Rédacteur : Anthony Le Fouler
Physionomie -écologie
Il s’agit d’une formation herbacée naturelle à dominance de dicotylédones à larges feuilles et à inflorescences vives. Cette végétation inféodée aux zones humides atteint souvent plus d’un mètre de hauteur, avec un recouvrement important d’un petit nombre d’espèces. Elle se développe sur la partie supérieure des berges des cours d’eau, en lisière de forêts humides, dans les prairies hygrophiles en absence d’actions anthropiques et parfois dans les peupleraies à gestion extensive. La taille et la forme de cet habitat varient donc du linéaire sur de courtes distances à de grandes étendues spatiales. Les plantes caractéristiques des mégaphorbiaies sont pour la plupart des dicotylédones sociales très dynamiques. Elles colonisent avec vigueur les milieux humides dès leur abandon, et ce, particulièrement en situation exposée à la lumière (après une coupe par ex.) et sur des sols engorgés une grande partie de l’année. Cette végétation s’épanouit à partir de juin sur des sols profonds, enrichis annuellement par les débris des pousses de l’année. Les inondations occasionnelles apportent également des limons et de la matière organique. La production de biomasse dans ces milieux est souvent très importante. Malgré cette richesse en matières nutritives, les sols restent relativement pauvres en azote (milieu mésotrophe).
La flore des mégaphorbiaies marécageuses est relativement peu diversifiée, le fort pouvoir colonisateur des quelques plantes dominantes rendant ce milieu défavorable aux plantes de plus petite taille. Néanmoins, selon la nature et l’acidité du sol, cet habitat présente une certaine diversité en termes de composition floristique. Sur les sols alcalins, trois associations sont présentes dans la région. La mégaphorbiaie à Epilobe hirsute et Prêle géante (EPILOBIO HIRSUTI-EQUISETETUM TELMATEIAE) se rencontre en situation pionnière sur des substrats à texture très fine, surtout de type marneux, sur des sols frais à humides, voire suintants. La mégaphorbiaie à Grand Pigamon et Guimauve officinale (THALICTRO FLAVI-ALTHAEAETUM OFFICINALIS), est plutôt liée aux substrats limoneux des grandes vallées. La troisième association, d’influence thermo-atlantique, occupe les petites vallées des zones calcaires (EUPHORBIO VILLOSAE-FILIPENDULETUM ULMARIAE). Une mégaphorbiaie marécageuse liée aux sols acidiclines, le JUNCO ACUTIFLORI-FILIPENDULETUM ULMARIAE, se rencontre préférentiellement sur la zone armoricaine du département des Deux-Sèvres et présente une composition floristique différente, dominée par la Reine des près Filipendula ulmaria, le Jonc acutiflore Juncus acutiflorus et l’Oenanthe safranée Oenanthe crocata.
Phytosociologie et correspondances typologiques
PVF 2004
FILIPENDULO ULMARIAE – CONVOLVULETEA SEPIUM Géhu & Géhu-Frank 1987
- Filipenduletalia umariae de Foucault & Géhu : communautés mésotrophes des dépressions sujettes à inondation phréatique, sur sol riche en matière organique
- Thalictro-Filipendulion ulmariae B. Foucault 1984
COR 1991
- 37.1 Peuplements de Reine des prés et communautés associées
Directive Habitats 1992 et Cahiers d’habitats
- 6430 Mégaphorbiaies hydrophiles d’ourlets planitiaires et des étages montagnard et alpin
- 6430-1 Mégaphorbiaies mésotrophes collinéennes
Confusions possibles
Cet habitat peut être confondu avec les mégaphorbiaies eutrophes des eaux douces et les lisières forestières nitrophiles, des communautés végétales plutôt dominées par des espèces nitrophiles comme l’Ortie Urtica dioica et le Liseron des haies Calystegia sepium (37.7 – Lisières humides à grandes herbes). La végétation des mégaphorbiaies marécageuses est souvent en mélange avec celle des magnocaricaies. Le mode de pollinisation des plantes de ces deux habitats diffère et constitue donc un moyen de les distinguer : entomogamie (propagation des pollens par les insectes butineurs) pour les mégaphorbiaies et anémogamie (propagation des pollens par le vent) pour les magnocaricaies. Il existe également une difficulté de caractérisation de l’habitat lorsque celui-ci se présente sous la forme intermédiaire entre une prairie humide récemment abandonnée et la mégaphorbiaie. Ce cas de figure peut parfois être rattaché au Calthion palustris (37.25 – Prairies humides de transition à hautes herbes). De manière générale, une mégaphorbiaie marécageuse ne présente pas ou très peu de graminées prairiales.
Dynamique
Les mégaphorbiaies sont des communautés transitoires qui s’inscrivent dans une dynamique de boisements humides. En conditions défavorables, les plantes de cet habitat se maintiennent dans des refuges : en lisières forestières, sur les chemins ou encore disséminées dans les prairies. La mégaphorbiaie débute sa reformation dès l’abandon des activités pastorales sur les prairies humides ou lors de la destruction de forêts riveraines due aux crues ou aux coupes forestières. Dans de bonnes conditions de luminosité et d’hygrométrie, des plantes vigoureuses colonisent alors rapidement le milieu perturbé ou délaissé. Les espèces prairiales et forestières sont rapidement exclues du cortège. Dans une dynamique naturelle, la mégaphorbiaie va être peu à peu colonisée par des espèces arbustives capables de supporter les contraintes hydriques du sol (saules, Bourdaine, Viorne obier, Nerprun purgatif). Ces fourrés marécageux vont quant à eux évoluer jusqu’à un stade forestier mature : chênaie-frênaie-ormaie ou aulnaie-frênaie.
Espèces indicatrices
[plante2] | *Aconitum lycoctonum, *Aconitum napellus, Althaea officinalis, Angelica sylvestris, Epilobium hirsutum, Equisetum telmateia, Eupatorium cannabinum, *Euphorbia palustris, Euphorbia villosa, Filipendula ulmaria, *Lathyrus palustris, Lysimachia vulgaris, Lythrum salicaria, Oenanthe crocata, *Petasites hybridus, Stachys palustris, Symphytum officinale, Thalictrum flavum |
[plante1] | Achillea ptarmica, Caltha palustris, Cardamine pratensis, Equisetum palustre, Iris pseudacorus, Juncus acutiflorus, Juncus effusus, Heracleum sphondylium, Lychnis flos-cuculi, Lysimachia nummularia, Mentha aquatica, Phalaris arundinacea, Polygonum amphibium, Polygonum bistorta, Ranunculus acris, Ranunculus flammula, Ranunculus repens, Rumex acetosa, Urtica dioica |
[briophytes] | Amblystegium riparium, Calliergonella cuspidata, Drepanocladus aduncus, Eurhynchium hians, Eurhynchium stokesii |
[mammiferes] | Arvicola sapidus, Lutra Lutra, Micromys minutus, Mustela lutreola |
[reptiles] | Natrix maura, Natrix natrix |
[oiseaux] | Acrocephalus scirpaceus, Cisticola juncidis, Locustella lucinioides |
[lepidopteres] | Aglais urticae, Araschnia levana, Proserpinus proserpina, Thersamolycaena dispar |
[orthopteres] | Conocephalus discolor, Conocephalus dorsalis, Mecostethus parapleurus, Metrioptera roeseli, Paracinema tricolor, Stetophyma grossum |
[mollusques] | Helix pomatia, Hygromia limbata, Succinea putris, Vertigo antivertigo, Vertigo moulinsiana |
[coleopteres] | Oplia caerulea |
Valeur biologique
Les plantes des mégaphorbiaies, vigoureuses et à feuillage dense, forment souvent des groupements végétaux peu diversifiés, avec une nette dominance d’un petit nombre d’espèces. Bien que cet habitat présente une diversité floristique modeste, il héberge potentiellement quelques plantes rares qui lui sont plus ou moins inféodées : Euphorbe des marais Euphorbia palustris, Gesse des marais Lathyrus palustris ou Aconit napel Aconitum napellus, cette dernière très rare et connue d’une unique localité du centre-est de la Charente. Sa capacité d’accueil pour la faune invertébrée est également remarquable : les espèces végétales constitutives, avec leur floraison abondante et leur production élevée, sont une ressource alimentaire essentielle pour les insectes pollinisateurs et phytophages. Leur présence entraîne par la suite celle des insectivores (oiseaux, micromammifères) et des prédateurs associés (Couleuvre à collier, Couleuvre vipérine). Les mégaphorbiaies jouent également un rôle non négligeable dans l’épuration des eaux.
Menaces
La mégaphorbiaie marécageuse est un milieu naturel. Donc, toutes activités agropastorales (fauche, pâturage,…) sont considérées comme des causes de dégradation, voire de destruction de l’habitat. Or, l’exploitant agricole est plus souvent tenté d’agir sur ses prairies à hautes herbes, compte tenu de leur très faible valeur fourragère. La mégaphorbiaie est également un milieu humide. Ainsi, toutes modifications du régime hydraulique des vallées et terrasses alluviales concourent à leur disparition (réduction des inondations du lit majeur, drainage des prairies, endiguement des cours d’eau,…). L’eutrophisation de l’eau (liée à des pollutions diverses) peut conduire au passage à des types de mégaphorbiaies eutrophes. Cette tendance est observée sur de nombreuses rivières du fait des multiples rejets : agricoles (engrais), domestiques (eaux usées non traitées) ou industriels. Même si certaines mégaphorbiaies peuvent se maintenir dans les peupleraies, la plupart du temps, ces dernières sont exploitées de manière intensive (recours aux produits chimiques pour la maîtrise de la végétation herbacée et semis trop denses des peupliers diminuant ainsi l’éclairage favorable aux plantes héliophiles). Les mégaphorbiaies riveraines peuvent enfin être victimes de l’envahissement par des plantes exotiques qui utilisent les vallées comme couloirs de dispersion et peuvent supplanter les espèces indigènes : la Balsamine de l’Himalaya Impatiens glandulifera et la Renouée du Japon Reynoutria japonica sont de ce point de vue les espèces les plus agressives ; elles sont maintenant bien implantées dans le bassin de la Vienne et dans le nord des Deux-Sèvres, notamment. En conséquence, les mégaphorbiaies marécageuses sont en nette régression, et ce particulièrement dans les zones d’agriculture intensive où les prairies sont surexploitées, asséchées ou peu à peu transformées en cultures. Seules les zones humides en déprise agricole, comme localement dans la Venise Verte (79), voient leur surface de mégaphorbiaies s’étendre, mais si, et seulement si, celles-ci ne font pas l’objet – comme c’est souvent le cas – d’une valorisation économique par la plantation de peupliers.
Statut régional
L’habitat est dispersé sur l’ensemble du territoire concerné, notamment le long des principaux cours d’eau :
16 : Charente, Antenne, Tardoire, Né, Echelle, Boëme, Tude, Lizonne
17 : Charente, Boutonne, Antenne, Seugne, Lary, Palais
79 : Argenton, Thouet, Thouaret, Sèvre niortaise, Dive, Autize
86 : Vienne, Clain, Gartempe, Clouère, Vonne, Boivre, Auxances, Salleron