Le changement global

Le changement global ne se limite pas aux modifications d’origine naturelle (conditions abiotiques et climatiques). Il résulte en grande partie d’une empreinte écologique humaine considérable et grandissante. La fragmentation et la destruction des habitats sont fortement liées à l’intensification agricole et à l’urbanisation. Le transport et l’introduction, plus ou moins volontaires, de nombreux animaux et plantes exotiques, contribuent à homogénéiser et à déstabiliser les écosystèmes. Ces deux phénomènes contribuent aussi à augmenter la régression, voire l’extinction de bon nombre d’espèces. La pollution, par consommation accrue d’énergies fossiles et de produits chimiques, entraîne des modifications très importantes sur l’atmosphère, sur la qualité des terres et des eaux ainsi que sur la physiologie et le cycle biologique de nombreux êtres vivants, dont l’Homme et les libellules.

Disparition et altération des zones humides

En France, les zones humides ont perdu 65 % de leur surface depuis le début du XXe siècle. Leur assèchement, direct ou à l’échelle du bassin-versant, ainsi que leur comblement pour leur mise en culture, voire leur urbanisation, en sont les principaux facteurs. Cette situation perdure et la dégradation de ces milieux continue.

En Poitou-Charentes, cette pression s’est particulièrement exercée sur les zones humides connexes aux rivières et ruisseaux, dans les lits majeurs. Ces espaces, qui servent de zones naturelles d’expansion des crues et qui sont des réservoirs importants de biodiversité ont en effet, pour beaucoup, été profondément transformés au profit de la culture du maïs ou de la populiculture. Le changement radical de gestion hydraulique des cours d’eau opéré à partir des années 1960, à base de grands travaux de curage et de mise en place de barrages, a également conduit à l’assèchement des zones humides et à leur dégradation à vaste échelle. L’augmentation et la généralisation des traitements phytosanitaires utilisés en agriculture et par les jardiniers amateurs, s’ajoutent aux polluants d’origine industrielle et contribuent à une dégradation très importante des milieux aquatiques.

Sur la principale zone humide régionale qu’est le Marais Poitevin, plus de la moitié des prairies naturelles humides (33 000 des 60 000 hectares) ont ainsi disparu entre 1973 et 1990, au profit des cultures céréalières (source : Coordination pour la Défense du Marais Poitevin).

Altération de la ressource et de la qualité de l’eau

Le tarissement prolongé de sections de cours d’eau s’est fortement accentué ces 20 dernières années, et atteint en moyenne plus de 1000 kilomètres de cours d’eau en Poitou-Charentes (carte 1).

La cause principale est une pression de l’irrigation très forte (carte 2 – mise à jour 2010) depuis une trentaine d’années, principalement pour la culture du maïs qui représente 80 % des surfaces irriguées, sachant que 3 670 m3/ha sont nécessaires au cycle biologique de cette plante. Ainsi, de 1988 à 2004 en Poitou-Charentes (tableau ci dessous), ce volume a augmenté de 16 millions de m3 (54 %) alors que dans le même temps celui pour l’industrie diminuait de 29% et n’augmentait que de 5% pour l’eau potable. De plus, seulement 30 % de l’eau prélevée est restituée au milieu, de façon différée. Effectuée principalement pendant l’été, cette activité contribue activement à assécher les cours d’eau pendant la période de reproduction des libellules. L’une des solutions alors avancée par la profession agricole est la mise en place de retenues de substitution qui doit permettre de limiter les prélèvements en période d’étiage. Cependant, celles-ci ne présentent pas une réserve suffisante pour tenir tout l’été et leur remplissage se fait au détriment des crues hivernales. En outre, elles contribuent à maintenir un système agricole intensif et défavorable à l’ensemble des écosystèmes.


Évolution des prélèvements d’eau de 1988 à 2006 par usage et par origine. (Source : Agences de l’eau Adour-Garonne et Loire-Bretagne.)
1988 1993 1998 1999 2000 2001 2004 2005 2006
Industries Eaux de surface 27.9 27.6 17.8 16.5 18.9 18.4 18.1 17.9 18
Eaux souterraines 6.3 5.8 14.6 13.8 11.4 11.3 8.6 8.4 8
Total 34.2 32.5 32.4 30.3 30.3 29.7 26.6 26.3 26
Eau potable Eaux de surface 125 95 59 58.1 64.1 61.2 61.8 61.3 60.2
Eaux souterraines 23.1 52.7 92.9 93.3 89.3 96.2 94.1 87.9 89
Total 148.1 147.7 152 151.4 153.4 157.4 156 149.2 149.2
Irrigation Eau de surface 53.3 79.6 75.9 65 91.1 70.4 70.2 45.1 58.6
Eaux souterraines 85.4 130.7 219.3 181.4 157.6 180.2 182.9 124.4 147.8
Total 137.8 210.3 295.2 246.4 248.6 250.6 253.1 169.5 206.4
Tous usages Eaux de surface 206.2 202.2 152.7 139.6 174.1 150 150.1 124.3 136.8
Eaux souterraines 113.9 189.2 326.8 288.5 258.3 287.7 285.6 220.6 248.8
Total 320.1 390.5 479.6 428.1 432.3 437.7 435.6 344.9 381.6

Ce phénomène de dégradation de la ressource en eau est lié également à la disparition des zones humides du bassin versant qui servaient de zones tampons et qui relâchaient leur eau l’été, servant ainsi de soutien à l’étiage.

Les diverses pollutions, par les pesticides, les fertilisants, les cyanophycées, ou encore le phosphore, entraînent, quant à elles, une dystrophie des milieux qui affectent les cours d’eau. Ceci se révèle très défavorable aux libellules, dont les cortèges se retrouvent appauvris. Seules quelques espèces ubiquistes et très tolérantes comme l’Agrion élégant Ischnura elegans ou la Naïade au corps vert Erythromma viridulum arrivent, dans certains cas, à s’adapter.

Les zones humides souffrent également du grignotage du territoire par l’urbanisation ou la création d’infrastructures lourdes, gourmandes en espace (autoroute, lignes ferroviaires, carrières …).

Enfin, le colmatage des lits, à cause du piétinement par le bétail ou la circulation de véhicules tous terrains, a un impact néfaste sur la diversité des cortèges de libellules car il entraîne la diminution, voire la disparition, des herbiers aquatiques, l’augmentation excessive de la turbidité de l’eau, la perte des caches sous les cailloux pour les larves d’espèces tels que le Cordulégastre annelé Cordulegaster boltonii.

Nicolas COTREL

Bibliographie

Coordination pour la Défense du Marais Poitevin., 2009 – Site internet http://www.marais-poitevin.org/ – Consultation du 20/09/09.