Prés salés atlantiques

Rédacteur : Jean Terrisse

Physionomie – écologie

L’habitat regroupe l’ensemble des végétations pérennes, herbacées ou frutescentes basses, colonisant la partie moyenne de la zone intertidale et inondables plus ou moins régulièrement par les marées. Le substrat est vaseux ou vaso-sableux selon les situations, toujours salé mais parfois aussi imprégné d’eau douce par des suintements phréatiques ou des apports latéraux (estuaires). La teneur en matière organique est variable mais peut être localement renforcée au niveau des zones de dépôt des laisses de mer. En séquence naturelle, l’habitat se trouve en contact inférieur avec les prairies à spartine (15.2) ou les salicorniaies pionnières annuelles à Salicornia fragilis/dolichostachya (15.1), alors que le contact supérieur s’effectue souvent avec un linéaire ou une frange plus ou moins large de fourrés à Suaeda vera (15.6) précédant une digue de protection contre les incursions marines. En sites perturbés (marais endigués), l’habitat colonise les bordures de bassins subissant encore des entrées occasionnelles d’eau salée et les bordures du réseau hydraulique (étiers, chenaux, ruissons).

La variabilité régionale de l’habitat est très importante en fonction de la durée et de la fréquence des submersions par l’eau salée ou selon la nature du substrat. Une quinzaine de communautés différentes sont connues sur le littoral charentais, qui se regroupent en 5 ensembles distincts :

  • les prés salés du bas schorre : ils sont inondés régulièrement lors des hautes mers de forts coefficients. La végétation, à dominante herbacée ou ligneuse selon les faciès, présente en général un fort recouvrement et l’Aster maritime Aster tripolium y joue souvent un rôle physionomique important. 2 communautés sont présentes : la prairie salée à Puccinellia maritima (HALIMIONO-PUCCINELLIETUM MARITIMAE) sur sol vaseux inondé fréquemment et à ressuyage lent, et la prairie à Sarcocornia perennis (PUCCINELLIO-SARCOCORNIETUM PERENNIS), des substrats moins asphyxiques, parfois sableux ;
  • les prés salés du schorre moyen : ils colonisent le plateau du schorre, régulièrement inondé mais à ressuyage rapide. Ils sont représentés par 2 communautés : la prairie argentée à Obione (BOSTRYCHIO-HALIMIONETUM PORTULACOIDIS, association végétale centrale des prés salés du Centre-Ouest où elle couvre de vastes surfaces) et le pré salé piétiné à Glycérie fasciculée (ASTERO TRIPOLII-PUCCINELLIETUM FASCICULATAE) présent dans la moitié nord de la France sur les schorres mais rencontré sur le littoral charentais uniquement en situations saumâtres à l’intérieur des digues ;
  • les prés salés du haut schorre : ils ne sont submergés que 2 fois par mois lunaire, au moment des vives eaux provoquées par les syzygies (alignement du Soleil, de la Terre et de la Lune), voire encore plus rarement, lors des marées de très forts coefficients (équinoxes). Dans certains faciès, la sécheresse du substrat peut être assez marquée alors que dans d’autres, une nappe phréatique douce peut imprégner jusqu’aux horizons supérieurs du sol. C’est à ce niveau que la variabilité est la plus forte, avec 7 communautés possibles : la prairie à Fétuque littorale (FESTUCETUM LITTORALIS) des hauts de prés salés peu atteints par la marée, la prairie basse à Plantain maritime et Statice commun (PLANTAGINI MARITIMI-LIMONIETUM VULGARIS) des sub-cuvettes planes sur sol sablo-vaseux, le pré à Armoise maritime (ARTEMISIETUM MARITIMAE),sur les très hauts niveaux enrichis en matière organique, le pré à Jonc de Gérard (LIMONIO VULGARIS-JUNCETUM GERARDII), sur des schorres humectés d’eau douce, le pré à Laîche étirée (JUNCO MARITIMI-CARICETUM EXTENSAE) sur des sols fortement imprégnés d’eau douce phréatique, le pré à Cranson d’Angleterre (COCHLEARIO ANGLICAE-PLANTAGINETUM MARITIMAE) de certaines cuvettes plates du schorre supérieur, et le pré à Glycérie de Foucaud (HALIMIONO-PUCCINELLIETUM FOUCAUDII) des bordures estuariennes saumâtres ;
  • les prés salés du contact haut schorre/dune : ils se développent très localement sur sols sablo-limoneux dans les rares sites où des prés salés viennent en contact avec des dunes ; la submersion par les eaux marines est exceptionnelle et n’intervient que lors des marées d’équinoxes. 2 communautés sont connues : le pré à Statice à feuilles de lychnis (LIMONIETUM LYCHNIDIFOLIO-DODARTII) des hauts schorres sableux et le pré à Statice à feuilles ovales (groupement à Frankenia laevis et Limonium ovalifolium) de statut encore incertain ;
  • les prairies hautes des niveaux supérieurs : elles sont localisées à la frange supérieure des schorres, dans la zone où s’accumulent les matières organiques apportées par les hautes mers de vives-eaux ; le sol y est riche en azote et peut subir une dessication intense en été. 2 communautés sont connues : la prairie nitro-halophile à Agropyre piquant (BETO MARITIMAE-AGROPYRETUM PUNGENTIS), haute prairie d’un vert glauque typique se développant dans la zone d’accumulation des débris organiques salés, et la prairie à Inule faux-crithme (AGROPYRO PUNGENTIS-INULETUM CRITHMOIDIS), fréquente dans les marais endigués sur sols enrichis en restes coquilliers.

Beaucoup de ces faciès peuvent se développer en situations secondaires, en bordure des bassins des marais endigués : leur développement est alors souvent linéaire et les séquences sont téléscopées sur les berges en l’absence d’un gradient progressif de submersion/exondation ; bien que ces situations présentent une composition floristique souvent appauvrie par rapport à leurs homologues des prés salés primaires, elles constituent souvent le biotope d’élection pour plusieurs communautés de la marge supérieure des schorres dont elles ont été éliminées par les divers aménagements réalisés au cours des siècles (endiguement, surtout) : prairie à Fétuque littorale, pré à Armoise maritime, prairie à Inule faux-crithme.

Phytosociologie et correspondances typologiques

PVF 2004

ASTERETEA TRIPOLII Westhoff et Beeftink 1962

GLAUCO MARITIMAE-PUCCINELLIETALIA MARITIMAE Westhoff et Beeftink 1962 : prairies salées atlantiques européennes

Puccinellion maritimae Christiansen 1927 : schorres inférieurs à moyens

Armerion maritimae Br.Bl. & de Leeuw 1936 : niveaux hauts à supérieurs des schorres

Glauco maritimae-Juncion maritimi Géhu et Géhu-Franck

2004 : milieux saumâtres

COR 1991

  • 15.3 Prés salés atlantiques
    • 15.31 Prés salés avec Puccinellia maritima
  • 15.32 Groupements à Puccinellia maritima des prés salés
  • 15.33 Communautés du schorre supérieur
  • 15.34 Prés salés à Puccinellia et Spergularia marina
  • 15.35 Végétation à Elymus pycnanthus

Directive Habitats 1992 et Cahiers d’habitats

  • 1330 Prés salés atlantiques
    • 1330-1 Prés salés du bas schorre
    • 1330-2 Prés salés du schorre moyen
    • 1330-3 Prés salés du haut schorre
    • 1330-4 Prés salés du contact schorre/dune
    • 1330-5 Prairies hautes des niveaux supérieurs atteints par la marée

Confusions possibles

L’habitat se distingue aisément des autres habitats en contact lorsque la zonation produit des ceintures plus ou moins larges et disjointes ; dans certains cas toutefois de schorres à micro-topographie complexe, un effet de mosaïque peut entraîner des mélanges par taches plus ou moins juxtaposées de 15.1/15.2/15.3, voire 15.6. Cette structure « en écailles » nécessite de grandes précautions méthodologiques lors de la réalisation de relevés de végétation destinés à être traités ultérieurement dans des tableaux phytosociologiques, sous peine de ne pas satisfaire à divers critères d’homogénité (écologique, floristique, physionomique).

Par ailleurs, la variabilité interne très forte de l’habitat peut entraîner des difficultés pour référer telle ou telle portion de pré salé à l’un ou l’autre des 5 groupes, notamment dans les inévitables zones de transition (spécialement à la jonction bas schorre/schorre moyen).

Dynamique

La dynamique naturelle interne de l’habitat est très faible du fait des fortes contraintes écologiques ; les liens observés entre les différentes communautés du schorre sont donc plus de l’ordre du simple contact spatial que l’indice d’une possible dynamique.

Valeur biologique

4 communautés sont inscrites au Livre rouge des Phytocénoses terrestres du littoral français (GEHU, 1991) : le pré salé piétiné à Glycérie fasciculée (ASTERO TRIPOLII-PUCCINELLIETUM FASCICULATAE), le pré à Armoise maritime (ARTEMISIETUM MARITIMAE), le pré à Statice à feuilles de lychnis (LIMONIETUM LYCHNIDIFOLIO-DODARTII) et la prairie à Inule faux-crithme (AGROPYRO PUNGENTIS-INULETUM CRITHMOIDIS). _ 2 autres communautés, de description postérieure à la rédaction de cette synthèse, mériteraient de figurer également sur ce Livre Rouge : le pré à Glycérie de Foucaud (HALIMIONO-PUCCINELLIETUM FOUCAUDII), synendémique des côtes charentaises et le pré à Statice à feuilles ovales et Frankénie lisse, de statut phytosociologique encore non formellement défini. Tous les faciès de l’habitat sont par ailleurs inscrits à l’Annexe I de la Directive Habitats et sont donc considérés comme rares/menacés en Europe.

7 espèces végétales régionalement ou nationalement rares/menacées sont concernées par cet habitat : la Glycérie de Foucaud Puccinellia foucaudii, endémique du littoral franco-atlantique et le Statice à feuilles ovales Limonium ovalifolium, figurent au Livre Rouge de la Flore Menacée de France comme taxons prioritaires.

Les 5 autres présentent surtout une rareté régionale : le Cranson d’Angleterre Cochlearia anglica est localisé à un petit secteur de l’estuaire Seudre ; l’Armérie maritime Armeria maritima, très commune dans d’autres régions atlantiques (Bretagne), reste rare en Poitou-Charentes (Seudre, surtout) ; le Statice à feuilles de lychnis Limonium auriculae-ursifolium – longtemps confondu avec le Statice à feuilles ovales – possède une distribution régionale plus restreinte que ce dernier et n’est connu avec certitude que de l’île de Ré et de la presqu’île d’Arvert ; la Laîche étirée Carex extensa reste très disséminée, ses occurrences étant liées à un phénomène rare, la présence de suintements phréatiques doux au niveau du pré salé ; quant à la Glycérie fasciculée Puccinellia fasciculata, ses stations sont très dispersées dans les secteurs les plus saumâtres des grands marais arrière-littoraux (Seudre, Brouage, Rochefort) encore soumis à un pâturage bovin régulier.

Espèces indicatrices

[plante2] *Armeria maritima, Aster tripolium, Beta vulgaris ssp.maritima, *Carex extensa, *Cochlearia anglica, Elytrigia x acuta, Elymus pycnanthus, Festuca rubra ssp.littoralis, Frankenia laevis, Glaux maritima, Halimione portulacoides, Inula crithmoides, Juncus gerardii, *Limonium auriculae-ursifolium, Limonium dodartii, *Limonium ovalifolium, Limonium vulgare, Plantago maritime, *Puccinellia fasciculata, *Puccinellia foucaudii, Puccinellia maritima, Sarcocornia perennis, Spergularia media, Triglochin maritimum
[plante1] Atriplex prostrata, Bolboschoenus maritimus, Juncus acutus, Juncus maritimus, Samolus valerandi, Sonchus maritimus, Spergularia marina, Suaeda maritima
[champignons] Agaricus bernardii
[oiseaux] Asio flammeus, Himantopus himantopus, Luscinia svecica namnetum, Recurvirsotra avosetta, Tringa totanus

Menaces

Des modifications de la sédimentation – naturelles ou induites par divers aménagements – sont susceptibles, par érosion ou « engraissement », de modifier l’agencement des communautés. L’endiguement du haut schorre pour la création d’infrastructures portuaires, conchylicoles ou piscicoles ou à des fins d’aménagements touristiques peut faire disparaître de précieuses communautés, notamment celles inféodées à la partie supérieure des prés salés. Divers problèmes plus ponctuels tels que le creusement de mares cynégétiques ou le passage d’engins motorisés lourds pour l’accès aux zones ostréicoles sont susceptibles aussi d’altérer l’habitat. Le piétinement peut être également un facteur défavorable, particulièrement en ce qui concerne la zone de contact schorre/dunes. Au titre des impacts indirects, on retiendra surtout l’eutrophisation du bassin versant et les pompages dans les nappes phréatiques, susceptibles d’altérer la balance trophique et la nature du substrat.

Dans les situations secondaires (marais endigués), les différents faciès de l’habitat sont bien sûr beaucoup plus exposés : ils restent alors entièrement dépendants d’un réseau hydraulique en bon état permettant les arrivées régulières d’eau marine, faute de quoi une dérive dynamique vers des communautés saumâtres s’enclenche en l’espace de 1 ou 2 décennies. Ils restent aussi bien sûr à la merci de tout changement de vocation des bassins et, notamment, d’une intensification des méthodes aquacoles.

Statut régional

L’habitat est présent potentiellement sur l’ensemble de la frange littorale de Charente-Maritime et de ses îles.

17 :

  • situations primaires : baie de l’Aiguillon, Fier d’Ars (île de Ré), baie de Moëze, estuaire Seudre, baie de Bonne Anse
  • situations secondaires : marais endigués autour du Fier d’Ars (île de Ré), anciens marais salants d’Oléron, estuaire Seudre