Petite histoire de l’odonatologie picto-charentaise
Au sein des sciences naturelles, l’odonatologie est une discipline relativement récente. Si les botanistes disposaient déjà de flores ou de catalogues floristiques relativement aboutis dès la fin du XVIIIe siècle, les libellules ne sont étudiées sérieusement qu’à la fin du XIXe et surtout au début du XXe siècle.
L’œuvre du Baron Edmond de Sélys Longchamp (1813-1900) s’avère décisive dans l’émergence de cette discipline à l’échelle européenne et mondiale. Elle constitue le socle sur lequel a pu s’ériger l’odonatologie moderne. Dès 1840, le naturaliste belge publie une Monographie des libellulidés d’Europe. En 1850, il s’associe à l’entomologiste allemand Hermann August Hagen pour rédiger un document de 400 pages qu’il intitule Revue des odonates ou libellules d’Europe. De 1841 à 1887, il publie une série de notes et de catalogues locaux mais surtout des synopsis, monographies et révisions des divers genres concernant ces insectes. Les entomologistes européens disposent dès lors d’outils qui vont leur permettre d’identifier leurs récoltes.
Les premiers inventaires régionaux
Dans le même temps, apparaissent les premiers musées d’histoire naturelle régionaux, associés à de dynamiques « sociétés savantes » départementales ou locales. Bulletins, annales, mémoires des sciences se multiplient, permettant aux naturalistes de diffuser leurs précieuses observations et suscitant un vif engouement pour les sciences de la vie. Il devient dès lors de bon ton de battre la campagne en quête d’espèces nouvelles.
Les premières observations locales furent publiées en 1865. Elles émanent d’un correspondant charentais de Sélys Longchamp, Henry Delamain, qui découvre à Jarnac, en Charente, un des plus beaux et des plus rares odonates de France, Macromia splendens. Il s’agit alors de la seconde localité française de l’espèce, découverte pour la science peu de temps avant dans la région de Montpellier.
Si quelques faunes généralistes et quelques publications anecdotiques mentionnent des odonates dans les années 1880, c’est aux travaux de trois naturalistes remarquables que l’on doit l’essentiel des découvertes effectuées autour des années 1900. René Martin, Joseph L. Lacroix et Henri Gélin publient une série d’articles et de notes permettant de dresser les premiers inventaires pertinents. A eux trois, ils inventorient 62 espèces sur les 70 observées à ce jour en Poitou-Charentes. Leurs commentaires, hélas souvent lacunaires, sur le statut des différentes espèces sont aujourd’hui les uniques et précieux témoignages qui nous permettent d’évaluer le statut des libellules avant l’ère des grandes pollutions chimiques et des destructions massives de zones humides intervenues dans la seconde moitié du XXe siècle.
La période noire de l’odonatologie
Les années 1930 marquent le début d’une période sombre pour l’odonatologie régionale qui se poursuivra jusqu’à la fin des années 1980. Durant cette période, aucune nouvelle espèce n’est ajoutée à la liste établie au début du siècle. La publication du magnifique livre du suisse Paul-André Robert sur « Les libellules » en 1958, puis le travail plus académique de Pierre Aguesse sur « les Odonates de l’Europe occidentale, du Nord de l’Afrique et des îles atlantiques » en 1968 ne semblent pas relancer l’intérêt porté aux odonates du Poitou-Charentes.
Le renouveau de la fin du XXe siècle
Avec la parution en 1985 du « Guide d’identification des Libellules d’Europe et d’Afrique du Nord » de Jacques d’Aguilar, Jean-Louis Dommanget et René Préchac, les naturalistes sont enfin équipés d’un manuel de terrain illustré en couleur permettant l’identification des libellules sur le terrain. L’odonatologie devient dès lors une des rares disciplines entomologiques à laquelle il est possible de s’adonner sans mettre à mort systématiquement les espèces étudiées. Cette nouvelle approche provoque un réel regain d’enthousiasme, notamment auprès des ornithologues, familiers des identifications in natura.
La publication de l’ »Etude faunistique et bibliographique des odonates de France » de J.L. Dommanget (1987), l’émergence de la Société française d’Odonatologie et de sa revue Martinia (1985) puis le lancement du programme d’inventaire cartographique national (1985) vont relancer les prospections au niveau national.
En Poitou-Charentes, les premiers inventaires modernes se mettent en place à la fin des années 1980. Les premiers travaux de synthèse départementaux sont publiés en Vienne et en Charente en 1989 (Caupenne & Prévost ; Arcos), dix ans plus tard en Deux-Sèvres et en Charente-Maritime (Jolivet & Vaillant, 1999 ; Jourde et al., 1999).
Dès lors, le nombre de publications se multiplie. Durant la décennie 1990, il a été publié deux fois plus d’articles sur les libellules régionales que durant tout le siècle précédent (figure 1). Cinq nouvelles espèces sont découvertes : Leucorrhine à front blanc, Gomphe à pattes jaunes, Anax porte-selle, Caloptéryx hémorroïdal, Agrion nain (figure 2).