Les eaux stagnantes

La région Poitou-Charentes offre une très grande variété de milieux d’eau stagnante, multipliant ainsi les habitats pour les libellules.

Les suintements

Les suintements ressemblent à de minuscules résurgences et se présentent le plus souvent comme de très faibles nappes d’eaux. En règle générale, les suintements issus de nappes souterraines, perchées ou non, entretiennent de façon pérenne un caractère marécageux à la zone dans laquelle ils se trouvent. Ils peuvent alimenter des mares, de petites zones de marais ou des landes humides. Ces milieux sont plutôt rares dans la région. On peut les trouver aussi bien sur sols acides que sur des terrains calcaires. Les suintements constituent des habitats de développement larvaire attractifs pour certaines espèces de libellules qui sont adaptées au réchauffement rapide de leurs eaux.

Suintement sur socle granitique du Montbronnais (16).

Les milieux temporaires

Par définition, il s’agit de pièces d’eau saisonnières qui s’assèchent en cours d’été. La plupart du temps l’eau est collectée naturellement lors des fortes pluies d’hiver et de printemps par le ruissellement ou par les crues des cours d’eau. On peut classer dans cette catégorie plusieurs types de milieux. Mais le fait qu’ils ne soient pas pérennes et qu’il faut en conséquence aux espèces qui les colonisent des stratégies de ponte et un développement larvaire adaptés, pousse cependant à les traiter ensemble. Toute flaque peut être considérée comme milieu temporaire. Dans les zones très boisées de la région, les ornières disséminées sur les chemins forestiers peuvent constituer un habitat pour des espèces très spécialisées (des lestes notamment). Les tronçons aval des fleuves et grandes rivières, comme la Sèvre niortaise, la Charente, la Seugne sont, à peu près tous les ans, soumis à des crues qui laissent, si la topographie le permet, des zones humides temporaires qui attirent selon les années de très nombreuses libellules. Parmi les plus remarquables de ces zones en Poitou-Charentes, on peut citer les zones d’expansion de crues des grands cours d’eau de Charente-Maritime. Ce sont des dépressions inondables qui présentent une grande richesse odonatologique et parfois des densités de peuplement conséquentes (Jourde, 2004).

Dépression inondable en marais arrière-littoral (17).

Les mares

Les mares sont des pièces d’eau dormante fermées, de petite taille et peu profondes. Cette définition assez précise cache cependant de grandes différences et le Poitou-Charentes offre avec ses mares une grande variété d’habitats aux odonates. Le peuplement en libellules varie d’abord en fonction du caractère pérenne ou non de la pièce d’eau, toutes les espèces n’ayant pas un cycle de reproduction adapté à l’assèchement estival, mais c’est surtout l’ensoleillement, et donc la végétalisation du plan d’eau, qui conditionne la richesse spécifique de l’odonatofaune.

Mare du Pinail (86).

Les mares qui se trouvent en milieu forestier, où l’ombre continuelle ne permet pas le développement de la végétation, sont pauvres en oxygène dissous : feuilles et bois mort s’y accumulent car la dégradation de la matière organique y est très lente. On trouve ce type de mares essentiellement dans les grandes zones boisées de la région : forêts de la Braconne et de Montrollet en Charente, forêt de Moulière en Vienne, Double saintongeaise en Charente-Maritime et Gâtine boisée en Deux-Sèvres. Les espèces d’odonates qui s’y reproduisent sont très peu nombreuses.

La situation est totalement inversée et la diversité spécifique est grande dans les mares situées en milieu ouvert et qui bénéficient de ce fait d’un ensoleillement régulier et important favorisant le développement des différentes ceintures de végétation. Ces mares sont encore nombreuses dans les espaces de bocage dédiés à l’élevage à l’est de la région et dans une grande partie des Deux-Sèvres. Entourées de prairies, proches de haies et de bosquets, souvent en réseau, ces petites zones humides abritent alors une richesse spécifique remarquable. Par contre, dans les grandes zones céréalières de l’ouest de la Charente et en Charente-Maritime, les mares sont rares et quand elles existent, possèdent toutes des eaux à l’eutrophisation marquée en raison des trop grandes quantités d’intrants agricoles. La prolifération des algues étouffe le milieu, la diversité spécifique est largement amoindrie car seules quelques espèces supportent une telle dégradation de l’habitat.

Un autre type particulier de mares se rencontre en Poitou-Charentes. Dans les quelques zones de brandes et de landes de la région qui subsistent, on trouve des mares aux eaux oligotropes abritant des cortèges odonatologiques originaux. C’est le cas sur les landes de Corignac en Charente-Maritime, sur le Pinail en Vienne et sur les brandes de l’Hôpiteau en Deux-Sèvres.

Les marais littoraux et arrière-littoraux

La richesse de la région Poitou-Charentes en zones de marais est exceptionnelle. Les plus remarquables sont les marais arrière-littoraux de Charente-Maritime : le Marais Poitevin, les marais de Brouage et celui de Rochefort notamment. Ces zones humides très vastes sont drainées par un réseau de canaux et de fossés. Ces milieux présentent une eau très faiblement courante et se réchauffant vite l’été. La végétation est souvent importante : dans l’eau comme sur les berges, certains canaux, les conches de la « Venise verte » notamment, sont envahis par les lentilles d’eau. Ce réseau de canaux constitue un habitat remarquable pour les libellules. Malheureusement, la richesse odonatologique y est devenue très variable car les activités humaines, notamment l’agriculture intensive, entraînent une eutrophisation importante des eaux déjà naturellement riches en nutriments dissous et peu oxygénées en profondeur. Sur le littoral charentais, en particulier sur les îles de Ré et d’Oléron, on trouve aussi des zones de marais plus ou moins saumâtres qui peuvent présenter un intérêt certain pour les odonates. Ce sont très souvent d’anciens marais salants. Ces habitats présentent des eaux dont la salinité varie au cours de l’année, au gré des apports d’eaux de pluie qui l’adoucit et des fortes évaporations l’été qui l’amènent à des taux de sel rédhibitoires pour la survie des larves de libellules. Celles qui y vivent sont donc les espèces qui ont développé des stratégies de développement très spécialisées.

Les marais continentaux

Par rapport aux zones humides arrière-littorales, les marais continentaux sont beaucoup moins vastes et très disséminés sur le territoire régional. Pour beaucoup drainés depuis plusieurs décennies voire plus d’un siècle, ils se réduisent aujourd’hui à de petites enclaves relictuelles, fragiles et ayant perdu un grand nombre des caractéristiques physionomiques des marais. On peut distinguer les marais situés en milieu acide de ceux placés sur terrain calcaire. Ces bas-marais alcalins sont souvent des tourbières de fond de vallée qui se sont développées dans les zones régulièrement inondées et où la nappe d’eau souterraine demeure toujours très proche de la surface du sol. C’est le cas des tourbières de Vendoire dans la vallée de la Lizonne, du marais de Gensac-la-Pallue (dont le nom même du latin palus évoque les marais), des tourbières très dégradées de Mouthiers-sur-Boëme en Charente mais aussi d’une partie de la vallée du Rivau sur le site du Pinail en Vienne. Quant aux milieux acides, ils sont extrêmement rares dans la région. Les vraies tourbières à sphaignes n’existent plus qu’à l’état de micro-tourbières reliques sur le Pinail et sur les landes de la Borderie à l’extrême est de la Charente. D’autre part quelques petites zones tourbeuses acides dans la Double saintongeaise, dans le Montmorillonnais et dans le Confolentais peuvent encore fournir des habitats de marais favorables à des cortèges odonatologiques rares et inféodés aux eaux très pauvres en nutriments.

La petite zone marécageuse du Châtelaines à Puyréaux en Charente.

Les étangs et les lacs

Les étangs sont répartis sur l’ensemble du territoire du Poitou-Charentes même si le sud, l’est et le nord-ouest de la région sont beaucoup mieux pourvus. Leur intérêt pour les libellules est très inégal et dépend de multiples paramètres. La plupart de ces étangs sont situés en milieu ouvert et bénéficient d’un ensoleillement important. Souvent très végétalisés aussi bien sur leurs rives que dans l’eau, ils offrent par leur superficie et grâce à leurs nombreuses annexes une large variété de micro-habitats, ce qui permet une très grande biodiversité. Les libellules occupent l’ensemble du plan d’eau mais peuvent aussi n’utiliser qu’une petite partie de l’étang : les herbiers flottants, l’arrivée du ruisseau d’alimentation, ou le départ du trop-plein, les suintements de la digue, la saulaie inondée de la queue de l’étang… Dans la région de Montrollet en Charente et en Haute-Saintonge, on peut aussi trouver des étangs entièrement forestiers aux eaux plutôt oligotrophes. La plupart des étangs de la région ont été créés par l’homme et beaucoup sont aujourd’hui encore utilisés et aménagés par lui à diverses fins : retenue d’eau, pêche, loisirs, etc. Les modes de gestion alors mis en œuvre peuvent éliminer bon nombre d’espèces d’odonates. Le Poitou-Charentes ne compte que quelques lacs et étangs de très grande superficie : l’étang de Saint-Maigrin près de Jonzac et les quatre lacs de barrage en Deux-Sèvres et en Charente.

Etang du Confolentais aux berges bien végétalisées et avec une saulaie en queue d’étang : site de reproduction de l’Epithèque bimaculée {Epitheca bimaculata}.

Milieux récents et « artificiels »

De nombreux milieux humides nouvellement créés apparaissent un peu partout dans la région. Directement liés aux activités humaines, ils ont une vocation très spécialisée : ce sont les bassins de décantation des effluents routiers, les stations de lagunage, les retenues de substitution, les bassins d’agrément, les gravières et sablières juste mises en eau. Ces milieux n’offrent que rarement un réel intérêt odonatologique, cependant ils peuvent ponctuellement offrir un habitat de substitution. Leur attractivité pour les libellules dépend évidemment de la qualité de leurs eaux, de leur degré de végétalisation et de la pression des activités humaines.

Occasionnellement, avec le temps et si la « remise en nature » du site a été réalisée correctement, les anciennes gravières, sablières ou argilières peuvent s’avérer des zones humides remarquables accueillant une odonatofaune riche et variée. C’est par exemple le cas des étangs de Saint-Même-les-Carrières et des carrières de Touvérac en Charente.

Les anciennes carrières d’argile de Touvérac (16), remises en eau dans les années 80, hébergent aujourd’hui plus de 30 espèces de libellules.

Enfin, il ne faut pas oublier les bassins d’agrément et mares de jardin qui peuvent offrir des conditions fort acceptables pour de nombreuses espèces. L’eau doit être de qualité et la présence de végétation aquatique est indispensable. Les libellules qui s’y installent sont les plus répandues mais année après année, si l’intervention humaine n’est pas trop violente, la diversité peut s’accroître de façon remarquable comparativement à la taille du point d’eau. Malheureusement ces mares sont très souvent trop entretenues et abritent canards et poissons en trop grand nombre.

 

Eric PRUD’HOMME

 

Bibliographie

Jourde P., 2004 – Densités remarquables d’odonates en val de Seugne (département de Charente-Maritime). Martinia 20 (1) : 7-12.