Lit mineur des rivières (et végétation immergée associée)

Rédacteur : David Ollivier

Physionomie-écologie

Les rivières du Poitou-Charentes sont des rivières de plaine, c’est-à-dire assez peu soumises à de forts courants et à des reliefs ou déclivités importants. La largeur et la profondeur des cours d’eau sont plutôt réduites au niveau des têtes de bassin et plus importantes au niveau des zones moyennes et inférieures des cours d’eau.

Les cours d’eau de la région se partagent entre deux grands bassins hydrologiques : bassin de la Loire (Vienne, Creuse, Sèvre-Niortaise…) et bassin de l’Adour-Garonne (Charente, Seudre…). Du nord au sud, la Sèvre-Niortaise, la Charente, la Seudre et la Gironde sont les quatre seuls fleuves de la région à se jeter dans l’océan au niveau de la façade atlantique picto-charentaise.

Les ruisselets et ruisseaux de tête de bassin ont généralement un courant, sont plutôt étroits (moins de 5 mètres de large), leur fond est constitué de gros matériaux rocheux (graviers, roches, galets…), l’eau y est plutôt claire avec peu de matières en suspension et encore bien oxygénée (Epipotamon, zone à Ombre). Ces petits cours d’eau deviennent très ombragés lorsque la ripisylve est bien développée. En contexte de grandes cultures, les ruisseaux, autrefois sinueux, ont été souvent recalibrés et ressemblent aujourd’hui à de vulgaires fossés, à tel point qu’ils ne sont plus considérés comme des cours d’eau par la population locale et par le monde agricole. Des herbiers à Ache nodiflore (Heliosciadum nodiflorum) et à Cresson (Nasturtium officinale) tapissent parfois abondamment la surface de ces cours d’eau. Les ruisselets, d’abords simples, rejoignent leurs affluents jusqu’à former des rivières larges (5 mètres et plus) et profondes, le courant est plus lent et le fond, formé de dépôts sédimentaires et alluvionnaires, présente une granulométrie plus fine (sables, vase). La température estivale est plus importante (<20°C), le niveau d’oxygénation faible et l’eau contient de nombreuses matières organiques en suspension. La ripisylve, lorsqu’elle est encore présente, fournit de l’ombrage au pied de la berge seulement et le reste du cours d’eau est généralement ensoleillé. Les rivières sont de plus en plus importantes au fur et à mesure que l’on se rapproche de la confluence avec le fleuve. Les dépôts alluvionnaires sont parfois si abondants que des bancs de sables ou de graviers peuvent se former. En fonction de la dynamique fluviale et donc de la capacité d’érosion du cours d’eau, une végétation pionnière va pouvoir s’installer sur ces bancs de sable. Lorsque l’île se fixe définitivement, les premiers ligneux (saules arbustifs) s’installent et préparent le développement d’une future forêt alluviale.

Le courant des rivières de plaine peut être hétérogène au sein d’un même cours d’eau. Ainsi se succèdent naturellement des zones de radiers peu profondes, avec un substrat décapé à granulométrie grossière (roches, galets) et un courant plutôt fort sélectionnant des espèces animales et végétales rhéophiles, et des zones de courant plus lent, profondes, à fond plutôt sablo-limoneux (vases). Les obstacles (roches, herbiers…) canalisent le courant et permettent l’existence de zones d’eaux plus calmes.
La variation de la composition spécifique des végétations de rivière est principalement liée au niveau de trophie de l’eau, celle-ci augmentant généralement selon un gradient amont/aval : les ruisseaux de tête de bassin sont généralement pauvres en éléments nutritifs, alors que les grandes rivières ont un niveau trophique plutôt élevé.

Quatre principaux types de végétation sont ainsi classiquement distingués en fonction de leur exigences trophiques :

  • la végétation acidiphile des eaux oligotrophes à mésotrophes : les rivières dont les eaux sont acides à neutres s’écoulent généralement sur des roches siliceuses (schistes, granite, grès…) et se caractérisent par des herbiers peu denses à Callitriche hamulata, Potamogeton polygonifolius, Myriophyllum alterniflorum, Ranunculus penicillatus, accompagnés d’une algue rouge (Batrachospermum spp.), jusqu’au sein des petits ruisselets et ruisseaux des têtes de bassin. De nombreuses espèces de bryophytes colonisent les rochers inondables. Cette végétation peut présenter des variations en fonction de l’éclairement, la topographie, la granulométrie du substrat, la taille du cours d’eau et du degré d’oligotrophie plus ou moins prononcé.
  • la végétation des eaux claires, riches en bases (calcaire) : elle se caractérise par la présence d’espèces ne supportant pas la turbidité de l’eau (espèces oligosaprobes) telles que Berula erecta, Callitriche obtusangula, Nasturtium officinale, Helosciadium nodiflorum, Sparganium emersum avec les algues Chara vulgaris et Nitella mucronata. Une mousse, Cratoneuron filicinum, colonise les pierres émergées. Cette végétation s’organise en herbiers denses, étagés sur plusieurs strates. A noter que les formes submergées de certaines espèces amphibies, telles que la Menthe aquatique Mentha aquatica, la Berle Berula erecta, le Myosotis des marais Myosotis scorpioides, la Sagittaire Sagittaria sagittifolia se mélangent volontiers aux herbiers. Avant l’arrivée des ragondins dans notre région, cette végétation était dominée par des massifs denses de Scirpe lacustre, Schoenoplectus lacustris.
  • la végétation des eaux mésotrophes : en contexte neutre à basique, les herbiers des ruisseaux et ruisselets sont composés de végétaux supérieurs (phanérogames) comme Ranunculus penicillatus et Callitriche platycarpa, alors que les bryophytes sont principalement représentées par Fontinalis antipyretica. Cet ensemble peut se trouver en mélange avec des stades végétatifs d’espèces amphiphytes telles que Mentha aquatica fa. submersa, Ranunculus peltatus, R. trichophyllus.
  • la végétation des eaux eutrophes : dans les rivières larges, très éclairées, elle se développe surtout au niveau des radiers, où le courant s’accélère ; elle est constituée d’herbiers très denses, remarquablement fleuris à Renoncule flottante, Ranunculus fluitans, accompagnée par des plantes plus discrètes, telles que Myriophyllum spicatum et Potamogeton nodosus. Dans les zones à courant plus lent, s’ajoutent d’autres plantes comme Ceratophyllum demersum et Nuphar lutea, accompagnées par des espèces amphibies comme Nasturtium officinale ou Veronica beccabunga et malheureusement, depuis peu, par deux plantes invasives, Ludwigia grandiflora et Ludwigia peploides. Ces strates peuvent être complétées par une strate épiphytique supplémentaire composée d’algues (algues filamenteuses), parfois fortement développée.

Chacun de ces types de végétations peut connaître une variabilité importante en fonction de l’éclairement, de la topographie, de la granulométrie, de la mobilisation du fond de la rivière, de l’écoulement et du courant.

Phytosociologie et correspondances typologiques

PVF2004

  • POTAMETEA PECTINATI Klika in Klika & Novák 1941
    • Batrachion fluitantis Neuhäusl 1959 : communautés submergées des eaux courantes, oligotrophes et oligocalciques à eutrophes et calciques

CORINE 1991

  • 24.14 Zone supérieure (épipotamon) des rivières de plaine. Zone à Barbeau
  • 24.15 Zone moyenne et inférieure (métapotamon et hypopotamon) des rivières de plaine. Zone à Brème
  • 24.16 Cours d’eau intermittents
  • 24.21 Bancs de graviers sans végétation
  • 24.22 Bancs de graviers végétalisés
  • 24.31 Bancs de sables sans végétation
  • 24.32 Bancs de sables végétalisés
  • 24.51 Vases alluviales dépourvues de végétation
  • 24.41 Végétation des rivières oligotrophes acidiphiles (Myriophyllum alterniflorum, Callitriche hamulata)
  • 24.42 Végétation des rivières oligotrophes riches en calcaire (Potamogeton coloratus…)
  • 24.43 Végétation des rivières mésotrophes (Berula erecta, Groenlandia densa, Callitriche obtusangula)
  • 24.44 Végétation des rivières eutrophes (Ranunculus fluitans, Myriophyllum spicatum)

Directive Habitats 1992

  • 3260 Rivières des étages planitiaire à montagnard avec végétation du Ranunculion fluitantis et du Callitricho-Batrachion
    • 3260-1 Rivières (à Renoncules) oligotrophes acides
    • 3260-2 Rivières oligotrophes basiques
    • 3260-3 Rivières à Renoncules oligo-mésotrophes
      à méso-eutrophes, acides à neutres
    • 3260-4 Rivières à Renoncules oligo-mésotrophes
      à méso-eutrophes, neutres à basiques
    • 3260-5 Rivières eutrophes (d’aval), neutres à basiques,
      dominées par des Renoncules et des Potamots
    • 3260-6 Ruisseaux et petites rivières eutrophes
      neutres à basiques

Confusions possibles

La construction de barrages et de seuils sur certaines rivières rendent les eaux stagnantes ou très faiblement courantes, ce qui permet parfois le développement d’herbiers d’espèces végétales caractéristiques des milieux stagnants telles que les mares et les étangs. Les confusions restent possibles quant à l’identification des différentes déclinaisons de cet habitat (herbiers) en raison du continuum de niveau trophique existant au sein d’un hydrosystème. Enfin, lorsque les espèces caractéristiques sont faiblement représentées au sein du groupement la caractérisation de l’habitat peut se révéler difficile.

Dynamique

Cet habitat est généralement stable et régulé par les variations saisonnières du débit des cours d’eau. Ces variations vont en effet rajeunir chaque année le milieu par arrachage des espèces liées à une forte dynamique fluviale. Lorsque cette dernière s’amoindrit, les bancs de sable ont tendance à se fixer et se végétaliser, constituant une île sur laquelle les ligneux vont pouvoir progressivement s’installer pour constituer une forêt alluviale. La modification de certains facteurs (éclairement, profondeur,
écoulement, qualité de l’eau…) liée souvent aux activités humaines qui ont cours au niveau du bassin versant (eaux de ruissellement chargées en matières nutritives, notamment azotées, seuils de moulins, pompage, arrachage des haies, drainage…) peut conduire des groupements végétaux oligotrophes ou mésotrophes vers un groupement végétal caractéristique d’un niveau trophique supérieur (eutrophe), généralement moins original.

Valeur biologique

Les herbiers sont composés généralement d’espèces végétales assez communes à communes, mais sont à l’origine d’une partie importante de la diversité biologique de la rivière. En effet, cet habitat permet le développement parfois important de nombreux insectes aquatiques liés à la rivière. Il constitue un abri et un habitat d’alimentation pour les poisons. Les rivières constituent l’habitat de vie indispensable pour de nombreuses espèces animales telles que les poissons mais aussi, pour certains mammifères (Castor, Loutre, Campagnol amphibie…), les libellules des eaux courantes, des insectes aquatiques (trichoptères, plécoptères, éphéméroptères, diptères…), des crustacés (décapodes, écrevisses, branchiopodes…), des mollusques (limnées, bivalves), des vers de vase, etc…

Les bancs de sable ou de graviers sont le support favorable à l’installation d’une végétation rare et originale tels que les gazons amphibies des grèves et des vases (végétation à littorelle, végétation à Bidens, etc…).
Une fois fixés suite à l’installation d’une végétation pionnière arbustive (saules arbustifs par exemple) qui va résister à la dynamique fluviale, ces bancs de sables peuvent constituer des îles propices au développement des ligneux constituant les forêts alluviales, un type d’habitat menacé au niveau européen.

Menaces

La régularisation des cours d’eau modifiant ainsi leur régime hydrologique et leur cycle annuel (étiage, crues,…) est de nature à perturber leur fonctionnement écologique. Cette régularisation est souvent la conséquence de la présence de seuils ou de petits barrages, de canalisation, de la rectification et de la simplification des petits cours d’eau, l’imperméabilisation des berges, le bétonnage, le soutien d’étiage (par des retenues d’eau collinaire), le drainage de surfaces agricoles, les pompages dans le lit mineur et en nappe alluviale, etc.

L’apport intensif de produits phytosanitaires et d’engrais au niveau du bassin versant d’une rivière est souvent à l’origine d’une eutrophisation excessive, qui constitue une forme de pollution de la rivière. Cela se traduit par une banalisation des espèces animales et végétales, donc par un appauvrissement de la vie de la rivière.

Enfin la présence d’espèces envahissantes telles que la Jussie peut fortement nuire au fonctionnement écologique des petits cours d’eau, en privant les communautés animales et végétales aquatiques de lumière et d’oxygène.

Espèces indicatrices

[plante2] Berula erecta fa. submersa, Callitriche hamulata, Callitriche obtusangula, Callitriche platycarpa, Ceratophyllum demersum, Elodea canadensis, (Elodea nuttalii), Glyceria fluitans fa fluitans, Groenlandia densa, Mentha aquatica fa. submersa, *Myriophyllum alterniflorum, M. spicatum, P. berchtoldii, *P.coloratus, Potamogeton nodosus, P. pectinatus, *P. perfoliatus, Potamogeton polygonifolius, Ranunculus aquatilis, *Ranunculus fluitans, Ranunculus peltatus, Ranunculus penicillatus ssp.pseudofluitans, Ranunculus trichophyllus, Sparganium emersum fa. longissimum, Zanichellia palustris
[plante1] Apium nodiflorum, Butomus umbellatus fa. fluitans, Callitriche stagnalis, Eleogiton fluitans, Juncus bulbosus, (Ludwigia peploides), (L.grandiflora), *Luronium natans, Myosotis gr.scorpioides, Nasturtium officinale, Nuphar lutea, Phalaris arundinacea, Potamogeton crispus, Schoenoplectus lacustris fa. fluitans, Sparganium erectum ssp. erectum
[briophytes] Amblystegium riparium, Brachythecium rivulare, Chiloscyphus polyanthos, Cinclidotus danubicus, Cinclidotus fontinaloides, Fissidens crassipes, Fontinalis antipyretica, Octodiceras fontanum, Philonotis sp., Rhynchostegium riparioides, Riccardia chamaedryfolia, Riccia fluitans, Ricciocarpos natans
[mammiferes] Arvicola sapidus, Castor fiber, Lutra lutra, Mustela lutreola, Neomys fodiens
[oiseaux] Alcedo atthis, Motacilla cinerea
[amphibiens] Pelophylax ridibundus
[poissons] Zone à Brème : Abramis brama, Alosa alosa, Alosa fallax, Blicca bjoerkna, Cyprinus carpio, Esox lucius, Lampetra fluviatilis, Perca fluviatilis, Petromyzon marinus, Rhodeus amarus, Rutilus rutilus, Salmo salar, Scardinius erythrophtalmus, Tinca tinca
Zone à Barbeau : Alburnus alburnus, Barbus barbus, Chondrostoma nasus, Leuciscus cephalus, Leuciscus leuciscus
Zone à Ombre : Barbatula barbatula, Cottus gobio, Lampetra planeri, Phoxinus phoxinus, Salmo trutta fario
[mollusques] Adononta anatina, Corbicula fluminea (exogène, envahissant), Limnées, Margaritifera margaritifera, Physes, Pisidium sp., Planorbes, Potamida littoralis, Pseudanodonta complanata, Pseudunio auricularius, Sphaerium corneum, Theodoxus fluviatilis, Unio crassus, Unio mancus
[crustaces] Atyaephyra desmareti, Austropotamobius pallipes, Gammarus sp., Orconectes limosus (exogène)
[odonates] zone aval et médiane : Boyeria irene, Calopteryx splendens, Coenagrion mercuriale, Erythromma lindenii, Gomphus flavipes, Gomphus graslinii, Gomphus simillimus, Gomphus vulgatissimus, Libellula fulva, Macromia splendens, Onychogomphus forcipatus, Onychogomphus uncatus, Oxygastra curtisii, Platycnemis latipes, Platycnemis pennipes
zone amont : Calopteryx haemorrhoidalis, Calopteryx virgo meridionalis, Cordulegaster boltoni
[orthopteres] Paracinema tricolor, Pteronemobius lineolatus
[coleopteres] Ephemeroptera spp, Plecoptera spp., Trichoptera spp
Annélidés Sangsue, Planaire, Oligochètes (Tubifex sp.)

Statut régional

Les végétations immergées des rivières de plaines sont relativement abondantes et disséminées de façon homogène en région Poitou-Charentes.

Sites typiques ou remarquables :

16 : vallée de la Charente

17 : vallées de la Charente, de la Boutonne, de la Seugne

79 : vallées du Thouet, de l’Autize

86 : vallées de la Vienne, de la Gartempe et ses affluents, de la Creuse