Rédacteur : Anthony Le Fouler
Physionomie – écologie
Les lieux piétinés humides correspondent aux zones qui sont à la fois périodiquement inondées et fortement pâturées. Une végétation à recouvrement souvent épars à base de graminées rampantes et d’oseilles ou de grands joncs se développe sur des sols compactés par un piétinement excessif et très enrichis en éléments nutritifs apportés par une concentration de déjections animales. Les conditions abiotiques (eau, sol, nutriments) sont alors très contraignantes et limitent les possibilités floristiques. L’habitat correspond le plus souvent aux zones d’abreuvoir, aux parcs de contention, aux cours de ferme mais peut aussi apparaître spontanément en bordure de cours d’eau ou en queue d’étang.
Le piétinement intensif et les inondations rendent le tapis végétal discontinu. Le surpâturage favorise des plantes graminoïdes stolonifères coloniales et peu appétantes comme la Laîche hérissée et les grands joncs. Ces plantes forment alors des touffes denses plus ou moins étalées en surface (zones de refus). Les espèces les plus représentatives de l’habitat sont le Plantain majeur (Plantago major), l’Agrostide stolonifère (Agrostis stolonifera), le Vulpin genouillé (Alopecurus geniculatus), l’Oseille crépue (Rumex crispus) ainsi que la Potentille ansérine (Potentilla anserina).
En outre, on observe dans certains cas l’apparition d’une strate supérieure dominée soit par le Chiendent rampant (Elymus repens), soit par les grands joncs. L’apparition d’une telle strate modifie ainsi considérablement la physionomie de l’habitat.
Au moins 4 associations végétales sont reconnues en Poitou-Charentes et correspondent à des stades de dégradation par piétinement d’autres communautés végétales. Leur déterminisme dépend des conditions stationnelles :
- en conditions mésophiles sur substrats limoneux à sablo-limoneux, on rencontre la communauté à Oseille crépue et Vulpin genouillé (RUMICI CRISPI-ALOPECURETUM GENICULATI) à affinités nord- et sub-atlantiques ;
- en conditions hygrophiles et thermophiles sur substrats alcalins à texture variable, on observe une communauté souvent ouverte et donc riche en plantes annuelles, mais dominée par la Menthe pouillot et le Grand plantain (PLANTAGINI MAJORIS-MENTHETUM PULEGII) ;
Il existe aussi sur le littoral de Charente-Maritime, 2 communautés subhalophiles et thermo-atlantiques dérivant des communautés prairiales des marais arrière-littoraux :
- le PLANTAGINI MAJORIS-TRIFOLIETUM RESUPINATI apparait en conditions mésohygrophiles sous l’action d’un piétinement excessif des prairies subhalophiles du CARICI DIVISAE-LOLIETUM PERENNIS ;
- le RANUNCULO OPHIOGLOSSIFOLII-MENTHETUM PULEGII dérivant en conditions hygrophiles de la dégradation par piétinement des dépressions du RANUNCULO OPHIOGLOSSIFOLII-OENANTHETUM FISTULOSAE des marais subhalophiles.
Phytosociologie et correspondances typologiques
PVF 2004
AGROSTIETEA STOLONIFEREA Th. Müll. & Görs 1969
- Potentillo anserinae-Polygonetalia avicularis Tüxen 1947
- Agropyro-rumicion crispi p.p. : communautés piétinées et pâturées collinéennes, mésohygrophiles et eutrophes.
COR 1991
- 37.24 – Prairies à Agropyre et Rumex
- 37.241 – Pâture à grand jonc
- 37.242 – Prairies inondables à Agrostis stolonifère et Fétuque faux-roseau
Directive Habitats 1992 et Cahiers d’habitats
Nc.
Confusions possibles
Lorsque que le milieu est ouvert, une confusion peut être faite entre l’AGROPYRO-RUMICION et le LOLIO-PLANTAGINION MAJORIS. La distinction réside dans le degré l’humidité du sol à l’année.
En effet, l’association à Raygrass anglais et Grand plantain ne supporte pas ou peu les périodes d’inondation. Une confusion est aussi possible pour les groupements végétaux transitoires avec les végétations prairiales en cas de piétinement modéré. Dans les conceptions modernes en effet, l’AGROPYRO-RUMICION est intégré dans diverses alliances de végétations prairiales dont il ne représente qu’un stade de dégradation.
Dynamique
La dynamique de l’habitat est liée principalement à l’intensité, la fréquence et le type de pâturage ainsi qu’à la durée d’inondation.
En cas de baisse de ces contraintes et perturbations, l’habitat retourne aux communautés des prairies humides avec la réapparition lente et progressive des graminées et une fermeture du milieu.
En cas de piétinement extrême, les vivaces ne se maintiennent pas et on observe alors une prédominance des thérophytes et donc un passage à la classe des POLYGONO-POETEA ANNUAE.
Espèces indicatrices
[plante2] | Alopecurus geniculatus, Carex hirta, Carex cuprina, Elytrigia repens, *Inula britannica, Juncus conglomeratus, Juncus effusus, Juncus inflexus, Lysimachia nummularia, Mentha pulegium, Mentha suaveolens, Plantago major, Potentilla anserina, Potentilla reptans, Rumex crispus |
[plante1] | Agrostis stolonifera, *Damasonium alisma, Festuca arundinacea, Juncus bufonius, Lolium perenne, Lythrum hyssopifolia, Matricaria discoidea, Plantago coronopus, Poa annua, Polygonum aviculare, Pulicaria dysenterica, *Ranunculus ophioglossifolius, Ranunculus repens, Ranunculus sardous, Rorippa sylvestris, Rumex conglomeratus, Rumex obtusifolius, Trifolium fragiferum, *Trifolium michelianum, *Trifolium ornithopodioides, Trifolium repens, Trifolium squamosum. |
[briophytes] | Archidium alternifolium, Bryum bicolor, Calliergonella cuspidata, Eurhynchium hians, Riccia sorocarpa |
Valeur biologique
Puisque l’habitat est conditionné par le surpâturage sur des sols gorgés d’eau l’hiver, il n’est pas rare en Poitou-Charentes.
En effet, dans la plupart des systèmes d’élevage actuels, les chargements en équivalent gros bétail sont élevés et inadaptés aux capacités fourragères des prairies.
En dépit de la banalité de ces communautés végétales, exceptés celles placées en contexte arrière-littoral, les lieux piétinés humides sont fréquentés par une faune et une flore généralement variées. Toutefois, dans le cas des prairies temporaires, le système de rotation des cultures impliquant le retournement du sol nuit à la diversification spécifique de ces communautés.
Dans les talwegs et les queues d’étang, les prairies à grands joncs constituent des refuges de premier choix pour de nombreux gastéropodes, des crustacés d’eau douce, des alevins et des poissons de petite taille, ainsi que pour des tritons et des grenouilles.
Certains oiseaux comme la Poule d’eau ou la Foulque utilisent volontiers le sommet des touffes de joncs comme base pour la construction de leur nid leur permettant ainsi d’éviter une submersion de leur ponte par une hausse soudaine du plan d’eau.
En contexte arrière-littoral, l’habitat présente une valeur biologique plus importante du fait de la présence de plantes transgressives des prairies et dépressions subhalophiles. Par exemple, la Renoncule à feuille d’ophioglosse, plante protégée sur l’ensemble du territoire national, supporte relativement bien le piétinement et peut donc se maintenir dans ce type de communautés.
Menaces
L’existence de l’habitat étant en grande partie conditionnée par les activités anthropiques, les lieux piétinés humides de l’intérieur des terres ne sont pas ou très peu menacés. Le cas est différent pour les communautés du littoral car celles-ci se raréfient et présentent une valeur patrimoniale importante.
Cet habitat abrite potentiellement plusieurs plantes rares et/ou protégées, dont la Renoncule à feuille d’Ophioglosse Ranunculus ophioglossifolius ou
le Trèfle faux-pied d’oiseau Trifolium ornithopodioides.
Les communautés spontanées de bords de rivière et queues d’étang sont elles aussi menacées. Les principales causes de régression de l’habitat sont la rectification des berges dans le cadre des recalibrages des cours d’eau et la plantation en plein de peupliers.
Statut régional
L’habitat est répandu sur l’ensemble de la région, mais certains faciès sont plus localisés (faciès subhalophile des marais arrière-littoraux, faciès des rives d’étangs).
Dans certaines prairies fortement pâturées, le contraste est parfois brutal entre les faciès graminéens appétants tondus à ras et les refus de joncs totalement ignorés par le bétail |
Deux espèces caractéristiques de l’habitat : la Lysimaque nummulaire (Lysimachia nummularia) (à g.) et la Potentille des oies (Potentilla anserina) (à d.)