces pelouses disparaîtront lorsque les pins auront pris de l’ampleur.
En Poitou-Charentes, le Nard raide Nardus stricta ne forme jamais de peuplements denses comme dans les prairies de montagne, mais tout au plus des colonies éparses au sein d’un tapis graminéen où il n’est jamais la graminée dominante.
Statut régional
Habitat disséminé et rare, manquant totalement dans les secteurs calcaires.
Sites remarquables ou typiques :
16 : Vallées de la Tardoire et de l’Issoire, Double Saintongeaise
17 : Landes de Montendre et de Cadeuil
79 : Landes et roches du Thouarsais et d’Argenton-Château
86 : Pinail, région de Montmorillon