Eaux stagnantes

Les cortèges odonatologiques varient selon les milieux et au cours de la saison. Certaines espèces, dites précoces, seront observées dès les premières belles journées printanières d’avril, alors que d’autres n’apparaîtront que fin juin – début juillet. Cette variation des peuplements odonatologiques au cours de la saison suit sensiblement le même schéma sur l’ensemble des milieux stagnants (mares, étangs, marais). Ainsi la Cordulie bronzée Cordulia aenea, l’Aeschne printanière Brachytron pratense, la Libellule déprimée Libellula depressa, la Libellule à quatre tâches Libellula quadrimaculata, la Petite nymphe au corps de feu Pyrrhosoma nymphula et C. puella s’observent dès avril. Courant mai et juin, la plupart des coenagrionidés et sympétrums apparaissent, accompagnés entre autre d’A imperator, de l’Aeschne isocèle Aeshna isoceles ou des leucorrhines sur les milieux qui leurs sont favorables. Les espèces les plus tardives prennent leur envol fin juin – début juillet et plus particulièrement les lestes, la plupart des cordulies ou des aeschnes telles que l’Aeschne affine Aeshna affinis, l’Aeschne bleue Aeshna cyanea et plus tardivement l’Aeschne mixte Aeshna mixta. Le vol de certaines d’entre elles se poursuit jusqu’au début de l’automne comme pour les sympétrums ou les lestes.

Les étangs

Ces milieux stagnants de grande superficie sont les zones humides qui abritent la plupart du temps la plus grande diversité odonatologique en Poitou-Charentes. On peut facilement y observer plus d’une trentaine d’espèces. Cependant, il serait un peu simpliste de parler d’un seul cortège odonatologique lié à ce type de milieu. Cette richesse spécifique découle en effet de la variété des habitats distincts présents dans et autour de l’étang. Les habitats annexes sont souvent nombreux et chacun d’entre eux abrite un cortège particulier. Sources, ruisseaux ou fossés d’alimentation, zone d’assèchement en queue d’étang, zone de marnage, roselières, partie inondée temporairement, émissaires, etc. peuvent offrir des conditions favorables aux exigences écologiques d’un grand nombre de taxons. En règle générale, les étangs les plus riches sont ceux qui sont bien ensoleillés, qui disposent d’une eau mésotrophe à eutrophe, dans laquelle la végétation aquatique et rivulaire est riche et variée (potamots, nénuphars, joncs, laîche, roseaux, saules, etc.). Cette richesse est également favorisée par le regroupement et la proximité géographique d’un grand nombre d’étangs. Le cortège lié au milieu principal de ce type de zone humide est généralement centré sur B. pratense, A. imperator, C. puella, la Libellule écarlate Crocothemis erythraea, I. elegans, L. quadrimaculata, l’Orthétrum réticulé Orthetrum cancellatum, P. pennipes, P. nymphula, le Sympétrum sanguin Sympetrum sanguineum, le Sympétrum strié Sympetrum striolatum, L. depressa. Sur les étangs les plus riches et en fonction des conditions, la liste peut vite s’enrichir : l’Agrion joli Coenagrion pulchellum, l’Agrion porte-coupe Enallagma cyathigerum, E. najas, E. viridulum, G. pulchellus, I. pumilio, le Leste sauvage Lestes barbarus, l’Orthétrum à stylets blancs Orthetrum al-bistylum, et le Leste brun Sympecma fusca.

L’existence d’une ceinture d’atterrissement importante conditionne la présence de nombreuses espèces qui nécessitent des eaux chaudes peu profondes et à forte densité d’hélophytes : le Leste verdoyant Lestes virens, plus rarement le Leste fiancé Lestes sponsa, A. affinis, souvent rejointe plus tard en saison par A. mixta et le Sympétrum meridional Sympetrum meridionale. La présence d’une roselière haute et dense pourvue de petites clairières d’eau libre peut favoriser la reproduction d’A. isoceles. Plusieurs espèces de libellules liées aux cortèges des eaux courantes peuvent se retrouver sur les annexes lotiques des étangs ou sur l’étang lui-même si un cours d’eau est très proche : L. fulva, C. splendens, E. lindenii, par exemple.

Plusieurs facteurs limitants peuvent entraîner la diminution du nombre d’espèces figurant dans les cortèges des étangs. Tout d’abord lorsque les eaux sont très acides, ce qui est peu courant dans la région, les cortèges sont moins diversifiés mais certaines espèces renforcent alors leur présence : l’Agrion délicat Ceriagrion tenellum et les cordulies comme C. aenea ou la Cordulie à taches jaunes Somatochlora flavomaculata. Enfin, l’odonatofaune peut être nettement plus pauvre lorsque les étangs sont insérés dans un vaste environnement forestier. Toutefois, là encore, certaines espèces se montrent mieux adaptées que d’autres à ce type de biotope : S. fusca, C. tenellum, A. cyanea, S. metallica.

Les étangs sont nombreux en Poitou-Charentes et répartis sur l’ensemble du territoire. Parmi les secteurs géographiques les plus riches sur le plan odonatologique, on peut citer le Montmorillonnais (86), les alentours de Pleuville (16) et la région de Montendre, Montlieu-la-Garde et Montguyon (17).

Les mares

Les mares sont des milieux stagnants ayant une superficie inférieure à 1000 m2. Ces petites zones humides continentales sont souvent de vrais îlots de biodiversité et abritent généralement un peuplement odonatologique riche et varié sur de petites surfaces. En Poitou-Charentes, on compte plus de 30 000 mares (Poitou-Charentes Nature, 2002) plus ou moins riches sur le plan odonatologique en fonction de leur environnement proche. De nombreux paramètres font varier la composition des peuplements de libellules. L’ensoleillement est l’un des principaux. En effet, la majorité des mares sont peu profondes et le rayonnement solaire pénètre souvent jusqu’au fond et permet à l’eau de vite se réchauffer. En conséquence, ces pièces d’eau ensoleillées, que l’on trouve le plus souvent en milieu prairial, possèdent une végétation aquatique riche et souvent dense. De nombreux hydrophytes les colonisent et elles sont souvent ceintes d’une large bande d’hélophytes composée de cypéracées et joncacées. Cette végétation sert d’abri et de terrain de chasse aux larves, de support de ponte puis d’émergence à de très nombreuses espèces de libellules. Ces mares en milieu ouvert, hébergent des cortèges souvent dominés par L. depressa, L. quadrimaculata et A. imperator, puis en fin de saison, par A. cyanea. D’autres anisoptères sont parfois présents, notamment B. pratense, C. aenea à la fin du printemps, C. erythraea, S. sanguineum, S. striolatum et ponctuellement A. affinis en été. Les espèces de zygoptères complètent les cortèges et les effectifs sont fréquemment importants relativement à l’étroitesse de l’habitat. Les agrions sont massivement présents au printemps : L’Agrion mignon Coenagrion scitulum, C.puella. A partir d’août, au moment où beaucoup de mares commencent à s’assécher, c’est au tour des lestes, espèces adaptées aux milieux temporaires ou régulièrement exondés, d’occuper la pièce d’eau. Le Leste des bois Lestes dryas, L. sponsa, L. virens trouvent alors, au milieu des touffes de joncs, de carex, parfois d’iris, les conditions propices à leur accouplement puis à la ponte. Pour ces espèces, l’éclosion des œufs et le développement des larves se feront rapidement au printemps suivant lorsque les mares auront retrouvé un niveau d’eau suffisant. Beaucoup d’autres espèces aux exigences moins fortes peuvent être observées sur ces mares de prairies. A contrario, les mares forestières très fermées et pauvres en végétation aquatique, dont le fond est souvent recouvert d’une épaisse couche de feuilles mortes, abritent une faible diversité odonatologique. L’espèce la plus courante est A. cyanea dont l’écologie est très plastique. P. nymphula, S. fusca et C. tenellum sont aussi régulièrement observés dans ces mares à condition que le soleil arrive de temps à autre à traverser le couvert arboré.

Les mares sont parfois très aménagées par l’homme. Localisées au sein des fermes, elles peuvent abriter canards domestiques et poissons, être plus ou moins dépourvues de végétation et avoir une eau à la qualité douteuse. La diversité odonatologique est évidemment faible. On y rencontre L. depressa, O. cancellatum et quelques espèces ubiquistes peu exigeantes comme I. elegans. Quant aux mares d’agréments et de jardin, si l’entretien est léger, elles peuvent servir de milieu de développement pour plusieurs espèces. En quelques années, on peut facilement compter une quinzaine d’espèces, certes souvent parmi les plus communes et répandues, mais qui trouvent dans ces bassins de jardins des milieux de substitution opportuns. Ces habitats de mares sont largement répartis dans la région, mais les zones bocagères comme le Confolentais (16), la Gâtine, le bocage bressuirais (79) ou la moitié est de la Vienne (86) présentent une densité assez remarquable.

Les étangs et les mares aux eaux oligotrophes

Il s’agit de milieux très localisés en Poitou-Charentes caractérisés par des eaux acides ou alcalines pauvres en éléments nutritifs. Ces plans d’eau de tailles très diverses, étangs, mares, petites dépressions, peuvent parfois être insérés dans d’anciennes zones de marais plus ou moins tourbeux. Ces milieux, qui sont de plus en plus rares accueillent une faune odonatologique parfois exceptionnelle comme le sont les trois espèces emblématiques de leucorrhines : la Leucorrhine à gros thorax Leucorrhinia pectoralis, à large queue L. caudalis et à front blanc L. albifrons, dont les premières émergences se déroulent courant mai. On trouve encore ces habitats sur des étangs localisés en tête de bassins et à l’abri des pollutions (étangs du terrain militaire de Montmorillon par exemple) ou sur d’anciennes zones d’extraction de matériaux (pierre meulière, marne, argile …). Sur ces milieux, le cortège odonatologique est riche et diversifié avec parfois plus de 40 espèces dont les plus caractéristiques sont : L. quadrimaculata, S. flavomaculata, C. aenea, C. tenellum, C. scitulum, E. cyathigerum. Ces espèces supportent une certaine acidité de l’eau et s’accommodent plus que d’autres de la pauvreté relative du milieu. Dans certaines conditions, ponctuellement, ces zones humides peuvent aussi se révéler favorables au développement d’espèces moins exigeantes, que l’on peut qualifier d’espèces secondaires, qui s’y succèdent en fonction de leur phénologie. Il s’agit notamment de P. nymphula, C. puella, A. imperator, C. viridis, L. sponsa, L. barbarus, A. affinis, A. isoceles, B. pratense, G. pulchellus, C. erythraea, L. depressa, S. sanguineum, S. striolatum, S. fusca et, uniquement sur des étangs, la rare Epithèque à deux taches Epitheca bimaculata.

En Poitou-Charentes, ces habitats sont essentiellement localisés dans des zones de landes, Réserve Naturelle du Pinail (86), Landes de l’Hôpiteau (79), mares et étangs des Ardillasses (17) et du Montmorillonnais (86).

Les milieux artificiels : sablières, gravières

Ces zones artificielles sont très souvent d’anciennes zones d’extraction de matériaux alluvionnaires, que l’on nomme sablières ou ballastières, mais peuvent aussi, localement, concerner d’autres roches comme l’argile. Après exploitation, ces carrières sont réaménagées et souvent mises en eau créant ainsi de nouvelles zones humides. Dans un premier temps des cortèges pionniers colonisent ces milieux neufs. I. pumilio, la Libellule écarlate C. erythraea, A. imperator, O. cancellatum, L. depressa et parfois L. barbarus sont les premières à apparaître. Ces espèces acceptent la rareté, voire l’absence de plantes aquatiques caractéristiques des premières années d’existence de ces plans d’eau. Si le niveau d’eau est variable, les zones peu profondes régulièrement exondées permettent aux Sympétrums de Fonscolombe Sympetrum fonscolombii de déposer leur ponte sur le substrat émergé puis à leurs larves de se développer dans des eaux rapidement réchauffées. Les larves d’O. albistylum et surtout de G. pulchellum peuvent aussi profiter des berges en pente douce dépourvues de végétation ou l’eau monte vite en température. Dès que la ceinture de végétation et les herbiers aquatiques se développent, certaines espèces pionnières disparaissent et les cortèges s’enrichissent à l’image de ceux que l’on rencontre sur des étangs plus anciens et plus « naturels ». On trouvera couramment C. viridis, C. puella, I. elegans, O. brunneum, O. coerulescens, O. cancellatum, P. pennipes, S. sanguineum, S. striolatum, L. quadrimaculata, P. acutipennis, P. pennipes, E. viridulum. Lorsque ces sablières ou gravières sont proches de cours d’eau, on peut y rencontrer des espèces d’eaux courantes : M. splendens, O. curtisii par exemple.

Malheureusement, il arrive fréquemment que la nouvelle exploitation qui est faite de ces milieux, souvent à des fins récréatives, ne permette pas à une faune odonatologique riche de s’installer. En effet, la multiplication des interventions de l’homme et l’artificialisation, entraîne l’appauvrissement général du milieu.
En outre, ces sablières lorsqu’elles sont à vocation halieutique, hébergent très souvent des espèces animales prédatrices en grande densité comme la Perche soleil Lepomis gibbosus, le Black-bass Micropterus salmoides, diverses espèces d’écrevisses allochtones ou bien des poissons fouisseurs comme les carpes Cyprinus carpio. La présence de ces espèces, qui sont parfois invasives, est incompatible avec l’installation de cortèges de libellules riches et variés.

Les sablières et gravières sont principalement localisées dans les vallées alluviales des grands cours d’eau de la région, le long de la Vienne (86), du Clain (86), de la Charente (16 et 17). Les anciennes exploitations d’argile, quant à elles, sont moins répandues ; les carrières de Touvérac (16) et des environs de Clérac (17) sont de bons exemples.

Les canaux et fossés des marais

Le Poitou-Charentes a la particularité de posséder de vastes marais arrière-littoraux qui sont drainés par des canaux au courant très faible, parfois nul. C’est le cas notamment du Marais poitevin qui s’étend sur plus de 20 000 hectares dans la région. On peut aussi citer les marais de Brouage, de Rochefort et de Gironde. La grande majorité du temps les eaux de ces canaux sont fortement eutrophisées. Le peuplement odonatologique y est limité même si certains secteurs peuvent revêtir un intérêt non négligeable. Les libellules les plus fréquentes sont celles qui sont adaptées à ces conditions, qui supportent des eaux chaudes, envahies par la végétation, pauvres en oxygène dissous. On trouve évidemment des espèces eurytopes aux exigences faibles en termes de qualité du milieu : A. imperator, C. erythraea, I. elegans, O. cancellatum, L. depressa, S. sanguineum, S. striolatum, P. pennipes sont omniprésents et souvent accompagnés de libellules à l’écologie moins plastique mais qui trouvent dans ces conditions particulières les éléments favorables à leur développement, richesse de la végétation flottante et chaleur de l’eau notamment. C’est le cas d’E viridulum, P. latipes, P. acutipennis, A. isoceles. Dans ces marais arrière-littoraux, certaines zones de dépressions sont inondées en hiver puis se retrouvent isolées et déconnectées du réseau des canaux. Elles constituent alors des zones humides temporaires tout à fait originales que l’on nomme des « baisses » ou « jas ». Elles sont exploitées par des espèces caractéristiques des milieux temporaires, lestes, sympétrums et I. pumilio, quelquefois par I. elegans, A. affinis, L. depressa et O. cancellatum.

Les milieux saumâtres

Il s’agit de milieux qui dans la région ne se rencontrent que le long du littoral de Charente-Maritime (de l’anse de l’Aiguillon aux marais de Gironde ainsi que sur les îles). Le taux de salinité y est variable : faible, voire nul en début de saison lorsque les eaux de pluie ont gonflé les niveaux d’eau, il augmente en cours de saison au fur et à mesure que le milieu s’assèche. Il arrive d’ailleurs fréquemment que les bassins s’assèchent totalement au cours de l’été. Ces lagunes sont caractérisées par de vastes massifs de Scirpe maritime Bulboschoenus maritimus qui les colonisent. Le cortège qui exploite ces zones humides particulières sont dominés par des espèces adaptées aux milieux temporaires. C’est le cas des lestes comme L. dryas, L. barbarus, L. virens ou le méditerranéen Leste à grands ptérostigmas Lestes macrostigma dont les œufs sont pondus à l’intérieur des tiges de scirpe et sont ainsi protégés durant la saison sèche. Ces larves qui tombent à l’eau au cours de l’hiver, se développent rapidement permettant une émergence précoce, avant que le taux de salinité ne devienne létal. Cette adaptation à une période courte de mise en eau du milieu leur permet d’éviter une trop forte concurrence car bon nombre d’espèces ne supportent pas de telles conditions. Les sympétrums tels que S. meridionale, S. striolatum et S. fonscolombii qui apprécient aussi les fluctuations de niveau d’eau et pondent régulièrement sur les parties exondées, sont également bien représentés dans ces milieux saumâtres. Si le taux de salinité reste modéré, d’autres espèces peuvent accompagner lestes et sympétrums. A. affinis, I. pumilio, I. elegans, S. fusca peuvent même présenter des densités de peuplement remarquables.

Les tourbières et zones tourbeuses

Les tourbières « vraies » à sphaignes sont des milieux extrêmement rares en Poitou-Charentes, fragmentés et de très petite taille. Quelques micro-tourbières sur les landes de la Borderie (Montrollet) en Charente et la tourbière de l’étang Baron Desqueyroux près de Montendre en Charente-Maritime, sont quasiment les seuls sites régionaux. Les libellules qui colonisent ces milieux sont celles qui apprécient les eaux acides et qui acceptent la pauvreté en nutriments qui les caractérise. C. tenellum et P. nymphula sont les zygoptères les plus fréquents mais on trouve aussi C. scitulum. Les anisoptères typiques sont L. quadrimaculata, O. coerulescens, C. aenea et S. flavomaculata Toutefois, ces zones humides accueillent également la reproduction d’espèces ubiquistes présentes sur beaucoup d’autres mares ou étangs de la région, telles que A. imperator, L. depressa, S. sanguineum, C. puella, P. pennipes et I. elegans.

Eric PRUD’HOMME, Miguel GAILLEDRAT, Laurent PRÉCIGOUT